Voilà plus de deux ans que Leila Shahid, Dominique Vidal et Michel Warschawski parcourent les villes et les banlieues de notre pays pour informer, dialoguer sur le conflit israélo-palestinien. Leur souci est d’aller plus particulièrement à la rencontre des jeunes des banlieues qui n’ont pas l’habitude de fréquenter les conférences de centre-ville.
Leur visite à Nancy le 15 mars dernier s’inscrivait dans le cadre de cette tournée. A l’occasion, Michel Warschawski avait été remplacé par Esti Micenmacher, une israélienne du mouvement anticolonialiste Ta’ayush.
A l’initiative de cette visite, l’AFPS de Lorraine Sud avait réussi à rassembler 25 associations locales pour l’organiser : de grandes organisations de solidarité comme le Secours Catholique et le Secours Populaire, des associations de toutes sensiblités culturelles et confessionnelles (le CCDF, Pax Christi, la CIMADE, les Etudiants Musulmans de France et l’Union Juive Française pour la Paix) et les antennes locales des grandes associations de droits de l’homme (LDH, MRAP).
Un tel rassemblement n’est pas pour rien dans le succès de cette journée qui fut tout simplement inoubliable.
Elle débute par un déjeuner avec Michel Dinet, le président socialiste du conseil général de Meurthe-et-Moselle, un homme politique comme il en est encore trop peu dans notre pays. Ses convictions humanistes, il ne les met pas dans sa poche comme sa conception participative de la démocratie politique dans laquelle les associations ont une place importante.
Quand l’AFPS est venu lui proposer de soutenir un projet d’aménagement du jardin d’enfants que l’association Najdeh gère dans le camp de réfugiés palestiniens de Chatila, il n’ a pas tergiversé et deux mois après, nous recevions une subvention de 3000 euros du conseil général pour le jardin d’enfants de Najdeh.
Tous les ans aussi, le conseil général met ses locaux à disposition des associations de solidarité internationale pour le "marché du monde" où celles-ci peuvent à la fois présenter leurs actions et vendre leurs produits à un public qui est chaque année plus nombreux (plus de 10 000 personnes en 2004).
Pour revenir au 15 mars, au programme était prévu un deuxième temps avec les politiques, une rencontre avec les élus locaux en fin d’après-midi. Une fois de plus, est apparu l’engagement du conseil général, car parmi la trentaine d’élus qui avaient répondu présents, il y avait de nombreux conseillers généraux de Meurthe-et-Moselle. Par contre, pas un élu de droite n’avait daigné se déplacer et en particulier pas un seul représentant de la municipalité de Nancy.
Dans l’après-midi, il y avait eu avant une rencontre avec les élèves du lycée professionnel catholique Claude Daunot. Durant près de deux heures, les trois invités ont répondu aux questions pertinentes que 80 élèves avaient préalablement préparées avec leurs professeurs.
Initialement, la rencontre était prévue avec les élèves du lycée professionnel public Marie Marvingt de Tomblaine dans la banlieue de Nancy. La proviseure avait donné son accord et les enseignants avaient entamé un travail préparatoire avec leurs élèves.
Mais suite à l’opposition du rectorat, la proviseure est revenue sur son engagement. Comme l’écrivait au recteur de l’académie Jean-Pierre Minella, maire PCF d’Homécourt et vice-président du conseil général, "N’y a-t-il pas un paradoxe inquiétant qui ferait, qu’au nom du principe de neutralité, un débat d’ouverture ne soit plus possible qu’au sein des lycées privés, les lycées publics étant contraints à une neutralité aseptisée ?"
L’apogée de la journée a été la conférence publique en soirée à la faculté de droit. A 20h, le plus grand amphithéâtre de la faculté était bondé, avec plus d’un millier de personnes, du jamais vu à Nancy. La conférence était ouverte par Herbert Néry, le président de l’université Nancy 2, qui soulignait que le service public de l’enseignement supérieur était fier d’accueillir en son sein Leila Shahid, une façon de faire écho au refus du recteur.
Mounir Elharradi, président de l’UNEF, s’exprimait ensuite au nom à la fois de l’UNEF et des Etudiants Musulmans de France en poursuivant dans le même sens.
Les trois conférenciers s’étaient soigneusement répartis les thèmes d’intervention. Esti Micenmacher a expliqué simplement, modestement l’action courageuse que mène Ta’ayush et les autres organisations anticolonialistes israéliennes aux côtés des Palestiniens contre la construction du Mur. Cette explication a été une découverte pour une partie importante du public qui ignorait l’existence d’un tel mouvement, certes minoritaire mais très important, dans la société israélienne.
Ensuite, Dominique Vidal a trouvé les mots justes pour dénoncer la stigmatisation dont sont victimes les jeunes arabes et musulmans en France, pour expliquer qu’il n’y a pas de hiérarchie dans les racismes et que l’amalgame entre antisémitisme et critique d’Israël n’aide pas la solidarité avec le peuple palestinien et sert au contraire l’antisémitisme. Le public, où les jeunes étaient très nombreux, a manifesté à de nombreuses reprises son approbation par des applaudissements nourris comme pour dire "enfin un intellectuel qui nous tient un langage de vérité".
Avec la limpidité et la simplicité qui la caractérise, Leila Shahid nous a ensuite brossé un état des lieux du conflit israélo-palestinien plutôt alarmant. Si elle a mis plus de passion dans son propos qu’ à l’habitude, c’est pour nous dire que l’heure est grave, que les semaines à venir seront importantes et que l’engagement de l’Europe est absolument nécessaire.
On était bien loin des discours lénifiants qu’on entend très souvent dans les médias. Et à en juger par le tonnerre d’applaudissements qui a conclu son intervention, il ne fait pas de doute que Leila Shahid a été entendue à Nancy.