Israël ne rate jamais une occasion de gâcher les matins de Gaza. Après l’arrêt de la guerre de 11 jours, les drones ont continué à planer dans notre ciel. Puis, ils ont disparu pendant un moment. Ou, pour être plus précis, ils se sont élevés plus haut dans le ciel de sorte que leur bourdonnement vraiment horrible ne pouvait pas être entendu. Cependant, ce matin, je me suis réveillé avec cet horrible bourdonnement. Je savais que c’était le drone mais c’était trop fort pour dormir. J’ai caché ma tête sous l’oreiller. Inutile. Pourquoi devrais-je commencer ma matinée comme ça ? Mes oreilles essaient d’éviter de l’entendre, mais ma tête essaie de le traiter.
Quelques minutes plus tard, j’ai abandonné et j’ai ouvert un demi œil. Ma mère est assise dans le coin de mon lit. "Le bourdonnement me perce la tête", dit-elle. Que préparent-ils ? Est-ce le signe d’une autre guerre ? "Dieu nous en préserve", dit brusquement ma mère. Elle était capable d’entendre mes pensées et a répondu comme si je les avais prononcées. À Gaza, lorsqu’il est question de guerre, nous partageons tous les mêmes pensées et les mêmes craintes.
Le matin nous a rappelé plusieurs situations douloureuses qui se sont produites pendant la guerre. C’était un rappel que le matin, qui est censé être lumineux, était un peu plus clément pour nous que la nuit. La nuit, le bombardement était plus lourd. C’est tout noir. L’obscurité. Pas d’électricité. La connexion WIFI envoie à peine un message. Nous étions des oiseaux de nuit. On restait assis sans bouger dans le salon. Pas un seul souffle. Juste le bombardement et nous.
Nous avions un groupe de discussion WhatsApp, pour les amis et la famille, pour prendre des nouvelles les uns des autres. Si nous envoyons un message et que tout le monde répond, nous nous sentons un peu à l’aise. Ils sont tous en vie. Mais si le contraire se produit, nous commençons à avoir des crises de panique et à vérifier les nouvelles. Et s’ils ont bombardé leur maison ? Mon oncle vit en Suède ; il a été témoin de trois guerres. Il nous envoyait des messages et nous téléphonait toute la nuit pour s’assurer que nous respirions encore. Une fois, il nous a envoyé un message qui disait : "J’aimerais être à Gaza, au moins mon cœur sera moins lourd. Je ne peux rien faire dans ma vie. J’ai arrêté d’aller au travail. Je suis les nouvelles tout le temps mais tout est horrible.’’ Après la guerre, nous avons tous convenu de créer un nouveau groupe WhatsApp et de supprimer cette conversation. Nous savons tous combien il est dur de lire de vieux messages. Surtout s’il s’agissait d’un événement désagréable.
Il y a eu une nuit où le bombardement était plus lourd que jamais à Rafah. Quand j’ai vérifié les nouvelles et Twitter, il n’y avait rien d’écrit à ce sujet. Les nouvelles sur Rafah disaient seulement, "Bombardement intense à Rafah." Bien. Nous le savons tous. Il y a un bombardement à Rafah, mais où ? Qui est mort ? Qui ont-ils visé cette fois-ci ? Y a-t-il une famille qui a besoin d’aide sous les décombres ? Que se passe-t-il ? La presse ne pouvait pas atteindre ma ville. J’ai paniqué et je suis allée voir tous les membres des médias que je connais et j’ai même tweeté que si nous mourions, personne ne saurait que nous sommes morts ! "Nous avons besoin d’une couverture médiatique maintenant !" Nous n’avons su l’emplacement précis du bombardement que deux heures plus tard.
"Ils ont détruit notre maison avant, je ne pense pas qu’ils le feront à nouveau. N’est-ce pas ?" Une question sérieuse de la part d’une fille de 25 ans qui connaît la réponse mais qui essaie de se réconforter. Ma mère s’est moquée de moi. Elle a répondu plus tard gentiment que puisque nous sommes ici à Gaza, il faut s’attendre à tout.
À cause du bourdonnement des drones, Israël a fait remonter ces horribles souvenirs dans ma tête ce matin. Pendant que j’écris ces lignes, les drones sont toujours en vol stationnaire. Tous les jours.
Hier, mon oncle paternel et sa famille nous ont rendu visite. Et bien sûr, parler de la guerre est un sujet que nous ne manquons jamais. Sa fille nous expliquait comment ils étaient dans deux guerres, pas seulement une. "Les gens vivaient une guerre et nous vivions deux guerres. Ma mère était une bombe dans la maison qui explosait à chaque minute. Nous étions déjà nerveux et effrayés, mais elle était plus que cela. Elle nous criait dessus tout le temps et s’attendait aux pires scénarios possibles. Quand est-ce que ça va finir ? Nous devrions quitter la maison maintenant. Nous pouvons rester chez ma sœur jusqu’à ce que ce soit fini. Y aura-t-il une trêve ? C’est ce qu’elle faisait tout le temps. Elle nous rendait plus nerveux que nous ne l’étions déjà."
Mon amie Rawan m’a dit l’autre jour qu’elle et sa famille se préparent à quitter Gaza. La raison en est facile à comprendre. Son père avait toujours refusé l’idée de quitter sa maison et Gaza. Mais après la dernière agression, il a dit à sa famille qu’elle devait se préparer à partir pour la Turquie. Elle m’a dit : "Mon père n’a jamais voulu partir, mais quand il a vu ses petits-enfants et leur peur de la guerre, il a décidé de nous emmener tous vivre avec nos proches en Turquie." J’ai plaisanté avec elle et lui ai dit de me mettre dans un de leurs bagages et de m’emmener avec eux. J’ai regardé le sol, et j’ai pensé, si ce que je fais est inutile ici à Gaza, peut-être que je devrais partir ailleurs puisque chaque rêve que je construis s’évanouira avec une roquette.
Ici, à Gaza, nous disons au revoir aux choses que nous aimons - aux rêves, aux espoirs et aux amis que nous ne pouvons pas blâmer d’essayer de trouver un endroit sûr.
Je sais qu’un jour je pourrai voyager comme les gens normaux le font. Mais d’abord, ici, dans le plus bel endroit que j’ai jamais connu, dans mon pays, je hanterai un rêve jusqu’à ce que je l’attrape. Quoi qu’il arrive.
Traduction : AFPS