- Dessin d’Ibtissam Tayani, 10 ans.
Les crimes de guerre sont constitués
par les « violations graves » des
règles internationales applicables
dans les conflits armés. Ces crimes
sont des délits pénaux donnant lieu à une
responsabilité individuelle. La définition plus
précise du contenu de ces délits suppose au
préalable de rappeler la distinction qui
existe, dans le droit international des conflits
armés, entre le « droit de La Haye » et le
« droit de Genève ». Le premier vise les
règles gouvernant la conduite des hostilités
(armes, méthodes de guerre,...), telles
qu’elles sont notamment codifiées par le
Règlement de La Haye de 1907, et le second
établit la protection des personnes qui se
trouvent sous le pouvoir de l’ennemi,
notamment les civils situés en territoire
occupé (4e Convention de Genève de 1949).
La notion de crime de guerre est apparue
en 1945 dans les statuts du Tribunal de
Nuremberg et du Tribunal de Tokyo, visant
la violation des lois et coutumes de la
guerre [1]. Elle a ensuite été codifiée dans
les quatre Conventions de Genève de 1949
qui érigent certaines de leurs violations
en « infractions graves » lorsqu’elles sont
commises « contre des personnes ou des
biens protégés » par les conventions. Ces
infractions sont définies dans la 4e Convention
de Genève (article 147) comme visant
« l’homicide intentionnel, la torture ou les
traitements inhumains, y compris les expériences
biologiques, le fait de causer intentionnellement
de grandes souffrances ou de
porter des atteintes graves à l’intégrité physique
ou à la santé, la déportation ou le transfert
illégaux, la détention illégale, le fait de
contraindre une personne protégée à servir
dans les forces armées de la Puissance ennemie,
ou celui de la priver de son droit d’être
jugée régulièrement et impartialement selon
les prescriptions de la présente Convention,
la prise d’otages, la destruction et l’appropriation
de biens non justifiées par des nécessités
militaires et exécutées sur une grande
échelle de façon illicite et arbitraire ».
Israël est partie à cette Convention, ce qui
implique que l’on puisse lui opposer les
infractions qui y sont énoncées. En revanche,
les violations graves du droit de La Haye
n’ont fait l’objet d’une incrimination que
dans le 1er Protocole additionnel aux
Conventions de Genève, adopté en 1977,
auquel Israël n’est pas partie. Il est toutefois
envisageable de considérer que l’incrimination
des violations du droit de La
Haye a acquis le statut de coutume internationale,
ce qui la rendrait applicable à
Israël. Les crimes de guerre font désormais
l’objet d’une énumération exhaustive
dans le Statut de la Cour pénale internationale
(article 8), mais à nouveau Israël
n’y est pas partie.
L’attribution d’un crime de guerre à un
individu suppose la réunion de plusieurs
éléments : le comportement visé doit correspondre
à une incrimination comme
crime de guerre dans un texte applicable
ou dans la coutume internationale et ce
comportement doit être imputable à l’individu
concerné. Cette dernière condition suppose soit que la personne ait commis
matériellement le crime, soit qu’elle en ait
été complice, soit qu’elle en ait ordonné
l’exécution, soit encore qu’en tant que
supérieur hiérarchique, elle n’ait pas empêché
le crime en sachant qu’il allait être
commis ou n’en ait pas assuré la répression [2].
Les crimes de guerre commis
par les autorités israéliennes
Comme l’attestent de nombreux rapports
internationaux, l’occupation des territoires
palestiniens par Israël donne lieu à la commission
à grande échelle de crimes de
guerre. Ces crimes concernent tout d’abord
les moyens de répression utilisés par l’armée
israélienne : représailles disproportionnées
impliquant la mort de civils et la destruction
de biens de nature non militaire,
homicides intentionnels de personnes
civiles, tortures, détentions illégales, destruction
de maisons à titre de peine collective [3], etc.
Des crimes de guerre sont encore commis
dans la mise en oeuvre par les autorités
israéliennes de leur politique de colonisation
et d’annexion des territoires palestiniens.
Ainsi, la pratique d’implantation de
colonies juives dans ces territoires occupés
constitue un transfert de population civile
prohibé par l’article 49 de la 4e Convention
de Genève et érigé en infraction par l’article
147 de la même convention. De la même
manière, les réquisitions de propriété et la
destruction de biens, qui interviennent à
grande échelle afin d’assurer l’installation
des colonies ou l’édification du Mur en
territoire palestinien sont, comme la Cour
internationale de Justice l’a constaté dans
son avis du 9 juillet 2004, contraires au
droit international humanitaire et susceptibles
à ce titre de constituer des crimes
de guerre si leur caractère « arbitraire » est
avéré (article 147 de la 4e Convention de
Genève).
