Mohammed Shalalda, un berger de 73 ans, est assis sur un vieux lit dans une pièce miteuse de Sa’ir, une ville proche d’Hébron. Sa tête et sa main sont bandées : Shalalda se remet d’un pogrom. Il a été hospitalisé pendant cinq jours à Hébron et récupère maintenant chez l’un de ses fils. Lorsqu’il sera rétabli, il retournera à sa tente dans la petite enclave pastorale de sa famille, qui se trouve à quelques kilomètres à l’est, sur le mont Qanub. Shalalda, qui a dix enfants, est né sur cette montagne et y mourra probablement aussi.
La semaine dernière, il a cru que la mort était proche. Alors qu’il était battu par des colons à coups de pierres et de matraques, étendu en sang et sans défense sur le sol devant sa maison, il était convaincu que sa fin était arrivée, nous a-t-il dit cette semaine. Il a commencé à réciter les versets coraniques prévus pour les derniers moments de la vie d’un croyant - tout en recevant des coups de poing et des coups de matraque, tandis que deux de ses fils se tenaient là, impuissants, incapables d’approcher. L’armée est arrivée à la dernière minute et sa vie a été épargnée.
La montagne dénudée, qui a été fouettée par un vent froid cette semaine, est entourée presque de tous côtés par des colonies juives et des avant-postes de colons, dont certains sont violents et sauvages. C’est le seuil du désert de Judée, à l’est de Bethléem, le côté oriental sombre du bloc de colonies Etzion - moins "éclairé", "modéré" et américain, loin des yeux de tous, où les colons peuvent se déchaîner sans pitié.
Une couverture synthétique bon marché est étendue sur la grande taille de Shalalda, qui porte un keffieh rouge. Quelques Palestiniens âgés, de son âge, sont assis autour de lui, l’un d’eux s’appuyant sur une canne. Il reste sept familles dans la communauté des bergers, qui vivent dans un endroit qu’ils appellent Ganub, sur la montagne, tandis que sept autres familles ont abandonné le site ces dernières années, terrifiées par les colons. Pour Shalalda, qui possède 200 moutons, c’est la saison des agneaux, et son enclos était rempli de nouveau-nés lors de notre visite.
Un bref historique des épreuves, tel que Shalalda, survivant du pogrom, le raconte : en 1983, deux colons sont apparus dans son camp de tentes et ont annoncé qu’ils avaient l’intention de s’installer dans la région. Ils lui ont parlé de relations de bon voisinage, ajoutant qu’ils lui viendraient en aide en cas de besoin ; s’il était mordu par un serpent, ont-ils dit, ils l’aideraient. C’est ainsi qu’est né Asfar, alias Metzad, une colonie haredi qui a commencé comme avant-poste de la brigade Nahal, a accueilli un gar’in ("noyau dur") de nouveaux immigrants d’Europe occidentale et d’Afrique du Sud, et a donné naissance à l’avant-poste voisin de Pnei Kedem 15 ans plus tard.
Quelques mois après la promesse d’une discussion cordiale et de bon voisinage, le coordinateur de la sécurité de la nouvelle colonie s’est présenté et a commencé à chasser les bergers de leurs pâturages avec son véhicule. Le harcèlement, visant à s’emparer de leurs champs et à rendre leur vie misérable, a duré quelques années. Les incursions étaient fréquentes. Lors d’un raid, la tente d’une femme âgée qui vivait seule a été incendiée ; par miracle, elle s’en est sortie indemne.
La plupart des affrontements de ces années-là ont eu lieu au puits de l’enclave, qui est fréquenté par les bergers et leurs troupeaux. Les colons les chassaient par la force. C’était un événement quotidien, se souvient Shalalda. Lors d’un incident, l’armée est intervenue et a confisqué ses seaux. À la fin des années 1980, la situation s’est quelque peu calmée et le calme a régné dans la région pendant une dizaine d’années. "Quand ils venaient nous voir, nous leur faisions du thé", raconte Shalalda.
Par temps clair, on peut voir d’ici à l’est jusqu’à la mer Morte. Les colonies de Ma’aleh Amos et Metzad, et au-delà les avant-postes de Pnei Kedem et Ibei Hanahal, s’étendent sur les collines qui entourent les éleveurs, se rapprochent de plus en plus, étouffent les zones de pâturage. L’arrivée, il y a environ trois ans, de violents "jeunes des collines" laissait présager la reprise des raids sur Shalalda et ses fils alors qu’ils faisaient paître leurs troupeaux, sur fond de ces panoramas bibliques. Les jeunes colons ont commencé à attaquer les bergers à l’aide de chiens et de véhicules tout-terrain ; les bergers ont déposé de nombreuses plaintes auprès de la police, qui, selon la procédure habituelle, n’ont servi à rien. Il y a un an, par exemple, l’un des fils de Shalalda, Subhi, 34 ans, a été blessé lorsqu’il a été renversé par un véhicule tout-terrain conduit par un colon ; la plainte qu’ils ont déposée est restée sans suite.
Sept familles ont désespéré de la situation et ont déménagé à Sa’ir. Sept autres sont restées.
