Fin de la trêve. C’est le message qu’a adressé ce vendredi la branche armée du Hamas à Israël. Le Hamas proteste contre le blocus imposé à Gaza par les autorités israéliennes depuis le début du mois de novembre, quand l’Etat hébreu stigmatise les tirs de roquette des militants islamistes sur son territoire.
Le Hamas s’apprête donc à ouvrir un nouveau front. Tout puissant à Gaza, en lutte avec le Fatah, majoritaire au sein de l’Autorité palestinienne, en Cisjordanie, « le Hamas aspire aujourd’hui à créer un Etat palestinien à Gaza », croit savoir Hassan Balawi, ancien journaliste membre de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et auteur de Gaza, dans les coulisses du mouvement national palestinien, paru chez Denoël fin novembre.
Observateur attentif de l’évolution du parti islamiste au pouvoir à Gaza, Hassan Balawi dresse également un portrait sans concession du système Arafat, dont la disparition a cependant laissé un grand vide sur la scène politique palestinienne. Pour lui, l’OLP traverse l’une des crises les plus graves de son histoire. En Palestine, le printemps sera décisif. Entretien.
Un mois après l’échec de la réunion du Caire, où en est-on des pourparlers interpalestiniens ?
Malheureusement, le dialogue a été interrompu parce que le Hamas a refusé à la dernière minute de se rendre au Caire. La division inter-palestinienne s’accentue de jour en jour. Notamment avec le dernier épisode des pèlerins qui devaient se rendrent à La Mecque et qui ont été interdits de passage par le Hamas.
Par ailleurs, Gaza se trouve aujourd’hui dans une situation humanitaire, économique et politique très critique. Il y a de moins en moins d’électricité, de gaz, de nourriture, de médicaments... La population palestinienne à Gaza souffre. Leur vie devient infernale. Je suis constamment en contact avec des amis qui habitent là-bas, et qui ont la sensation que la vie sur place a fait un bond d’un siècle en arrière. Le fossé se creuse avec la population de Cisjordanie.
Pour justifier son refus de se rendre au Caire, le Hamas évoque le sort de ses militants en Cisjordanie, emprisonnés par l’Autorité palestinienne...
Le Hamas avance ce prétexte, mais tout le monde sait qu’il y a une décision de la direction interne de ne pas négocier. La question des détenus n’a d’ailleurs jamais été évoquée au cours des pourparlers via la médiation égyptienne. Les dirigeants locaux du Hamas estiment que le moment n’est pas opportun de se rendre au Caire, que le président Abbas se trouve dans une situation difficile parce que rien n’avance concrètement avec les Israéliens. Ils jugent qu’Abbas cherche une sortie honorable avant les élections palestiniennes en janvier.
Que sait-on aujourd’hui des détenus du Hamas en Cisjordanie et des conditions de leur arrestation ?
L’Autorité palestinienne a arrêté en Cisjordanie un certain nombre de militants du Hamas qui cachaient des armes et s’apprêtaient à commettre d’actions violentes contre l’Autorité, qui a clairement affirmé qu’il n’y avait aucun détenu politique parmi eux.
De mon côté, je ne cherche pas à rentrer dans ces polémiques. Je dis d’ailleurs dans mon livre qu’il y a un danger à Ramallah d’atteinte aux libertés publiques. J’ai notamment pris l’exemple de l’interdiction d’une manifestation à Ramallah lors de la visite de Bush en janvier. Cela constitue autant d’éléments et de risques de dérives du gouvernement palestinien très dangereux pour nous, Palestiniens.
Mais je ne peux pas fermer les yeux sur ce qu’il se passe à Gaza. Il y a une répression féroce commise par le Hamas. Des centaines de détenus garnissent aujourd’hui les prisons à Gaza.
Chacun essaie de diaboliser l’autre à de fins politiques, et cela porte atteinte à l’unité du projet palestinien.