Si l’on sort du cadre des territoires palestiniens
occupés, on peut encore relever
que des crimes de guerre imputables à des
responsables politiques ou militaires israéliens
ont été commis au Liban, notamment
lors de la récente guerre de l’été 2006
(attaques indiscriminées contre des personnes
et des biens civils) [4] ou, en remontant
plus loin dans le temps, dans le contexte
des massacres de Sabra et Chatila (responsabilités
en tant qu’autorités contrôlant
l’opération menée par les
phalanges chrétiennes
dans les camps palestiniens) [5].
Les nombreux cas de
crimes de guerre qui sont
ainsi rapportés devraient
pouvoir faire l’objet de
poursuites contre les personnes
responsables. Il
faut toutefois souligner
que les rapports internationaux
dégagent le plus
souvent des responsabilités
générales, mais que
l’engagement d’une responsabilité
pénale individuelle
suppose que
puisse être établie la
preuve précise de nombreux
éléments : les circonstances
exactes du
comportement reproché,
l’identité certaine de son
auteur, les supérieurs responsables
et leur attitude
face au crime commis,
l’existence d’une intention
particulière pour certaines
infractions (par exemple, le caractère
intentionnel d’un homicide), etc.
Actuellement, le droit international prévoit
deux modalités de mise en oeuvre de la
répression des crimes de guerre : soit par
les Etats, soit par une juridiction internationale.
- Dessin de Jacques Abounawas, 11 ans.
La répression des crimes de
guerre par les Etats
La 4e Convention de Genève prévoit à
charge des Etats parties une obligation
d’assurer la répression des crimes de guerre,
en établissant ce que l’on appelle une compétence
« universelle ». L’article 146 de la
convention prévoit que « chaque Partie
contractante aura l’obligation de rechercher
les personnes prévenues d’avoir commis,
ou d’avoir ordonné de commettre, l’une
ou l’autre de ces infractions graves, et elle
devra les déférer à ses propres tribunaux,
quelle que soit leur nationalité. » La Partie
« pourra aussi, si elle le préfère, et selon les
conditions prévues par sa propre législation,
les remettre pour jugement à une autre Partie
contractante intéressée
à la poursuite, pour
autant que cette Partie
contractante ait retenu
contre lesdites personnes
des charges suffisantes ».
Il découle de cet article
l’obligation pour les Etats
de poursuivre les personnes
responsables de
crimes de guerre trouvées
sur le territoire
national, quelle que soit
leur nationalité, le lieu
de l’infraction ou la
nationalité de la victime.
Le commentaire de
l’article 146 réalisé par
le Comité international
de la Croix-Rouge souligne
que cette disposition
impose aux parties
à la convention une attitude
active et spontanée : « Dès que l’une
d’elles a connaissance du
fait qu’il se trouve sur son
territoire une personne
ayant commis une telle
infraction, son devoir est de veiller à ce que
cette personne soit arrêtée et poursuivie rapidement » [6].
C’est donc principalement aux Etats qu’il
revient d’assurer la répression des crimes
de guerre. En premier lieu, c’est à l’Etat
dont relèvent les auteurs de crimes de
guerre qu’il incombe d’entamer les poursuites,
en vertu de son obligation de « faire
respecter » les dispositions du droit international
humanitaire, comme le prévoit
l’article 1er de la 4e Convention de Genève.
En l’occurrence, Israël devrait prendre les
mesures préventives et répressives qui
s’imposent, lorsque des crimes de guerre
sont commis par les membres de ses forces
armées. Force est de constater toutefois
que c’est l’impunité qui prévaut en Israël [7].
Comme le souligne John Dugard, « Bien
qu’Israël, à la différence de la Palestine, soit
doté d’un système de justice pénale très perfectionné,
les poursuites sont extrêmement
rares. » [8]
La Convention de Genève oblige également
les autres Etats à juger ou extrader les
personnes soupçonnées de crimes de guerre,
lorsqu’elles sont trouvées sur leur territoire.
La mise en oeuvre effective de cette
obligation est toutefois tributaire de l’adoption
par l’Etat d’une législation nationale
qui attribue au juge pénal national une
telle compétence universelle. C’est ainsi,
par exemple, que la France ne connaît
actuellement dans sa législation aucune
définition des crimes de guerre ni aucune
compétence spéciale qui permette à ses tribunaux
de juger des auteurs de crimes de
guerre trouvés en France, lorsque
l’affaire ne présente aucun
autre élément de rattachement
avec la France (auteur
ou victime de nationalité
française, par exemple) [9].
