Plus de 50 personnalités juives israéliennes éminentes, d’origine Mizrahi, ont déposé mardi une pétition devant la Haute Cour de Justice, exigeant qu’elle abroge la Loi de l’Etat-nation juif, en disant qu’elle est discriminatoire à la fois à l’encontre des citoyens palestiniens et des citoyens juifs Mizrahim d’Israël.
Selon la pétition, la loi, qui rétrograde la langue arabe de son statut de langue officielle à celui d’un "statut spécial, » est « anti-juive » parce qu’elle exclut l’histoire et la culture des Juifs des pays arabes et musulmans, « tout en renforçant l’impression que la culture judéo-arabe est inférieure…et en fixant l’identité de l’Etat d’Israël comme étant anti-arabe. »
La pétition, qui a été rédigée et présentée par l’Avocat Netta Amar-Shiff, fait aussi référence à un article de la loi qui définit la colonisation juive « comme une valeur nationale. » Selon les demandeurs, chaque fois qu’Israël décide de « restructurer » le pays sur le plan démographique, il nuit aux Mizrahim en les repoussant dans la périphérie géographique mal desservie du pays. Ce processus les empêche d’accéder à des terrains de grande valeur par le biais des commissions d’admission, qui permettent aux collectivités dans tout le pays de rejeter les candidats au logement en se fondant sur leur « adaptabilité sociale . »
Parmi les signataires il y a l’auteur renommé Sami Michael, le Professeur Yehuda Shenhav, le Professeur Henriette Dahan-Kalev, la Panthère Noire israélienne [2] et le militant pour la justice sociale Reuven Abergil, entre autres. (Information complète : l’auteur de cet article est un des signataires de la pétition). Selon les demandeurs, les Mizrahim ont été en grande partie exclus de la rédaction de la loi, malgré le fait qu’elle affecterait le droit de leur communauté à préserver son héritage, et que son parti pris anti-arabe flagrant affecterait de manière négative les Juifs des pays arabes.
A la suite de la création d’Israël, les autorités ont fait tout ce qu’elles ont pu pour supprimer l’identité et la culture arabes parmi les immigrants venus des pays arabes et musulmans, par le biais de la doctrine imposée du « creuset », les laissant privés de leur droits à la fois matériels et culturels. Il y a plus de six décennies, le diplomate et érudit arabisant israélien Abba Eban déclarait : « le but doit être de leur inculquer un esprit occidental, et non de les laisser nous entraîner dans un Orient contre-nature. L’une des plus grandes craintes... est le risque que le nombre important d’immigrants d’origine Mizrahi ne force Israël à se faire comparer à nos voisins sur la question de si nos citoyens sont cultivés. »
Pendant 70 ans, cette vision du monde a formé le fondement de la façon dont Israël voyait les Mizrahim. Les pouvoirs établis politiques ont exigé que les Juifs Mizrahim renoncent à leur identité arabe, tout en les dressant contre leurs histoires culturelles. Et pourtant, malgré les tentatives des pouvoirs dominants d’effacement culturel, les avis d’experts et les déclarations sous serment joints à la pétition montrent que beaucoup de Mizrahim — y compris les jeunes générations — continuent à considérer la langue arabe comme importante dans leur vie personnelle à la fois sur les plans culturel et linguistique.
Les avis d’experts cherchent aussi à exposer les histoires complexes des Juifs venus des pays arabes, afin d’expliquer que la loi, semblable à un amendement constitutionnel, en même temps serait nuisible à l’héritage culturel des Mizrahim et continuerait à les affecter de façon négative. Selon le Professeur Elitzur Bar-Asher, linguiste et expert en matière d’hébreu, le but de la loi n’est pas de « renforcer l’hébreu (aux dépens de l’arabe), mais d’abaisser son homologue arabe. »
Dans son avis d’expert, le Dr. Moshe Behar a démontré en quoi l’arabe était une partie indissociable du monde intellectuel juif au Moyen-Orient pendant, respectivement, les périodes de l’Empire ottoman et du Mandat britannique. Selon Behar, les intellectuels juifs considéraient la connaissance de l’arabe comme une nécessité pour tous les Juifs de la région.
Le chercheur en matière de culture, Shira Ohayon, a décrit l’influence de la langue arabe et le lien de celle-ci avec la renaissance de la langue hébraïque, de la poésie et de la liturgie juives, tandis que l’érudit en matière de culture et réalisateur, Eyal Sagui Bizawe, a noté de quelle façon les Juifs vivant dans les pays arabes ont pris une part active dans la création de la culture arabe, et de quelle façon cette même culture est devenue une partie de leur propre héritage.
Cette pétition est une étape importante, et peut-être révolutionnaire, dans la lutte des Mizrahim en Israël. Parmi les signataires il y a des femmes et des hommes, religieux, laïcs et traditionalistes, ceux qui se définissent comme sionistes et d’autres qui ne le font pas. Les demandeurs cherchent à fixer l’identité des Mizrahim dans son sens le plus profond en exigeant nos droits culturels et historiques, tout en utilisant tous les outils juridiques, universitaires et moraux pour refuser toute tentative visant à isoler les Juifs Mizrahim de notre environnement naturel — tout cela au profit de l’idéologie d’Israël du « melting-pot ».
Une première version de cet article a été publiée en hébreu sur Appel Local.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers
Photo : Les familles Kadoori, Hamias, et Ashram sont assises autour d’une table de dîner du Shabbat improvisée, installée à proximité de leurs maisons détruites dans le quartier de Givat Amal, à Tel Aviv, Israël, le 19 septembre 2014. (Shiraz Grinbaum/Activestills.org)