Le « modèle » turc
Dans votre livre, vous dites que le Hamas est à la croisée des chemins, entre une tendance « douce », à la turque, et une option dure, à la talibane. Où en es-t-on dans cette lutte interne ?
Pour le moment, c’est la tendance modérée, en quelque sorte, qui est en train de l’emporter. Un signe de cette évolution : les rencontres qui se déroulent depuis plusieurs semaines entre des dirigeants du Hamas et les différents émissaires internationaux, et notamment européens.
Le Hamas mise sur la fin du blocus imposé actuellement par Israël sur Gaza, et s’attire de plus en plus de sympathie à l’internationale grâce à ce blocus. Il y a donc encore une chance de voir une intégration du Hamas sur la scène internationale et sur la scène palestinienne.
Cependant, cette ouverture pose des problèmes en interne au Hamas, et vis-à-vis des groupes salafistes de Gaza. Ces groupes qui, dans l’ensemble, soutiennent le Hamas, estiment aujourd’hui que cette démarche constitue une dérive, pas seulement en termes politiques, mais aussi en termes religieux. Ce sentiment commence d’ailleurs à se ressentir sur le terrain par des affrontements entre groupes salafistes et Hamas. La population locale n’est donc pas dupe de ces dissensions.
Ce que vit le Hamas en ce moment est très intéressant à étudier. Cette organisation a subi de profonds changements depuis son accession au pouvoir en 2006. Être dans l’opposition et avoir le pouvoir, ce n’est pas la même chose. Le Hamas est aujourd’hui responsable de la population, et doit dialoguer avec toutes les parties, y compris Israël, ce qui implique par conséquent un dialogue et des tensions fortes en interne.
Autre point important : le Hamas aspire aujourd’hui à créer un état palestinien à Gaza. Cela implique pour lui de mener une politique qui soit acceptable pour les pays de la région comme l’Egypte, la Jordanie…
Je pense que cela fait écho également à une stratégie des Frères musulmans, qui est de clamer le jeu avec les différents régimes et Etats dans la région pour mieux agir sur la société arabe musulmane. Dans ce sens, l’expérience turque est intéressante à leurs yeux, car les musulmans en Turquie sont arrivés au pouvoir par la base, après avoir travaillé sur la société, sur l’économie, sur l’éducation… Ils ont fait un modèle, en quelque sorte.
À l’opposé, des dirigeants au sein du Hamas reprochent à leur parti d’être rentré dans un processus électoral, car ils estiment qu’il fallait plus de temps pour préparer les Palestiniens, pour islamiser davantage la société. Ils estiment que le Hamas est tombé dans le piège qui leur a été tendu de participer aux élections et de « composer » avec ses adversaires. C’est un débat que l’on retrouve aussi de manière omniprésente dans les milieux intellectuels qui entourent le Hamas.
Que sait-on des tensions qui animent la direction du Hamas, et notamment entre les branches de Gaza et Cisjordanie ?
Il y a une tentation très forte des dirigeants locaux du Hamas de s’emparer de Gaza et de laisser tomber le reste, puis de faire une trêve sur le long terme avec Israël pendant 10 ans, 20 ans, 50 ans... Cela leur permettrait de construire un Etat, et de s’installer sur le long terme, estiment-ils.
D’autant qu’en face, des échos venant d’Israël nous parviennent régulièrement, parfois repris par la presse israélienne, comme quoi les Israéliens seraient davantage tentés de discuter avec le Hamas à Gaza plutôt qu’avec Mahmoud Abbas. Le but étant de parvenir à une trêve à long terme avec Hamas sans conclure d’accord politique avec l’Autorité palestinienne à Ramallah.
La raison est simple : cela arrange Israël d’avoir à côté de lui un Etat faible sur le plan international, avec lequel on ne peut pas négocier, plutôt que de faire face à l’Autorité palestinienne et Mahmoud Abbas, qui jouit d’une certaine respectabilité. Négocier avec Abbas, cela amènera tôt ou tard les Israéliens à faire des concessions s’ils veulent obtenir un accord. Or Israël ne veut pas donner de concession au président de l’Autorité palestinienne, que ce soit sur le plan des réfugiés, des colonies...