Il faut toutefois constater
que l’existence d’une loi prévoyant
une très large compétence
universelle n’est pas
une garantie de voir aboutir
des plaintes introduites
pour des crimes de guerre manifestes. Tout
d’abord, les personnes qui occupent des
fonctions de représentants de l’Etat sur la
scène internationale jouissent d’une immunité
de juridiction (le Premier ministre et
le ministre des Affaires étrangères). Ensuite,
la mise en oeuvre de la compétence universelle
peut se heurter à des obstacles politiques
et diplomatiques, comme l’a montré
de manière emblématique l’affaire
Sharon, en Belgique. Une plainte avait été
déposée en 2001 devant un juge d’instruction
par certaines victimes des massacres
de Sabra et Chatila, à l’encontre
notamment d’Ariel Sharon et d’Amos
Yaron, respectivement ancien ministre de
la Défense et ancien commandant lors de
l’invasion de Beyrouth-Ouest, en 1982 [10].
Alors que la plainte était finalement déclarée
irrecevable à l’égard d’Ariel Sharon, en
raison de son
immunité, les poursuites
étaient autorisées
à l’encontre
d’Amos Yaron. A la
suite d’un refroidissement
diplomatique
entre la
Belgique et Israël,
due à cette affaire,
et au dépot d’une
plainte contre
George Bush Sr., la
loi belge de compétence universelle a été
modifiée de manière à empêcher la continuation
de l’instruction. De fait, la Cour
de cassation n’a pu que prononcer, en septembre
2003, la fin de l’action menée à
l’encontre d’Amos Yaron.
L’introduction de plaintes auprès d’autorités
judiciaires étatiques visant des crimes
de guerre commis par des responsables
militaires ou politiques israéliens est donc
possible (et constitue une obligation internationale
lorsque le responsable se trouve
sur le territoire national), mais la pratique
montre qu’une telle possibilité se révèle
difficile à mettre en oeuvre.
Les limites de la compétence
de la CPI
En 1998 a été adopté le Statut de Rome, instituant
la Cour pénale internationale (CPI).
Cette création prolonge l’expérience issue
des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo,
établis à la suite de la Seconde Guerre mondiale,
et des tribunaux pénaux pour l’ex-
Yougoslavie et le Rwanda, créés dans les
années 1990. A la différence de ces tribunaux
internationaux, dont la compétence
a été définie par référence à un contexte particulier,
la CPI présente un caractère permanent
et une compétence à prétention
universelle. Elle est compétente pour juger
les crimes internationaux les plus graves,
en particulier les crimes de guerre, les
crimes contre l’humanité, les crimes de
génocide et les crimes d’agression (mais
l’exercice de cette dernière compétence est
suspendu jusqu’à nouvel accord). La compétence
de la CPI est conçue comme étant complémentaire de celle des Etats, ces derniers
étant habilités à mettre en oeuvre des
poursuites concernant une affaire traitée
par la Cour, cette dernière étant alors forcée
de s’en dessaisir.
Certaines limites à l’exercice de la compétence
de la CPI rendent illusoire la possibilité
de poursuivre devant celle-ci les
militaires ou les responsables politiques
israéliens, auteurs de crimes de guerre.
Selon le Statut de Rome, la CPI n’est compétente
que pour les crimes commis par un
ressortissant d’un Etat partie (critère de
nationalité) ou commis sur le territoire
d’un Etat partie (critère de territorialité).
Israël n’étant pas partie au Statut, les crimes
commis par ses soldats ou ses responsables
politiques échappent à la compétence de
la Cour, au regard du critère de nationalité
de l’auteur du crime. Si les crimes ont
été commis sur le territoire d’un autre Etat,
il convient de vérifier, au regard du critère
de territorialité, si l’Etat concerné est
lui-même partie au Statut de Rome [11].
Cependant, aucun Etat arabe, à l’exception
de la Jordanie, n’est à ce jour partie au
Statut de la CPI. Il s’ensuit, par exemple,
que les crimes commis pendant la guerre
de l’été 2006 sur le territoire libanais ne
peuvent être jugés par la CPI, faute pour
le Liban d’avoir ratifié le Statut [12].
Sur un plan théorique, il demeure certes
la possibilité que le Conseil de sécurité
défère une situation particulière à la Cour,
en dépit du fait que le ou les Etats concernés
ne soient pas parties au Statut. Ce pouvoir
a été utilisé récemment pour rendre
compétente la CPI pour les crimes commis
au Darfour (résolution 1593 du 31
mars 2005). S’agissant d’Israël, il est toutefois
illusoire de voir le Conseil de sécurité
adopter une résolution accordant compétence
à la CPI, en raison de l’inévitable
veto américain.