Photo : Des médecins protestent contre le siège de Gaza au poste de contrôle de Erez, le 26/10/2008 (Crédit : Activestills - Oren Ziv)
Dans le monde entier, le 15 février est reconnu comme la Journée internationale du cancer de l’enfant. Cette campagne vise à sensibiliser le public au fait que plus de 400 000 personnes de moins de 20 ans se voient diagnostiquer un cancer chaque année et que, si le taux de survie au cancer chez l’enfant est d’environ 80 % dans les pays à revenu élevé, il n’atteint pas 20 % dans les pays à revenu faible ou intermédiaire (PRFM).
Si l’économie d’un pays et sa capacité à fournir des soins de santé de qualité accessibles à tous sont certainement une raison de cette disparité, il existe de multiples facteurs supplémentaires qui, dans les environnements de violence politique, d’oppression et de discrimination, rendent encore plus difficile l’accès à des soins désespérément nécessaires.
Pour les Palestiniens, cela inclut les restrictions de déplacement qui leur sont imposées par Israël et le système complexe de permis médicaux nécessaire pour les contourner.
Cette année, à l’occasion de la Journée internationale du cancer de l’enfant, le Centre palestinien pour les droits de l’Homme (PCHR) a publié un rapport déchirant, qui révèle que 350 enfants atteints de cancer vivent dans la bande de Gaza et ont désespérément besoin de soins rapides et constants. Pourtant, en plus de leur maladie et des luttes endurées par leurs familles, ces enfants doivent également faire face aux obstacles bureaucratiques pour demander et d’obtenir des permis pour quitter la bande de Gaza assiégée et se rendre en Israël, à Jérusalem-Est ou en Cisjordanie, afin de recevoir les soins dont ils ne disposent pas sur place.
En 2022, 28% de ces permis ont vu leur délivrance retardée ou refusée. Trois enfants qui avaient été orientés vers des soins à l’étranger sont morts alors qu’ils attendaient leur permis.
Même pour les enfants qui parviennent à obtenir un permis, le membre de leur famille qui les accompagne n’a pas forcément cette chance. Pour 43% des enfants, le difficile voyage hors de Gaza vers un hôpital où ils reçoivent des traitements physiquement et émotionnellement épuisants, est un voyage qu’ils ont dû endurer sans leurs parents, auxquels les autorisations ont été refusées ou retardées. Ces enfants doivent souvent voyager avec un parent éloigné qu’ils ne connaissent pas bien, ou un grand-parent âgé pour qui le voyage lui-même est un défi.
Environ 9 000 personnes sont atteintes d’un cancer dans la bande de Gaza. Toutes sont confrontées au même manque de traitements pharmaceutiques et d’équipements de pointe qui permettraient de diagnostiquer et de traiter plus rapidement et plus facilement le cancer.
Ces difficultés imposées par Israël n’affectent cependant pas que les patients atteints de cancer. Les personnes souffrant de diverses affections et ayant des besoins médicaux critiques doivent demander des permis pour recevoir les soins dont elles ont besoin, notamment en chirurgie cardiaque, en neurochirurgie et en ophtalmologie.
Si les Palestiniens de Cisjordanie ont accès à des services plus avancés, ils doivent néanmoins demander un permis pour recevoir certains types de soins en Israël ou à Jérusalem-Est.
En 2017, Israël n’a approuvé que 54 % des permis, soit le taux d’approbation le plus bas depuis que des données sur les demandes de permis sont recueillies par l’Organisation mondiale de la santé. On estime que 54 Palestiniens sont morts cette année-là en attendant leur permis.
"Au mieux, chaque refus ou retard augmente inutilement le stress et l’inquiétude pour le patient et sa famille. Au pire, l’obstruction peut avoir des conséquences mortelles" explique Rohan Talbot, directeur du plaidoyer et des campagnes de Medical Aid for Palestinians. "Cette situation est intrinsèquement discriminatoire. Israël a créé une situation d’insécurité permanente pour les Palestiniens de Gaza, sur la vie et les besoins fondamentaux desquels il maintient le contrôle, tout en justifiant cette punition collective comme nécessaire à la sécurité de ses propres citoyens" a-t-il ajouté.
