C’est comme si quelqu’un était en train de frapper sur un gong, près de ma tête, toutes les deux minutes. Quelque fois 5 fois par minute, comme la nuit dernière. Et juste comme je savoure un instant de silence, ça recommence, comme pour me dire "tu ne vas pas t’en tirer comme ça".
Nous sommes allés nous coucher, au son des fenêtres qui vibraient et des coups qui envahissaient tout, et de l’écho des obus. On dort comme ils tombent.
On a fait les prières de l’aube, et ils tombent encore . On s’éveille, et ils tombent toujours.
Quand ils tombent plus près, quand ils tombent sur Shija’iya à l’est de la ville de Gaza, j’ai le coeur dans l’estomac.
Et je veux me cacher, mais je ne sais pas où.
La terre se referme sur nous.
C’est ça l’occupation, elle envahit même vos espaces les plus intimes. Et pendant que les obus tombaient dans ma tête, ils ont aussi tué la petite Hadil Ghabin aujourd’hui.
Un obus est tombé sur sa maison, à Beit Lahiya, brisant son corps sans défense et blessant 5 membres de sa famille dont sa mère enceinte, Safia, et sa soeur de 19 ans.
Mes maux de tête paraissent insignifiants quand je pense à la petite Hadil. Parfois les gens ici disent qu’ils préfèrent la mort à cette existence ; on entend souvent aux funérailles :“Irta’at”elle est mieux, maintenant, de toutes façons- il n’y a rien pour quoi vivre ici.
La terre nous écrase. J’aimerais que nous soyons son blé, pour mourir et renaître. C’est ça notre triste réalité. La mort soulage.
Parfois on dirait que nous sommes tous dans la même chambre de torture collective ; je ne demande, qui va jouer à Dieu avec nous ce soir ? Quand je lève les yeux vers le ciel et que j’entends les obus ou que je vois les hélicoptères de combat anonymes qui patrouillent sans relâche dans le ciel où brille la lune, je me demande, est ce qu’ils me voient ?
Et quand les obus commencent à tomber, je ne peux pas m’empêcher d’imaginer un jeune de 18 ans qui n’en peut plus à force de s’ennuyer au dessus de la frontière et qui allume une cigarette ou envoie un texto à sa copine à Tel Aviv "encore quelques tours à faire, chérie..Allez fais lui faire encore un tour, Ron, ça fait déjà deux minutes."
Parfois quand je suis trop tendue j’ai envie de sortir et de leur faire signe en agitant les bras.
Est ce qu’ils m’entendent ?
Nous avons décidé de nous échapper ce soir jusqu’à la ferme de mon père au centre de la bande de Gaza, où nous avons fait rôtir des pommes de terre et chauffé du thé sur un petit poële, tandis que nous écoutions des thikr à propos du Prophète à l’occasion de son mawlid , survolés par les rugissements inquiétants des avions de combat qui patrouillent les cieux solitaires par ailleurs.
“Où vous allez ? ” a demandé Osama, le marchand, en bas.
“A la ferme. On étouffe,” je lui ai répondu, et Yousuf tirait sur mon bras.
“Maman...Allez, on y va !”
“ah Laila, on ne fait pas que suffoquer, on en meurt. J’ai l’impression que je ne peux plus respirer. Et ma tête résonne, résonne...Tout ce que j’entends maintenant, c’est BOOM boom .”
La terre se referme sur nous.
Et la petite Hadil est morte. [1]