Presque toutes les guerres sont basées sur des mensonges. Les mensonges sont considérés comme des instruments légitimes de guerre. La première guerre du Liban (comme elle fut appelée plus tard) en fut un magnifique exemple.
Du début à la fin (si tant est qu’elle soit terminée) elle fut une guerre de tromperie et de duperie, de faux et d’inventions.
LES MENSONGES commencèrent avec le nom officiel donné à l’opération : “Opération Paix en Galilée”
Si on interroge aujourd’hui des Israéliens, 99,99% d’entre eux diront en toute sincérité : “Nous n’avions pas le choix. Ils lançaient tous les jours des katioushas en Galilée depuis le Liban. Nous devions les arrêter.” Les présentateurs et présentatrices de télévision, comme les anciens ministres l’ont répété toute la semaine. Très sincèrement. Même les gens qui étaient déjà adultes à l’époque.
La vérité est que pendant 11 mois, avant la guerre, pas un seul coup de feu ne fut tiré à travers la frontière israélo-libanaise. Un cessez-le-feu était en vigeur et les Palestiniens de l’autre côté de la frontière le respectaient scrupuleusement. A la surprise générale, Yasser Arafat arrivait à l’imposer, même aux factions palestiniennes radicales.
A La fin mai, le ministre de la Défense Ariel Sharon rencontra le Secrétaire d’État américain Alexandre Haig à Washington DC. Il lui demanda l’accord américain pour envahir le Liban. Haig dit que les États-Unis ne le permettraient pas, à moins qu’il n’y ait une provocation claire et internationalement reconnue.
Et voilà, la provocation fut aussitôt fournie. Abou Nidal, maître terroriste anti-Arafat et anti-OLP, envoya son propre cousin assassiner l’ambassadeur isréalien à Londres, qui fut grièvement blessé.
En représailles, Israël bombarda Beyrouth et les Palestiniens ripostèrent par des tirs, comme prévu. Le Premier ministre, Menahem Begin, autorisa Sharon à envahir le territoire libanais jusqu’à 40 kilomètres de la frontière, “pour mettre les implantations de Galilée hors de portée des katioushas”.
Quand un chef du renseignement dit à Begin, à une réunion du conseil des ministres, que l’organisation d’Abou Nidal n’était pas membre de l’OLP, Bégin fit cette réponse célèbre : “Ils sont tous OLP”.
Le général Matti Peled, mon allié politique à l’époque, croyait profondément qu’Abou Nidal avait agi comme agent de Sharon. Comme tous les Palestiniens que je connais.
Le mensonge “Ils tirent sur nous tous les jours” a eu une telle emprise sur l’esprit des gens qu’il est désormais vain de le contester. C’est un exemple éclairant de comment un mythe peut prendre possession de l’esprit public, y compris des gens qui ont vu de leurs propres yeux que c’est contraire qui est vrai.
NEUF MOIS avant la guerre, Sharon me parla de son plan pour un Nouveau Moyen-Orient.
J’étais en train d’écrire un long article biographique sur lui avec sa coopération. Il avait confiance en mon intégrité journalistique et donc il me parla “off the record” et me permit de le publier – mais sans le citer. C’est ce que je fis.
Le mental de Sharon était un dangereux mélange : un esprit primitif vierge de toute connaissance d’histoire (non juive), et un besoin insatiable de “grands desseins”. Il méprisait tous les hommes politiques – y compris Begin – qu’il considérait comme des petites gens manquant de vision et d’imagination.
Son projet pour la région, comme il me le dit alors (et que je publiai neuf mois avant la guerre) était :
(1) Attaquer le Liban et installer un dictateur chrétien qui serait au service d’Israël,
(2) Chasser les Syriens du Liban,
(3) Pousser les Palestiniens du Liban vers la Syrie, d’où ils seraient poussés par les Syriens en Jordanie.
(4) Obtenir que les Palestiniens fassent une révolution en Jordanie, qu’ils chassent le roi Hussein et transforment la Jordanie en un État palestinien.