Ainsi, alors que les Palestiniens subissent souvent les contraintes associées aux pays pauvres, leur souffrance est aggravée par les restrictions israéliennes qui exacerbent l’incapacité de leur système de santé à répondre à leurs besoins. Ces restrictions portent notamment sur ce qui peut être importé dans les pays, notamment en raison du blocus de la bande de Gaza, comme les appareils d’imagerie médicale PET CT, les équipements de radiothérapie, et même les matières premières nécessaires à la construction et à l’entretien des établissements de santé, comme le ciment et les tuyaux.
Les Palestiniens se heurtent également à des obstacles pour participer à des formations et à des séminaires en dehors des territoires, tout comme les équipes extérieures qui espèrent entrer dans les territoires pour soutenir les travailleurs de la santé.
En novembre 2022, l’organisation Physicians for Human Rights-Israel (PHR-I) a publié un document de synthèse sur ce qu’elle appelle les "mécanismes d’oppression" concernant le système de permis médicaux, qui implique "de se procurer des documents, de remplir des formulaires, de les soumettre au Comité palestinien des affaires civiles, de les faire examiner et de les remettre aux autorités israéliennes, et enfin d’attendre que le permis soit délivré - tout en espérant qu’une réponse arrive avant le traitement prévu."
PHR-I est l’une des organisations vers lesquelles les patients se tournent souvent lorsque leur permis est refusé ou retardé, et dans de nombreux cas, leur intervention permet d’obtenir l’annulation d’un refus. Cela démontre le processus arbitraire et ouvertement rigide qu’Israël impose à des personnes qui, même avec un lourd dossier médical et souvent dans un état de détérioration physique visible et évident, sont toujours considérées comme des risques pour la sécurité – y compris, apparemment, des enfants.
Israël justifie souvent ses restrictions de mouvement onéreuses et sévères en invoquant la sécurité. Il prétend que les Palestiniens abusent du système de permis médical, citant une poignée de cas où des individus ont "planifié" ou avaient "l’intention" de commettre une attaque terroriste en Israël, malgré le manque de preuves fournies pour de tels incidents. Quoi qu’il en soit, Israël reste la puissance occupante de la bande de Gaza et de la Cisjordanie et a, de ce fait, une responsabilité envers la santé des Palestiniens.
La punition collective imposée aux Palestiniens par le biais du système de permis médicaux et de nombreuses autres manières, n’est justifiable à aucun point de vue : ni sur le plan juridique ni sur le plan éthique. Les faits suggèrent plutôt qu’Israël utilise le système d’autorisation comme un mécanisme de contrôle et pour faire pression sur des groupes comme le Hamas. Il est également utilisé comme un moyen de forcer des Palestiniens à communiquer des informations les uns sur les autres.
West Bank Access 2022 - @WHO's summary
❌12,905 Patient permits denied
🧑🤝🧑 20,094 Companion permits denied
🏥330K+ People's health access affected by closures of Nablus and Shu'fat
🚑93% Ambulance transfers delayed at checkpoints into East Jerusalem👉https://t.co/LBrnt3FKcG pic.twitter.com/22wWxn1xku
— WHO in occupied Palestinian territory (@WHOoPt) February 23, 2023
Une femme qui a demandé un permis pour rendre visite à sa mère malade en Cisjordanie depuis Gaza s’est vu répondre : "Nous vous laisserons rendre visite à votre famille à une condition : vous et vos enfants devez renoncer à votre adresse enregistrée en Cisjordanie et l’enregistrer à Gaza."
Le refus de circuler et les restrictions onéreuses n’ont rien de nouveau pour les Palestiniens qui vivent avec depuis des décennies. Mais les questions de santé se posent en termes de temps et un retard dans les soins peut, pour certains, faire la différence entre la vie et la mort.
Le système de permis médicaux fait partie d’une structure d’oppression plus large qui, parce que bureaucratique plutôt qu’explicitement violente, est souvent ignorée par les organismes internationaux qui auraient autrement la possibilité de critiquer avec modération ou au moins, de remettre en question les campagnes de bombardement ou les raids. Ce "mécanisme d’oppression" cause cependant des dommages incalculables, notamment une mortalité prématurée, d’une manière plus difficile à mesurer que celle de la violence militaire, mais tout aussi destructrice.
Traduction : AFPS