Agnès Levallois, que retenez-vous de l’étude approfondie que vous venez de réaliser ?
A. L. : Je suis bouleversée par la stratégie israélienne, par cette volonté de tout détruire pour que la vie à Gaza soit impossible. Ils font tout exploser. Et quand les bombes ne suffisent pas, ils finissent à la dynamite : églises, mosquées, jusqu’aux cimetières ; ils détruisent les bâtiments historiques, les écoles, plus rien ne doit tenir debout. La terre est incultivable pour des années en raison des tonnes de produits pathogènes qui ont été déversés. L’armée parachève l’invisibilisation des Palestiniens. Et cette stratégie ne leur pose aucun problème moral puisqu’ils ne voient que des « animaux humains ».
Effectivement, les rapports que résume votre livre montrent à quel point les destructions dépassent toute mesure.
A. L. : Les bombes d’une tonne utilisées vont très largement au-delà de ce qui serait nécessaire pour atteindre des combattants. Elles sont faites pour tuer le plus de monde possible. Tout cela est parfaitement clair. Mais on continue de faire semblant de croire qu’il s’agit de combattre le Hamas. Nombreux sont ceux qui refusent la réalité, car beaucoup de gens ne veulent pas voir ce qu’est devenu Israël. C’est tellement plus confortable de relayer les communiqués de l’armée. La multitude des rapports d’ONG, qui convergent pourtant de façon accablante, est quasiment ignorée par la plupart des politiques et des journalistes.
Entre aveuglement et mauvaise foi, on a du mal à comprendre ce déni, ce refus de la réalité !
A. L. : C’est un conflit « hors-norme ». Littéralement. Parce qu’Israël n’est pas un État comme un autre. On n’accepterait pas le tiers si ça venait de n’importe quel autre pays dans le monde. Mais là, on ne veut pas entendre les témoins, même les plus expérimentés, qui disent tous qu’ils n’avaient jamais vu ça. J’ai encore en tête le témoignage de cette réanimatrice de Médecins sans frontières que j’ai croisée sur un plateau de télévision. Elle était stupéfaite de la puissance destructrice des bombes utilisées dans de si petits espaces, de cette volonté d’écraser, de tout détruire.
« L’âge le plus fréquent des victimes à Gaza est de 5 ans. C’est une guerre contre les enfants » a déclaré Josep Borrell le haut représentant de l’UE à Bruxelles. Quelle est votre réaction à ce constat vertigineux ?
A. L. : J’ai du mal à supporter l’indécence des polémiques sur les chiffres. Tous les spécialistes répètent que les données du ministère de la Santé de Gaza sont en fait sous-estimées. On sait que nombre de ceux qui disparaissent en raison de la famine, du manque de soin, ou à cause de l’eau polluée ne sont pas comptés. On sait que beaucoup de mères ne parviennent pas à nourrir leurs nouveau-nés et que les bébés s’éteignent doucement. Tout ça à cause de la famine organisée par un pays qui bloque l’entrée de l’aide humanitaire. Et au milieu de tout ça les enfants meurent. C’est monstrueux.
Face à cela, la seule chose à faire est de rendre compte sans cesse des faits. C’est ce à quoi vous vous attachez avec votre livre.
A. L. : Bien sûr. Mais même ça, on a parfois l’impression que ça ne fonctionne pas. Il y a des gens qui réussissent à nier, qui distillent le soupçon et tentent de vous faire passer pour soutien du terrorisme ou pour antisémite, simplement parce que vous avez essayé de rappeler des éléments de contexte. On doit affronter sans cesse des contrevérités, des « faits alternatifs » à la Donald Trump. C’est épuisant. Mais c’est un combat qui en vaut la peine !
Propos recueillis par Bernard Devin
