Photo : Des enfants déplacés cherchent de la nourriture près des tentes où ils sont déplacés avec leurs familles, dans la ville de Rafah, au sud de la bande de Gaza. © UNICEF/UNI521740/El Baba
La semaine dernière, le poliovirus a été identifié dans des échantillons d’eaux usées dans la bande de Gaza.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la poliomyélite est une « maladie hautement infectieuse » qui « envahit le système nerveux et peut provoquer une paralysie totale en quelques heures ».
Comme bien d’autres choses dans la bande de Gaza ces jours-ci, la polio, selon l’OMS, « touche principalement les enfants de moins de 5 ans » mais peut infecter « toute personne de tout âge qui n’est pas vaccinée ».
En outre, « une infection sur 200 entraîne une paralysie irréversible (généralement au niveau des jambes). Parmi les personnes paralysées, 5 à 10 % meurent lorsque leurs muscles respiratoires deviennent inopérants ».
On peut s’attendre à ce qu’Israël et ses apologistes accusent le Hamas d’être responsable de cet état de fait, en racontant que les autorités sanitaires de Gaza donnent la priorité à la construction de tunnels plutôt qu’à la vaccination des personnes soumises à leur autorité, que les Arabes sont corrompus, etc.
La réalité est que non seulement la polio n’est pas endémique dans la bande de Gaza, mais qu’elle a été éradiquée du territoire il y a plusieurs décennies.
Ce résultat avait été publiquement vanté par nul autre que Ted Tulchinksy, qui, de 1978 à 1994, a occupé le poste de coordinateur pour la santé en Cisjordanie et dans la bande de Gaza au sein du ministère israélien de la santé.
Le témoignage de M. Tulchinsky est important car, pendant son mandat, il a supervisé les départements de la santé des gouvernements militaires qu’Israël a établis en 1967 en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Dans un article publié en 2011 sur le site web des Instituts nationaux américains de la santé (NIH), Tulchinsky écrit que, dans les années 1970, des épidémies de polio se sont déclarées périodiquement en Israël et dans les territoires palestiniens qu’il était en train d’annexer, et ce « malgré des niveaux élevés de couverture [vaccinale] » dans la bande de Gaza en particulier, en raison de la dégradation de ses infrastructures sanitaires.
Ulchinsky raconte qu’en 1978, Israël a consulté Natan Goldblum et Joseph Melnick, deux épidémiologistes réputés de l’université Baylor, afin de mettre au point des stratégies anti-polio plus efficaces.
Leur recommandation, qui consistait à augmenter les quatre doses traditionnellement administrées aux nourrissons au cours de leur première année par trois doses supplémentaires d’une variété différente, a été appliquée pour la première fois dans la bande de Gaza. Elle s’est avérée si efficace que la maladie a été éradiquée du territoire en quelques années.
Ulchinsky ne le dit pas, mais il semble probable que, comme pour beaucoup d’autres choses, la bande de Gaza ait également servi de laboratoire humain pour les nouvelles méthodes israéliennes.
En effet, la séquence de vaccination Goldblum-Melnick a été, selon Tulchinsky, « surnommée le système de Gaza » et appliquée par la suite en Israël pour juguler une épidémie de polio en 1988.
« À la suite de cet épisode », écrit Tulchinsky, « Israël a adopté le système de Gaza et l’éradication totale de la polio a été rapidement réalisée ».
On ne sait pas exactement comment la polio est soudainement réapparue dans la bande de Gaza. Ce qui ne fait aucun doute, c’est la manière dont elle se propage. Israël a systématiquement détruit les infrastructures sanitaires, de traitement de l’eau et d’électricité de la bande de Gaza, en particulier depuis octobre 2023, entraînant l’effondrement de systèmes qui étaient déjà précaires.
L’eau contaminée, les eaux usées non traitées et les ordures non collectées, en particulier lorsqu’elles sont associées à la grave surpopulation résultant de la campagne génocidaire d’Israël et des déplacements forcés répétés de la population civile, représentent des conditions idéales pour la propagation de la maladie.
Comme l’a dit le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, en décembre dernier, « la population de Gaza est obligée de se déplacer comme des boules à facettes humaines – ricochant entre des parcelles de plus en plus petites du sud, sans aucun des éléments de base nécessaires à la survie… Les abris sont surpeuplées et insalubres. Les gens soignent des plaies ouvertes. Des centaines de personnes font la queue pendant des heures pour utiliser une douche ou des toilettes … portant des vêtements qui n’ont pas changés depuis deux mois. »
Ces conditions ont également créé un terrain propice à d’autres maladies infectieuses. Au 30 juin, l’OMS signalait près d’un million de cas d’infections respiratoires aiguës (touchant près de la moitié de la population), plus d’un demi-million de cas de diarrhée (dont près de 200 000 cas de « diarrhée aqueuse aiguë »), plus de 100 000 cas de jaunisse aiguë (suggérant que l’hépatite est répandue), et ainsi de suite.
L’OMS note que ces chiffres « doivent être interprétés avec prudence, en raison de la communication tardive et incomplète des données ». Alors que l’été entre dans sa phase la plus chaude, de nombreuses alertes ont été lancées concernant une épidémie de choléra.
À quelques rares exceptions près, Israël empêche l’entrée de carburant, de vaccins, de fournitures médicales et d’eau potable dans la bande de Gaza. Comme l’a annoncé publiquement le ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, le 9 octobre, « nous imposons un siège complet à Gaza. Il n’y aura pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant. Tout sera fermé ».
Cette politique de sadisme collectif ne se résume pas à une simple vengeance. Giora Eiland est un général de division à la retraite qui a été à la tête du Conseil national de sécurité d’Israël et qui est conseiller du gouvernement actuel. Il publie également une chronique régulière dans le journal israélien Yedioth Ahronoth.
Le 29 octobre, il a exhorté Israël à infliger « non seulement la destruction de la ville de Gaza, mais un désastre humanitaire et un chaos gouvernemental absolu … Seul ce résultat – la destruction complète de tous les systèmes à Gaza et une détresse désespérée », permettrait, selon lui, de remporter la victoire.
Le 19 novembre, il a exhorté le gouvernement à poursuivre le siège de la bande de Gaza, soulignant que « de graves épidémies dans le sud de la bande de Gaza rapprocheraient la victoire et réduiraient le nombre de victimes de l’armée israélienne ».
L’identification enthousiaste d’une société entière comme cible militaire et la détermination d’infliger un maximum de souffrances pour compenser les échecs militaires d’Israël ont été un refrain commun à tous les hauts responsables politiques et militaires israéliens.
Traduction : Chronique de Palestine