Plus d’un an après son prononcé,
le temps est venu de dresser un
premier bilan de la mise en oeuvre
de l’avis rendu par la Cour internationale
de Justice, déclarant illégale l’édification
par Israël d’un Mur dans le Territoire
palestinien occupé. A la suite du
prononcé de la décision sur le Mur,
l’Assemblée générale des Nations unies
a adopté le 20 juillet 2004, à une écrasante
majorité, la résolution ES-10/15 par
laquelle elle reconnaît l’avis de la CIJ
et demande à tous les Etats membres de
l’ONU de s’acquitter de leurs obligations
juridiques telles qu’elles sont énoncées
dans l’avis consultatif. Ces obligations,
telles qu’elles sont énoncées
par la CIJ, peuvent être distinguées en
deux catégories. La première consiste
essentiellement en des obligations d’abstention
: ne rien faire qui implique une
aide à la construction du Mur ou une
reconnaissance de la situation illégale
qu’il engendre. La seconde catégorie
d’obligations suppose au contraire l’adoption
d’un comportement actif, visant à
assurer le respect par Israël de ses obligations
découlant du droit international
humanitaire et du droit du peuple palestinien
à l’autodétermination. Dans cet
article, nous examinerons les suites données
à l’avis par les Etats tiers, agissant
au sein d’instances internationales, à
l’égard de ces deux catégories distinctes
d’obligations et leur comportement face
à l’attitude d’Israël, qui a rapidement
fait savoir qu’il poursuivrait la construction
du Mur [1] et ne se soumettrait qu’aux
décisions rendues par sa propre Cour
suprême [2].
La mise en oeuvre des obligations de non-assistance et de non-reconnaissance
La très grande majorité des Etats se sont
conformés aux obligations d’abstention
énoncées dans l’avis de la CIJ, notamment
par l’adoption de déclarations solennelles,
comme celles prises par l’Union
européenne [3], le Groupe des 77 [4] ou
encore le Mouvement des Non-Alignés [5],
qui rappellent fermement le caractère
illégal de la poursuite de la construction
du Mur par Israël. Ce type de déclarations
montre la volonté claire de ne reconnaître
aucun des effets engendrés sur le
terrain par cette construction, qu’il s’agisse
du statut de Jérusalem ou de la délimitation
des frontières d’un futur État palestinien.
C’est ainsi que l’Union européenne
a précisé qu’« aucune partie ne
devrait entreprendre des mesures unilatérales
ni préjuger des questions relatives
au statut final » et qu’elle « ne reconnaîtra
aucune modification des frontières
de 1967 autre que celles qui sont négociées
entre les parties ».
- © Khalil Abu Arafeh, Alquds.
Il faut toutefois relever le cas particulier
des Etats-Unis, qui n’ont jamais pris
clairement position sur la conformité de
la construction du Mur avec le droit
international, que ce soit avant ou après
le prononcé de l’avis de la CIJ. Toutefois,
on peut estimer, sur la foi de certaines
déclarations du Président George
W.Bush, qu’ils partagent sur le sujet
largement le point de vue d’Israël [6].
Si l’écrasante majorité des Etats se sont
donc conformés aux obligations de nonassistance
et de non reconnaissance
énoncées par l’avis de la CIJ, leur comportement
au regard des obligations
positives mises à leur charge révèlent
les difficultés juridiques et politiques
posées par l’adoption de mesures efficaces
permettant d’assurer le respect du
droit international par Israël.
Faire respecter par Israël le droit international humanitaire
Le second volet des obligations qui
s’imposent aux Etats consiste principalement
à faire respecter
par Israël le
droit international
humanitaire. Cette
obligation prend sa
source dans l’article
1er commun aux
Conventions de
Genève de 1949, qui
énonce que « les
Hautes Parties
contractantes s’engagent
à respecter et à
faire respecter la présente
Convention en
toutes circonstances
». Selon le
commentaire des
Conventions de
Genève réalisé par le
CICR, cette disposition
implique que les
Etats « fassent [...]
tout ce qui est en leur
pouvoir pour que les
principes humanitaires
qui sont à la
base des Conventions
soient universellement
appliqués ». La difficulté posée par
la mise en oeuvre de cette obligation
réside en ce que les mesures à déployer
afin d’amener l’État concerné à respecter
ses engagements ne sont pas prédéfinies,
et sont tributaires des moyens à
la disposition des Etats, dans les circonstances
particulières de l’espèce. La
question qui se pose
est de savoir si,
lorsque les Etats ont
épuisé certains
moyens à leur disposition
sans que ceuxci
aient engendré un
changement de comportement
de l’État
responsable de la violation
du droit humanitaire,
ils ont l’obligation
d’adopter
d’autres mesures de
nature plus contraignante.
