Généralement, quand on parle de culture, on pense à la culture « savante », mais il existe aussi une culture populaire, une culture de la rue. Comment s’expriment-elles à Gaza ?
Iyad Alasttal : La culture populaire à Gaza, c’est aussi bien l’art que le sport. Ce qui la caractérise c’est le « free style », à la mode dans le monde entier. C’est un mélange qui intègre pêle-mêle plein de choses, dont le skate, le roller ou le rap. Beaucoup les ont découverts via les réseaux sociaux. Aujourd’hui les jeunes sont très ouverts sur le monde. Malgré le blocus, ils savent très bien ce qui se passe à New York, à Londres ou à Paris.
Chez ces jeunes, qui sont majoritaires à Gaza, la culture Hip-Hop tient une place conséquente, quelles en sont les principales manifestations ?
I. A : Le hip hop et le rap n’étaient pas dans le « dictionnaire » de la culture palestinienne, mais ils ont envahi notre univers. C’est devenu un nouveau langage. C’est devenu une façon de présenter la Palestine au monde occidental comme le font autrement la musique, le théâtre ou la littérature. Il y a eu bien sûr des critiques et des rejets : la société ne comprenait pas. Mais quand on a vu que c’était un moyen de transmettre la voix des Palestiniens, les difficultés se sont aplanies. Les jeunes ont su mixer culture traditionnelle et Hip-Hop, et assez rapidement, des institutions se sont mises à les soutenir parce que ça apportait quelque chose de vivant. Ça a été par exemple le cas du festival « Effet papillon » financé par le consulat général de France à Jérusalem et l’institut français de Gaza. J’ai pu moi-même bénéficier, pour mon travail, de bourses destinées aux artistes de tous les champs culturels. Ça a permis de m’exprimer et de me faire connaître.
Concernant la breakdance, cet autre volet du Hip-Hop, l’épisode de Gaza Stories sur le travail d’Ahmed Alghariz est particulièrement significatif.
I. A : Je ne connaissais pas ces artistes. Puis j’ai vu ces jeunes qui avaient une énergie extraordinaire malgré les conditions de vie très dégradées, entre le chômage et le blocus. Quand je vois comment ils se battent pour montrer leur art ! Au départ ça a été aussi très critiqué mais quand on a vu ces enfants qui s’investissaient et qui existaient à travers ça, il a bien fallu entendre leur message. Ils étaient tellement contents, ça avait vraiment des effets thérapeutiques. L’art c’est aussi une fenêtre d’espoir. Ahmed Alghariz a construit le projet Danser contre ses trauma. Quand je l’ai rencontré j’ai été impressionné par son talent ; et j’ai vu dans les yeux des enfants à quel point ils étaient heureux. Ça m’a vraiment motivé pour le montrer : à Gaza il y a des enfants qui ont les mêmes aspirations, la même volonté de vivre que partout ailleurs dans le monde !
Les graffitis sont une culture urbaine et artistique en constante évolution. Souvent ils expriment la résistance
à la colonisation. Qu’en était-il à Gaza ?
I. A : Les graffitis existent depuis longtemps à Gaza. Je me souviens que, lors de la première intifada, ils étaient utilisés pour faire passer des slogans politiques tout comme des messages de félicitation pour un mariage. Dans les années 80, c’était un moyen de communication, puis ça a pris de plus en plus une dimension artistique, en particulier avec la calligraphie, mais toujours dans la protestation contre l’occupation.
Quelles autres formes d’arts populaires as-tu observées ou filmées ?
I. A : On ne peut pas parler d’art populaire sans parler de la broderie Tatreez. C’est un art très ancien, reconnu au patrimoine de l’Unesco. Chaque style correspond à un village aujourd’hui disparu. C’est un volet essentiel de notre mémoire, profondément ancré. On en est très fiers. Quand on veut honorer quelqu’un, on lui remet une broderie. C’est un art très lié à notre identité.
Un mot de conclusion ?
I. A : J’ai passé toute ma vie à Gaza, j’en connais tous les recoins. J’ai des souvenirs partout et j’y avais beaucoup d’amis. Beaucoup ont disparu. Tout ça a disparu. Gaza est aujourd’hui détruite. Beaucoup devaient devenir médecins, ingénieurs ou artistes. Ils ne sont plus. On compte beaucoup sur la mobilisation de tous pour Gaza. Je vois quelques rayons d’espoir dans les yeux des enfants. J’espère que la jeunesse pourra se sauver pour partager notre attachement à la vie.
Propos recueillis par Bernard Devin