Jacques Fontaine, AFPS - PalSol n°74
1. Gisements gaziers et zones économiques exclusives (ZEE)
D’importants gisements de gaz naturel ont été identifiés en Méditerranée orientale, dans le bassin du Levant, depuis une vingtaine d’années, suite à la découverte d’un premier réservoir en 1999 au large de la côte israélienne.
Ces réserves se monteraient à environ 4 000 milliards de m³, soit environ 2 % des réserves mondiales. Cela n’a évidemment rien à voir avec les réserves du Golfe arabo-persique ou celles de Russie. Elles sont situées entre la côte sud de Chypre, la côte nord de l’Égypte et la côte occidentale des pays du Levant (Syrie, Liban, Israël et Palestine [Bande de Gaza]). Les plus importantes sont situées en haute mer, au-delà du plateau continental, dans des zones de 1 500 à 2 500 m de profondeur. Dès que la richesse en gaz naturel de la Méditerranée orientale a été connue, une compétition a été lancée entre les pays riverains, compétition exacerbée récemment par la volonté turque d’avoir une part du gâteau, sans tenir compte des conventions internationales. Aucun des gisements n’est dans les eaux territoriales des pays de la Méditerranée orientale, c’est donc la réglementation des zones économiques exclusives (ZEE) qui s’applique (Convention dite de Montego Bay, 1982). Une ZEE est, d’après le droit de la mer, un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière d’exploration et d’usage des ressources.
Elle s’étend jusqu’à 200 milles marins (370,42 km) de ses côtes au maximum, mais la Méditerranée orientale ayant moins de 400 milles marins de large, les limites entre les ZEE doivent être fixées par des conventions bilatérales sur le principe de l’équidistance des lignes de côtes, ce qui ne va pas toujours sans difficultés…
2. L’activisme israélien dans le domaine du gaz naturel
Les premières découvertes ont été faites en 1999 à une vingtaine de milles de la côte (Mari-B, Gaza Marine, cf. carte), mais les plus importantes ont eu lieu plus au large et plus tard Tamar, 2009 ; Léviathan, 2010 ; Aphrodite, 2011 et Zohr, le champ gazier le plus important (850 milliards de m³) en 2015 (dans la ZEE égyptienne). Israël a commencé l’exploitation de Mari-B en 2003 (il est aujourd’hui épuisé) et de Tamar en 2013. Ainsi, Israël, maintenant autosuffisant en gaz naturel, peut se passer des importations, réaliser des projets gourmands en énergie, tels les usines de dessalement de l’eau de mer et se lancer dans une politique d’exportation de ses importantes ressources en gaz naturel (plus de 1000 milliards de m³ en 2015) : l’Égypte a été la première bénéficiaire de ces importations, via un gazoduc sous-marin contournant la Bande de Gaza. Mais la mise en exploitation, très onéreuse, des principaux champs gaziers de la Méditerranée orientale (qui sont proches les uns des autres, mais qui appartiennent à des ZEE différentes) doit logiquement se faire en coopération entre les différents pays. C’est ainsi qu’a été créé en janvier 2019 au Caire un « Forum du gaz de la Méditerranée orientale ».
Ce forum qui, au départ, comprenait Chypre, l’Égypte, la Grèce, Israël, l’Italie, la Jordanie et la Palestine se donnait pour but de veiller au respect du droit international dans la gestion des ressources gazières de chacun. Ce projet a reçu le soutien de l’UE en août 2019 et la France a demandé à y participer en janvier 2020.
Parallèlement, le projet de gazoduc devant relier le bassin gazier levantin à l’Europe continentale (envisagé dès 2013) se précisait et un accord entre les trois pays producteurs était signé à Athènes le 2 janvier 2020 pour la réalisation du gazoduc « EastMed » ; ce gazoduc devrait relier les gisements gaziers à Chypre, puis à la Crête et à la Grèce continentale.
Cette politique d’exportation a été confirmée par la mise en production du plus grand champ gazier israélien, Léviathan (500 à 600 milliards de m³, selon les estimations) fin 2019.
3. La Palestine bloquée
Ainsi, la Palestine a des réserves en gaz naturel, grâce à sa ZEE au large de la Bande Gaza, réserves connues depuis 1999, mais qui ne sont toujours pas en exploitation alors que la Palestine ne dispose d’aucune ressource énergétique.
Certes, les gisements de Gaza-Marine sont petits : leurs réserves totales seraient de 30 milliards de m3, soit l’équivalent des deux-tiers de la consommation annuelle française (voisine de 45 milliards de m³), mais seraient un important atout pour l’économie palestinienne. Cela n’a donc qu’un intérêt économique mineur pour Israël dont les réserves sont sans comparaisons. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’Israël ne s’y intéresse pas, mais pour des raisons politiques. Deux problèmes essentiels ne sont pas résolus :
- la limite entre les ZEE de Palestine est d’Israël n’a jamais été validée juridiquement, elle est due, semble-t-il, à une décision israélienne prise sans concertation avec l’Autorité palestinienne qui ne paraît pas s’intéresser beaucoup à cette question. Selon certains experts, l’AP pourrait revendiquer une ZEE nettement plus vaste…
- la question de fond est la même que dans bien d’autres domaines : la Palestine doit rester soumise à Israël et elle ne doit avoir aucun moyen de développement autonome : ni eau, ni gaz, ni électricité… Dès 1999, Yasser Arafat avait signé un accord avec une compagnie britannique pour l’exploitation du gisement de Gaza Marine, mais cet accord est bloqué par Israël comme toutes les tentatives suivantes, y compris le projet avec la compagnie russe Gazprom en 2014.
Et l’on peut craindre que cette situation ne se modifie pas de sitôt…