Dans la ville de Naplouse, l’université nationale An-Najah accueille 30 000 étudiants. C’est le centre névralgique de l’enseignement supérieur de toute la Palestine et en particulier du nord de la Cisjordanie. C’est la plus importante université de Palestine. Elle s’est hissée dernièrement au rang des 300 meilleures universités au monde selon le Time’s Higher Education Ranking et 6e du monde arabe. Cependant, cette université se trouve dans le viseur de l’occupation militaire israélienne : des professeurs sont souvent arrêtés et mis en détention administrative, des étudiants arrêtés et mal traités sur les barrages de l’armée autour de la ville, des personnels interdits de voyager ou de participer aux activités scientifiques, des universitaires étrangers interdits du séjour dans la ville et leurs visas rejetés… Malgré tout, les étudiants de toute la Palestine historique y affluent et supportent les tracasseries administratives et militaires pour s’y inscrire. Parmi les plus de deux mille étudiants palestiniens de citoyenneté israélienne ayant fait le choix de poursuivre leurs études à An-Najah, la faculté de médecine en accueille quelques centaines. Ils réussissent ensuite brillamment les examens israéliens pour pratiquer la médecine. La grande diversité des étudiants rend la vie plus agréable dans cette ville. Ce qui l’aide à survivre et résister à l’occupation coloniale.
Les habitants sentent moins l’effet direct de la présence israélienne et ont l’impression de vivre une vie normale à l’intérieur d’un îlot de liberté et de résistance. Cette ville est habituellement bondée par les gens qui arrivent des villes et villages qui l’entourent et par les étudiants qui y habitent. Mais il suffit aux forces d’occupation israéliennes de bloquer les entrées pour que la ville étouffe. Ceci arrive très souvent : les attaques organisées par les colons sous la protection de l’armée israélienne, la volonté de certains fanatiques religieux juifs de prier au Tombeau de Joseph, un acte de résistance collectif ou individuel… Toutes les raisons sont bonnes pour punir collectivement les habitants et tenter de briser toute volonté de résister. Les incursions sont journalières et les arrestations de toute personne soupçonnée de vouloir résister sont le pain quotidien des citoyens.
Cependant, une force incroyable de résilience se traduit par des rassemblements populaires, par une population avide de liberté, autour des résistants ou de leurs proches visés par des mesures de vengeance : destruction des habitations, interdiction de travailler et de voyager…
La vie reprend alors son cours normal dans une ville où cohabitent modernité et traditions. Les rues sont propres, bien aménagées, des boutiques et magasins où rien ne manque, des embouteillages toute la journée, des étudiant(e)s partout, des voitures modernes de toutes marques et beaucoup de touristes en particulier dans la vieille ville. Toute résistance même pacifique est considérée comme terrorisme : semer est un terrorisme agricole et une surconsommation d’eau, ne pas accepter la version sioniste de l’histoire est un terrorisme intellectuel, ne pas accepter de changer les manuels scolaires est un terrorisme éducatif, ramasser le zaatar, qui est essentiel dans la cuisine palestinienne est un terrorisme écologique nocif à l’écosystème…
Pourtant, les colonies dans les territoires palestiniens consomment quatre fois plus d’eau, pratiquent la culture intensive, défigurent le paysage et introduisent des animaux étrangers à l’environnement local avec l’aide technique et financière de l’État israélien sans se soucier des habitants arabes de ces territoires. Le pire dans cette histoire est que beaucoup des politiques et médias occidentaux, surtout étasuniens, défendent les positions israéliennes sans réserve. Et toute activité même pacifique contre l’occupation est présentée comme une entrave à la paix et à la sécurité de l’État d’Israël.
Bilal Shafei
Bilal Shafei a fait ses études à l’Université de Besançon où il a soutenu une thèse en linguistique et informatique. Il est maintenant professeur de linguistique française à l’Université An-Najah où il a fondé le département de français et le centre de ressources pour les langues.