Il faut
admettre que la portée
précise de l’obligation
énoncée par
l’article 1er des quatre
Conventions de
Genève demeure en
définitive très floue
et il semble bien à
l’examen de la pratique
des États que
ceux-ci n’ont pas
entendu s’imposer un
degré d’exigence très
élevé. Certaines mesures n’en ont pas
moins été prises afin de mettre en oeuvre
certains aspects de l’avis.
La résolution ES-10/15 adoptée par
l’Assemblée générale de l’ONU à la
suite du prononcé de l’avis de la CIJ,
outre un appel à Israël à se conformer à
ses obligations internationales, prévoit
l’adoption de deux mesures plus
concrètes, qui méritent d’être soulignées :
la demande adressée au Secrétaire général
de créer un registre des dommages
subis par la population palestinienne, et
l’invitation faite à la Suisse, en tant que
dépositaire des Conventions de Genève,
de conduire des consultations et de faire
rapport sur les moyens d’assurer le respect
du droit humanitaire dans l’affaire
en cause. Le Registre a été établi par le
Secrétaire général, en janvier 2005 [7].
La création de ce Registre constitue une
mesure remarquable et originale de mise
en oeuvre de l’avis de la CIJ, en particulier
de ses conclusions relatives à
l’obligation d’Israël de réparer les dommages
subis, du fait de la construction
du mur, par la population palestinienne.
Elle peut également être reliée à l’obligation
pour les Etats de faire respecter
le droit international humanitaire, en
promouvant l’obtention par les personnes
concernées des réparations dues
par Israël à raison de sa responsabilité
encourue notamment pour les violations
de ses engagements issus des instruments
de droit international humanitaire.
Par ailleurs, la demande adressée
à la Suisse a conduit à
la publication par cette
dernière d’un rapport, en
juillet 2005, relatif aux
consultations menées à
l’égard des Etats Parties
quant aux moyens
d’assurer le respect par
Israël de la Quatrième
Convention de Genève,
en particulier en relation
avec la construction du
mur [8]. Si le Rapport
suisse a le mérite d’exister,
il faut constater qu’il
ne contient aucune
recommandation quant à l’adoption de
mesures concrètes et qu’il comporte
même des éléments difficilement compatibles
avec les conclusions de l’avis
de la CIJ. Le rapport conclut, tout d’abord,
à l’inutilité de la convocation d’une nouvelle
Conférence des Hautes Parties
contractantes, évoquée par la résolution
ES-10/15 de l’Assemblée générale.
Ensuite, il rappelle qu’il est généralement
admis par les Etats que les activités
de colonisation et la construction du
Mur sont illégales, et ce en dépit des
modifications du tracé du Mur effectuées
par Israël depuis le prononcé de
l’avis. Enfin, le rapport expose les différentes
propositions émises par les Etats
en relation avec le respect des obligations
de droit international humanitaire concernant
la construction du Mur. Si certaines
de ces propositions s’inscrivent pleinement
dans le prolongement de l’avis de
la CIJ (comme le démantèlement du
Mur ou l’abstention de fournir toute
contribution à sa construction), d’autres
lui viennent directement
en contradiction,
en suggérant le report
de la mise en oeuvre
de l’obligation de destruction
du Mur, ce
qui implique une certaine
forme de reconnaissance
de la situation
établie par
celui-ci (propositions
allant dans le sens
d’exiger un engagement
d’Israël à
démanteler le mur
lorsque la situation
sécuritaire le permettra, ou dans un délai
de 5 ans, ou l’exigence d’un simple
moratoire sur la poursuite de l’édification
du Mur). Le contenu très décevant
du rapport suisse montre la difficulté
qu’il y a, en l’absence d’un consensus
politique parmi l’ensemble des Etats, à
dépasser le stade des déclarations et des
condamnations, pour prendre des mesures
plus efficaces afin d’assurer un respect
effectif du droit international humanitaire.