Mardi 8 février, a eu lieu l’incident le plus violent à ce jour. Vers 17 heures, deux véhicules et un VTT transportant des colons se sont approchés du complexe de tentes, s’arrêtant à côté de la Renault Express rouge rouillée qui se trouve à l’entrée. Une quinzaine de jeunes hommes en sont sortis, armés de haches et de gourdins, raconte Shalalda. Les membres de sa famille ont fui dans la panique ; il a dit aux femmes et aux enfants de se diriger vers l’est. Il a immédiatement compris que les colons étaient venus pour attaquer. Ses fils Subhi et Walid, 38 ans, qui vivent dans l’enclave, se trouvaient à plusieurs dizaines de mètres, en route vers l’enclos avec leurs troupeaux, et n’ont pas pu venir en aide à leur père. La scène a évoqué des attaques du Ku Klux Klan aux États-Unis, comme l’avocat des droits de l’homme Michael Sfard a décrit dans ces pages, la semaine dernière, la violence générale des colons à l’encontre des Palestiniens.
L’un des colons a organisé ses cohortes en rang et a aboyé des ordres en hébreu, que Shalalda ne comprend pas. À une distance de quelques mètres, ils ont commencé à jeter des pierres sur les tentes et sur les membres des familles en fuite. Puis sept d’entre eux ont agressé le vieux berger. Il était saisi de terreur, abandonné à son sort, coupé de toute sa maisonnée. Les colons l’ont frappé avec de grosses pierres et des gourdins, dit-il ; il est tombé sur le dos à côté de la Renault rouge décrépite. Ils ont continué à le frapper. Sur son visage, sa tête, ses bras, partout. Il estime que l’agression a duré environ 10 minutes. Personne n’a pu l’aider ; ses fils et un neveu, Yaqub, 45 ans, ont pu voir ce qui se passait de loin mais ont été repoussés par les colons lorsqu’ils ont essayé de s’approcher.
D’autres véhicules sont arrivés. Des dizaines de colons supplémentaires se sont répandus, selon Shalalda, peut-être 70. Quelqu’un de la famille a apparemment appelé la Croix-Rouge internationale, demandant de l’aide. Pendant ce temps, les colons se sont déchaînés sur Yaqub, lui lançant une grosse pierre sur l’estomac. Shalalda saignait du nez, de la bouche et de la tête. Des photos prises par des voisins le montrent allongé sur le sol, sans son keffieh, le sang souillant la terre à côté de lui. Maintenant, il enlève son keffieh pour nous montrer les coupures et les points de suture sur sa tête.
Après un quart d’heure, des soldats israéliens sont arrivés, convoqués par la Croix-Rouge via les autorités de coordination et de liaison palestiniennes et israéliennes. Les colons ont battu en retraite rapidement.
Une femme soldat portant des gants en caoutchouc bleu a administré les premiers soins à l’homme qui gisait sur le sol, en sang. "C’était une personne humaine", dit Shalalda. "Si seulement tous les soldats étaient comme elle". Elle l’a également pris dans ses bras, ajoute-t-il. Sa petite-fille, Hanan, 11 ans, qui était alors capable d’approcher son grand-père, a éclaté en sanglots. Un autre fils, Fadel, qui a été convoqué de Sa’ir, a demandé à l’un des officiers pourquoi l’attaque avait eu lieu. La réponse de l’officier, dit-il, a été : "Croyez-moi, je suis aussi sous leur contrôle".
Les soldats ont appelé une ambulance israélienne Magen David Adom, qui a emmené Shalalda jusqu’à la route principale, où il a été transféré dans une ambulance du Croissant-Rouge et emmené à l’hôpital Al-Ahli à Hébron. Les blessures au visage et à la tête ont été suturées, il a subi une intervention chirurgicale et est resté à l’hôpital pendant cinq jours. Trois de ses doigts ont été cassés. Yaqub a également été transporté d’urgence à l’hôpital et y est resté une nuit. Il a plusieurs doigts cassés en plus de sa blessure à l’estomac.
Cette semaine, les hommes ont déposé une plainte au poste de police de Betar Ilit, une colonie urbaine haredi. Mais rien n’en sortira. En effet, Hagar Shezaf, de Haaretz, a rapporté que seuls 4 % des cas de violence nationaliste des colons contre les Palestiniens aboutissent à des mises en examen. Sur la période 2018-2020, 220 plaintes de ce type ont été classées sans suite.
Va-t-il rentrer chez lui ?
Shalalda : "Quand je serai rétabli, je reviendrai. Je ne quitterai pas mes moutons et mes terres. Même si j’étais sur le point de mourir, je ne partirais pas. Mes derniers mots pour toi : "Dis-leur que nous pouvons vivre ensemble, s’ils le veulent". Mais ils ne veulent pas."
Nous avons conduit jusqu’à l’enclave des tentes. Les tâches de sang de Shalalda sont encore visibles sur le sol, à côté de la Renault accidentée. Dans une tente bien chauffée, Yaqub nous montre le gros bleu sur son ventre.
Traduction : AFPS