La question de l’eau avant l’indépendance d’Israël
Dans ce milieu au climat méditerranéen ou aride de la Palestine, la question de l’eau a toujours été prégnante. À l’époque ottomane, l’irrigation était peu importante, à l’exception de l’oasis de Jéricho (dans la vallée du Jourdain) et des orangeraies du littoral (oranges de Jaffa). La consommation, parcimonieuse, était maîtrisée et les pénuries étaient exceptionnelles. Dès les débuts du sionisme, la question de l’eau (et en particulier les questions de l’irrigation et de la production d’hydroélectricité) sont soulevées, notamment par Theodor Herzl dans deux ouvrages [2]. Cette question est ensuite utilisée en 1919 pour justifier la revendication sioniste d’inclure le Sud-Liban dans la Palestine mandataire [3], matrice, pour les sionistes, du futur « Foyer national juif ». Dès les débuts du mandat britannique sur la Palestine, l’utilisation des eaux du Jourdain est envisagée comme un moyen de développement du futur « Foyer national juif » ; c’est ainsi qu’en 1923, un premier barrage hydroélectrique fut implanté sur le Jourdain au sud du lac de Tibériade. Dans les années trente, le Yichouv [4], qui fonctionne comme un proto État, et l’Organisation sioniste [5], a été l’outil principal de la colonisation juive en Palestine. mettent en place des structures de gestion de l’eau, comme la compagnie Mekorot (1936) et demandent à un agronome étasunien un plan de développement hydraulique pour le futur État hébreu, plan qui sera appelé « Jordan Valley Authority », sur le modèle de la « Tennessee Valley Authority » !
Les débuts de l’accaparement de la ressource en eau par Israël
Dès l’indépendance, l’agriculture est considérée comme une priorité et le développement de l’irrigation indispensable : en 1953, Israël entreprend la construction d’un canal de dérivation des eaux du Jourdain à partir du lac de Tibériade pour irriguer la plaine côtière et le nord du Néguev, projet rejeté par les pays arabes limitrophes qui y voient, à juste titre, une ponction arbitraire sur les ressources communes. Pourtant, Israël en profitera pour maximiser sa part au détriment de ses voisins.
La spoliation sauvage des Palestiniens (1967-1992)
La guerre de 1967 est une véritable aubaine pour Israël qui contrôle désormais une des sources du Jourdain située sur le plateau du Golan et la totalité des ressources des aquifères de Cisjordanie, et entend bien utiliser toute cette eau pour ses propres besoins. Dès l’été 1967, l’eau en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza est placée sous contrôle militaire (ordre militaire n° 92 du 15 août 1967). Cet ordre militaire a révoqué toutes les licences de forage préalablement accordées par le gouvernement jordanien et a interdit les pompages dans le Jourdain « pour raisons de sécurité ». Dès l’été 1967, Israël a ainsi un contrôle total sur les ressources en eau et peut les utiliser au développement de ses projets de colonisation. Le creusement de nouveaux puits est dès lors soumis à l’autorisation des autorités militaires (autorisations très rarement accordées : 37 en 30 ans [1967-1996], alors que la population palestinienne a plus que doublé). La profondeur des puits palestiniens est limitée à 300 m, alors que les puits israéliens peuvent atteindre 1 500 m. En 1975, Israël installe des compteurs sur les puits palestiniens, afin de limiter la consommation d’eau. Le bilan au début des années quatre-vingt-dix est clair : la consommation totale d’eau en Palestine a stagné à un peu plus de 100 millions de m³ par an, la consommation par habitant a été divisée par plus de deux, la superficie agricole irriguée a nettement diminué. Ainsi, « Le temps pour l’eau s’est arrêté en 1967 dans les territoires occupés » analyse l’agronome palestinien I. Mattar [6].
Les accords d’Oslo : la validation de la spoliation
Les aspects essentiels des accords
Dans la « Déclaration de principes pour des arrangements intérimaires d’autonomie » du 13 septembre 1993 (appelée parfois Oslo I) la question de l’eau n’est mentionnée que pour mémoire. C’est seulement dans la préparation et dans le second accord (dit Oslo II, 1995) que cette question est traitée. Plusieurs institutions sont créées :
- une autorité palestinienne de l’eau (PWA) a compétence sur les questions de l’eau et de l’assainissement,
- la Commission jointe de l’eau (JWC) est composée paritairement d’experts palestiniens et israéliens.
Mais, ces structures n’ont aucune compétence sur la zone C (qui couvre 61 % de la superficie de la Cisjordanie, mais à peine 10 % de sa population). La PWA est responsable de la distribution de l’eau et de l’assainissement en Cisjordanie, mais n’a aucun pouvoir sur les flux qui sont régis exclusivement par la société israélienne Mekorot. La JWC est certes paritaire, mais tous ses membres ont un droit de veto sur ses décisions, les Israéliens ne s’en privent pas ! C’est ainsi que la plupart des projets palestiniens sont refusés une fois, deux fois, trois fois, 10 fois, voire plus, ce qui allonge les délais de réalisation et en augmente les coûts financiers. Par ailleurs, si les quotas d’eau attribués à la Palestine sont augmentés, la part de l’eau attribuée aux Palestiniens reste limitée à 15 % de la production totale d’eau, alors que ces derniers représentent 35 % de la population vivant entre Méditerranée et Jourdain.
L’acceptation de l’accord sur l’eau par les négociateurs palestiniens
Comment, lors des négociations qui ont abouti à l’accord dit d’Oslo II, les Palestiniens ont-ils pu accepter un accord aussi léonin ? La journaliste Aziza Nofal [7] nous donne quelques clés. Elle a pu s’entretenir avec un membre de la délégation palestinienne ayant signé les accords d’Oslo qui pointe plusieurs problèmes :
- le manque d’expertise de la délégation palestinienne, face à une délégation israélienne pertinente qui avait depuis longtemps considéré la question de l’eau comme essentielle,
- la manière dont les négociations d’Oslo ont été menées qui a amené le départ des experts palestiniens dans le domaine de l’eau, en particulier celui de Abderrahman Tamimi [8],
- l’objectif principal des politiques palestiniens qui était de parvenir à un accord.
A. Tamimi insiste sur les failles de l’accord, en particulier la séparation entre l’approvisionnement des populations en eau (réseau, distribution, facturation…) qui est du ressort de l’Autorité palestinienne et la ressource en eau restée sous le contrôle d’Israël, qui peut ouvrir ou fermer les vannes. Pour lui, l’article 40 de l’accord d’Oslo II (relatif à l’eau et à l’assainissement) est « la pire partie de l’accord ».
Et depuis la signature des accords d’Oslo, très largement rejetés par tous les gouvernements israéliens qui se sont succédé depuis 1994, la confirmation de volonté totale n’a fait que se confirmer : alors que certains [9] avaient pu penser que, quand Israël aurait réalisé son ambitieux plan de dessalement d’eau de mer, il pourrait rétrocéder à l’Autorité palestinienne la gestion d’une partie (au moins) des aquifères de Cisjordanie, il a rejeté cette hypothèse (2020) et a proposé à l’AP d’acheter de l’eau dessalée, dont le prix est 3 à 4 fois plus élevé que celui de l’eau issue des aquifères…
Ainsi, la délégation palestinienne à Oslo a consenti, de facto, à valider le contrôle total d’Israël sur les ressources en eau, c’est-à-dire d’accepter la spoliation de son propre peuple, dans l’attente d’un accord définitif… qui n’est jamais venu.
Jacques Fontaine
Photo : Bassins de retenues d’eau à Wadi Foukin