- © Khalil Abu Arafeh, Alquds.
- Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, à la recherche d’un passage pouvant relier les deux territoires.
A cet égard, force est de constater que
les États se sont montrés réticents à
entreprendre à l’égard d’Israël des
mesures plus contraignantes, en particulier
économiques. Pour s’en tenir à l’Union
européenne, la dénonciation de l’Accord
d’association conclu avec Israël, par
exemple, n’est pas considérée à l’heure
actuelle par les dirigeants européens
comme une option. Afin de justifier le
fait de ne pas passer à des actions plus
décisives, la raison officielle la plus souvent
invoquée par les Etats, spécifiquement
les membres du Quartette,
réside dans le souci affiché de préserver
le processus de paix, en particulier dans
le contexte de la mise en oeuvre du plan
israélien de désengagement de Gaza.
Ce type d’attitude a été sévèrement critiqué
par un groupe de huit experts et rapporteurs
spéciaux de l’ONU dans le
domaine des droits de l’Homme, dans
une déclaration publiée en août 2005 :
« Dans une large mesure, il semble que
l’avis de la CIJ ait été ignoré au profit
des négociations menées dans le cadre
de la Feuille de route. La nature exacte
de ces négociations n’est pas claire mais
il semble qu’elles ne soient pas fondées
sur le souci de respecter l’avis de la
CIJ. Elles semblent impliquer l’acceptation
de la présence continue de certaines
implantations, qui ont été déclarées
illégales par la CIJ, et par voie de
conséquence l’acceptation du maintien
de certaines portions du Mur en territoire
palestinien. En bref, il apparaît y avoir une incompatibilité entre les négociations
tenues dans le cadre de la Feuille
de route et l’avis de la Cour, qui devrait
interpeller les Nations unies qui sont
également membres du Quartette. Les
Nations unies ne peuvent s’impliquer
dans des négociations qui ne sont pas
fondées sur l’avis de son propre organe
judiciaire » [9].
Cette déclaration met en lumière les
contradictions caractérisant l’attitude
des membres du Quartette qui, d’une
part, dénoncent (à l’exclusion des Etats-
Unis) l’illégalité du Mur et des colonies
et, d’autre part, mènent des négociations
dans des conditions qui impliquent
une certaine forme de tolérance à l’égard
de la persistance de ces violations du
droit international.
Conclusions
Le bilan que l’on peut tirer de la mise
en oeuvre de l’avis de la CIJ concernant
le mur, un an après son prononcé, montre
la difficulté à obtenir une application
effective des obligations imposées par
l’avis à Israël, au delà de l’adoption d’un
certain nombre de mesures, consistant
essentiellement en des condamnations et
des déclarations politiques. Certains
comportements peuvent même être perçus
comme mettant en cause, dans une
certaine mesure, les obligations imposées
par l’avis aux Etats tiers. Ce constat
renvoie à la difficulté générale qu’il y
a à assurer une mise en oeuvre du droit
international, en l’absence de mécanismes
de contrainte centralisés, comparables
à ceux qui existent en droit
interne. Dans la société internationale,
l’application du droit est directement
tributaire des rapports de forces et de la
volonté politique des Etats.
Les suites données à l’avis ont néanmoins
conduit à la prise de mesures plus
pratiques, comme la création du Registre
des dommages, même si le bon fonctionnement
de celui-ci sera largement
dépendant de la coopération israélienne.
Par ailleurs, il n’est plus un rapport, une
résolution adoptés au sein des Nations
unies sur la question de la Palestine qui
ne se fonde sur l’avis de la CIJ pour exiger
d’Israël qu’il mette sa politique en
conformité avec le droit international.
Enfin, il faut souligner le fait que les
ONG se sont très largement emparé de
l’avis de la CIJ, pour l’intégrer au coeur
de campagnes menées pour le démantèlement
du Mur et l’application du droit
international par Israël. Si l’avis n’a pas
encore trouvé une application effective
sur le terrain, il est déjà le moteur d’un
mouvement émanant de la société civile
et allant dans le sens qui consiste à exiger
des pouvoirs politiques des mesures
plus volontaristes afin d’amener Israël
à s’acquitter de ses obligations internationales.