C’est donc plus facile d’avoir sous la main un mouvement que l’on peut diaboliser, comme le Hamas.
Tout cela constitue un grand danger, non seulement pour les Palestiniens eux-mêmes, mais aussi pour la stabilité dans la région, cela met en péril le projet politique qui consiste à dire depuis vingt ans qu’il existe une solution pour régler le conflit, basée sur la co-existence de deux Etats, israéliens et palestiniens, et soutenue par les Nations unies.
« L’OLP risque de disparaître »
Cette division interpalestinienne, qui se traduit par une crise de l’OLP, est prégnante depuis la disparition de Yasser Arafat. Dans votre livre, vous écrivez : « Arafat était davantage leader d’un peuple qu’un homme d’Etat. » Qu’entendez-vous par là ?
Arafat était hanté par l’idée de parvenir à créer un Etat, dans une situation où le peuple palestinien se trouvait éparpillé géographiquement. Et dans la mesure où il n’y avait pas d’expression politique palestinienne, tous les moyens étaient bons pour atteindre cet objectif. Y compris des moyens peu compatibles avec l’esprit de l’institution palestinienne, et critiqué par les Palestiniens, l’Occident, les organisations des droits de l’Homme.
Arafat n’était pas seulement responsable des Palestiniens en Cisjordanie de Gaza, mais de l’ensemble des Palestiniens, et notamment de ceux de l’extérieur. Pour lui, les Palestiniens de l’extérieur, en particulier ceux des camps de réfugiés au Liban, occupaient une place centrale dans sa vision politique. Pour maintenir cette cohésion, tous les moyens étaient nécessaires. Il fallait de l’argent, du liquide, pour être présent dans les camps de réfugiés au Liban, face aux Syriens, aux Iraniens, qui avaient leurs propres réseaux sur place.
Or il y a des règles internationales qui ne permettaient pas à Arafat d’avoir ce « trésor de guerre ». Tous les moyens étaient donc bons pour se le procurer, et tant pis si, pour récupérer un million de dollars, il fallait verser un pot-de-vin de 10%.
Vous dites que ce système clientéliste en place sous Arafat a été mis à mal par l’actuel premier ministre Salam Fayad... Est-ce vraiment le cas ?
Salam Fayad avait un objectif principal, qui consistait à centraliser toutes les rentrées financières dans un seul ministère, quand Arafat multipliait les intermédiaires. Je ne dis pas qu’il n’y a plus de corruption, je dis que des progrès ont été effectués, et qu’il faut par ailleurs examiner cette corruption par rapport au contexte général. D’une part, son ampleur au sien de l’Autorité palestinienne n’a rien à voir avec ce qui se pratique dans les Etats voisins.
D’autre part, alors qu’elle était présente entre 1994 et 2000, l’occident et les médias ne parlaient pas de cette corruption, parce que Yasser Arafat remplissait pour eux un rôle politique qui correspondait aux intérêts des Etats-Unis et d’Israël. Au moment où il y a eu des divergences entre les intérêts palestiniens représentés par Yasser Arafat, et les intérêts israéliens, alors tous les projecteurs ont été braqués sur ces affaires de corruption. Si Arafat avait cédé aux pressions américaines et israéliennes à Camp David en 2000, il serait devenu un démocrate pour tout le monde. Comme il n’a pas cédé aux pressions, il est devenu « le pire » pour la région. C’est en ce sens que je dis que cette histoire de corruption est exagérée, parce qu’on a d’abord fermé les yeux sur Arafat, avant de la diaboliser, tout cela pour servir des buts politiques.
