Photo : Une Palestinienne à Gaza, mars 2024 © Quds News Network
L’attaque de l’Iran contre Israël a mis à l’épreuve les défenses aériennes du pays, mais a réparé - au moins temporairement - les relations fracturées entre Tel Aviv et Washington, et a fait disparaître la guerre et la famine imminente à Gaza des gros titres et de l’ordre du jour diplomatique.
À Gaza, où la quasi-totalité de la population civile est déplacée et affamée après plus de six mois de guerre, ce changement d’attention a été durement ressenti.
"Les pays et les peuples avaient de la sympathie pour nous, mais elle s’est déplacée vers Israël", a déclaré Bashir Alyan, un ancien employé de l’Autorité palestinienne âgé de 52 ans, qui vit désormais sous une tente à Rafah avec ses cinq enfants. "Israël est devenu la victime du jour au lendemain."
Il a observé le changement soudain d’orientation diplomatique, car la vie de sa famille en dépend. Ils vivent essentiellement de l’aide alimentaire fournie par l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, et ne prennent que deux repas par jour. Il a perdu 20 kg en six mois.
"Les pressions internationales qui s’exerçaient sur Israël pour qu’il apporte plus d’aide et arrête l’agression contre Gaza appartiennent désormais au passé", a-t-il déclaré, même s’il n’a pas non plus de temps à consacrer à l’Iran. "Les problèmes de l’Iran ne sont pas les nôtres. Il ne poursuit que ses propres intérêts."
Le président américain, Joe Biden, a intensifié la pression sur Israël pour qu’il améliore l’accès des travailleurs humanitaires et laisse entrer davantage d’aide à Gaza, notamment après l’assassinat de sept personnes travaillant pour l’agence alimentaire World Central Kitchen en mars.
La semaine dernière, Samantha Power, responsable de l’aide humanitaire aux États-Unis, a été la première personne officielle du pays à confirmer que la famine commençait à s’installer dans le territoire. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, des discussions ont eu lieu sur la légalité des ventes d’armes à Israël, compte tenu de la situation à Gaza.
En réponse, Israël a promis d’"inonder" Gaza d’aide, d’améliorer la coordination avec les humanitaires afin qu’ils puissent acheminer l’aide sans risquer d’être attaqués, d’ouvrir des points de passage directement vers le nord de Gaza, où la famine est la plus grave, et d’autoriser l’arrivée de denrées alimentaires par son port d’Ashdod.
Le respect de ces mesures a été mitigé : un point de passage nord est désormais ouvert, mais l’ONU - qui fournit la quasi-totalité de l’aide alimentaire à Gaza à l’heure actuelle - n’est pas encore autorisée à l’emprunter. Toutefois, le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a semblé changer légèrement de position.
L’attaque sans précédent menée par l’Iran au cours du week-end, en réponse à une frappe israélienne sur un complexe diplomatique à Damas, a en effet contraint les États-Unis et d’autres alliés à mettre de côté leurs divergences et à se rallier à Israël.
"Tous les regards étant tournés vers la dangereuse escalade entre Israël et l’Iran, nous craignons que Gaza ne soit abandonnée", a déclaré Tania Hary, directrice exécutive de Gisha, une ONG israélienne créée pour protéger la liberté de mouvement des Palestiniens, en particulier ceux de Gaza.
"Les mesures qui ont été prises au cours du mois dernier pour élargir l’accès sont terriblement et dangereusement inadéquates et ne répondent pas de manière significative à la crise, mais tout ce qui se passe ne se produit que grâce à la pression internationale. Avec tant de vies en jeu, le monde ne peut pas se permettre de détourner le regard".
Les États-Unis semblent si distraits que les principaux responsables ont du mal à suivre les envois d’aide qui, la semaine dernière, étaient considérés comme une priorité.
Le porte-parole de la Maison Blanche chargé de la sécurité nationale, John Kirby, a déclaré lors d’une interview lundi que les États-Unis étaient toujours déterminés à apporter davantage d’aide aux civils dans le territoire. "Notre politique à l’égard de Gaza changera si nous ne constatons pas de changements significatifs au fil du temps", a-t-il déclaré.
Mais il a également indiqué qu’environ 2 000 camions d’aide étaient arrivés au cours de la semaine écoulée. Ce chiffre est bien plus élevé que les chiffres de l’ONU pour la même période et, même s’il est exact, il représente à peine la moitié des 500 camions quotidiens qu’Israël et l’ONU estiment nécessaires pour atténuer la famine qui menace la bande de Gaza.
Les chiffres israéliens concernant les livraisons d’aide sont légèrement plus élevés, mais ils incluent les camions arrivant dans une zone d’attente située juste à l’intérieur de la frontière, tandis que les Nations unies comptabilisent ceux qui partent de cette zone pour entrer dans la bande de Gaza. Les camions de l’ONU partent toujours entièrement chargés, alors qu’Israël autorise les chargements partiels.
On craint également de plus en plus que, le monde étant focalisé sur les menaces de l’Iran, Israël ne donne suite à sa promesse d’envoyer des troupes à Rafah, la ville située à l’extrémité sud de la bande de Gaza, qui est le seul endroit de la bande à ne pas avoir connu de combats intenses.
L’armée israélienne a déclaré dimanche qu’elle appelait deux brigades de réservistes "pour des activités opérationnelles sur le front de Gaza", sans donner plus de précisions.
"Si ces troupes sont amenées à Rafah, ce sera un désastre", a déclaré Hikmat al-Masry, une universitaire de 48 ans, mère d’un enfant, originaire de Gaza City, qui s’est réfugiée dans la ville méridionale.
"C’est le poumon par lequel tous les habitants de la bande de Gaza respirent. C’est le seul point de passage où l’aide peut entrer", a-t-elle déclaré. "Où iront tous ces nombreux réfugiés ?"
Plus d’un million de personnes vivent dans des tentes et des abris de fortune, après avoir fui les combats plus au nord. Les États-Unis ont déclaré qu’Israël ne pouvait poursuivre l’opération que s’il disposait d’un plan clair pour protéger les civils.
M. Netanyahou affirme que quatre bataillons du Hamas se cachent à Rafah et que les plans d’une opération ont été approuvés, mais il n’a pas fixé de date pour l’opération.
L’attaque de l’Iran a déjà détourné l’attention des frappes aériennes et des combats sur le terrain qui ont tué des dizaines de milliers de Palestiniens.
Selon le ministère de la santé de Gaza, contrôlé par le Hamas, le nombre de morts s’élève à plus de 33 700, dont une majorité de femmes et d’enfants. Israël a lancé la guerre après que le Hamas a tué environ 1 200 personnes, dont la plupart étaient des civils, lors d’une attaque transfrontalière le 7 octobre.
Al-Masry a déclaré : "Alors qu’Israël subissait une attaque de l’Iran qui n’a tué personne, nous avons été attaqués avec une grande cruauté par Israël, sans que personne ne fasse attention à nous."
"La situation ici est pour le moins tragique, car la guerre se poursuit depuis plus de six mois sans que les pays influents dans le monde n’interviennent sérieusement pour y mettre un terme."
Traduction : AFPS