Le mandat de Mahmoud Abbas à la présidence de l’Autorité palestinienne arrive à échéance le 9 janvier. Que va-t-il se passer ? Des élections vont-elles pouvoir se tenir ?
Il y a en ce moment un débat à la fois politique et juridique par rapport aux élections. Le Hamas dit simplement que, selon la Loi fondamentale de l’Autorité palestinienne, le mandat présidentiel est de quatre ans, et doit donc prendre fin en janvier, ce qui est juridiquement juste. Mais il y a également la loi électorale qui a été votée par le Conseil national palestinien, et qui a été discuté avec Hamas dans l’accord du Caire de 2005. Cette loi dit clairement que les élections législatives doivent se tenir en même temps que l’élection présidentielle.
Sur le plan juridique, ces deux lectures sont justes, il s’agit maintenant d’arbitrer politiquement pour savoir quelles élections vont se tenir, et dans quels délais.
Personnellement, je crains qu’il n’y ait deux élections séparées, à Gaza et en Cisjordanie, et que l’on ait deux Autorités, deux présidents. C’est cela le danger. Dans ce contexte, l’OLP risque de disparaître, et la solution de deux Etats, israélien et palestinien, avec elle. Or c’est l’OLP qui a reconnu Israël. C’est donc aussi dans l’intérêt d’Israël de pouvoir dialoguer avec une OLP forte, unifiée, incluant le Hamas.
Mahmoud Abbas peut-il briguer un nouveau mandat ? Y a-t-il de nouvelles figures qui émergent à côté de lui ?
Le souhait de Mahmoud Abbas est de ne pas se présenter, il l’a dit à plusieurs reprises. Mais le Fatah va le pousser à se représenter. Que reste-t-il aujourd’hui des dirigeants historiques palestiniens ? Pas grand monde, et dans le même temps, les dirigeants plus jeunes, et qui bénéficient d’un ancrage local, ne parviennent pas à susciter une large adhésion au sein du peuple palestinien. Y compris d’ailleurs Marouane Barghouti, en prison en Israël et qui est devenu un symbole pour les Palestiniens.
Il y a donc aussi une crise de leadership. Les dirigeants historiques s’en vont, et ne sont pas remplacés.
Jérusalem, capitale de la culture arabe
Vous faites parti de l’initiative « Jérusalem, capitale arabe 2009 ». Vu d’Israël, cette initiative peut apparaître comme une provocation... De quoi s’agit-il ?
Chaque année, à l’initiative de la Ligue arabe, une ville d’un pays arabe est nommée capitale culturelle. En 2007, c’était Alger, en 2008, Damas.
Quand on évoque ici Jérusalem, on parle bien sûr de Jérusalem-est qui, selon la législation internationale, fait partie des Territoires palestiniens. Le président Sarkozy a d’ailleurs à la Knesset qu’un Etat palestinien devait voir le jour avec Jérusalem-est comme capitale.
Aujourd’hui, pratiquement aucun Etat ne reconnaît la souveraineté d’Israël sur la partie orientale de Jérusalem. Toutes les ambassades se trouvent d’ailleurs à Tel Aviv, et non à Jérusalem.
Israël impose chaque jour sa politique pour changer et judaïser Jérusalem-est. En détruisant notamment les maisons palestiniennes, Israël cherche à vider la ville de ses habitants palestiniens. Je vous renvoie à ce propos aux organisations israéliennes qui ont fait des déclarations pour qualifier d’apartheid la politique d’Israël à Jérusalem et en Cisjordanie.
Notre opération n’est cependant pas politique, mais culturelle. Nous souhaitons que les habitants palestiniens puissent avoir un contact avec leur propre culture, et avec la culture internationale. Nous allons ainsi organiser tout un ensemble de festivals, pièces de théâtre, projections de films... J’espère que les Israéliens considèreront avec bienveillance cette initiative, comme celle des Palestiniens exerçant leur droit d’accès à la culture, qu’elle soit palestinienne, arabe, ou internationale.
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