(5) Mettre en place un arrangement fonctionnel en vertu duquel l’État palestinien (en Jordanie) partagerait le pouvoir en Cisjordanie avec Israël.
Dirigeant énergique, Sharon convainquit Begin de lancer la guerre, lui disant que le seul but était de repousser l’OLP à 40 kilomètres à l’intérieur. Il installa ensuite Bachir Gemayel comme dictateur au Liban. Puis il laissa les Phalanges chrétiennes perpétrer le massacre à Sabra et à Chatila afin de terrifier les Palestiniens s’enfuyant vers la Syrie.
Les résultats de la guerre furent à l’opposé de ses attentes. Bachir fut tué par les Syriens, et son frère, qui fut ensuite élu par les fusils israéliens, fut une mauviette inefficace. Les Syriens renforcèrent leur emprise sur le Liban. L’horrible massacre n’incita pas les Palestiniens à fuir. Ils ne bougèrent pas. Hussein resta sur son trône. La Jordanie ne devint pas la Palestine. Arafat et ses hommes armés furent évacués vers Tunis, où ils gagnèrent d’impressionnantes victoires politiques, furent reconnus comme “le seul représentant du peuple palestinien” et finalement retournèrent en Palestine.
LE PLAN MILITAIRE tourna mal dès le début, autant que le plan politique. Etant donné que la guerre fut célébrée en Israël comme une victoire militaire éclatante, aucune leçon militaire n’en a été tirée – si bien que la secondde guerre du Liban, 24 ans plus tard, fut une encore plus grande catastrophe militaire.
La simple vérité est que, en 1982, aucune unité de l’armée n’atteignit du tout son but, ou en tout cas pas à temps. La vaillante résistance palestinienne à Sidon (Saïda) arrêta l’armée, et Beyrouth était encore hors d’atteinte quand un cessez-le-feu fut déclaré. Sharon le viola purement et simplement, et c’est seulement alors que ses troupes réussirent à encercler la ville et à pénétrer dans sa partie orientale.
Contrairement à sa promesse à Begin (répétée à moi-même à l’époque par un membre très important de la coalition gouvernementale), Sharon a attaqué l’armée syrienne afin d’atteindre et de couper la route Beyrouth-Damas. Les unités israéliennes sur ce front n’ont jamais atteint la route vitale, et au lieu de cela ont essuyé une défaite retentissante à Sultan Yacoub.
Ce n’est pas étonnant. Le chef d’état-major était Rafaël Eitan, appelé Raful. Il fut nommé par le prédécesseur de Sharon, Ezer Weizman. A l’époque j’avais demandé à Weizman pourquoi il avait nommé un tel idiot. Sa réponse typique : “J’ai assez de QI pour nous deux. Il exécutera mes ordres.” Mais Weizman démissionna et Raful resta.
UN DES résultats les plus significatifs et durables de la première guerre du Liban concerne les Chiites.
De 1949 à 1970, la frontière libanaise fut la plus calme de nos frontières. Des gens la franchissaient par erreur et retournaient chez eux. On disait communément “le Liban sera le second État à faire la paix avec Israël”, n’osant pas être le premier.
La population principalement chiite de l’autre côté de la frontière était alors la plus opprimée et impuissante des diverses communautés ethnico-religieuses du Liban. Quand le roi Hussein, avec l’aide d’Israël, chassa les forces de l’OLP de Jordanie au moment du “septembre noir” de 1970, les Palestiniens s’établirent au Sud-Liban et devinrent les autorités de la région frontalière, qui fut bientôt appelée en Israël “Fatahland”.
La population chiite n’aimait pas ses nouveaux maîtres palestiniens dominateurs, qui étaient sunnites. Quand les troupes de Sharon entrèrent dans la zone, elles furent vraiment bien accueillies, avec du riz et des bonbons. (Je l’ai vu de mes propres yeux). Les Chiites, ne connaissant pas Israël, croyaient que leurs libérateurs chasseraient les Palestiniens et rentreraient chez eux.
Ils ne mirent pas longtemps à se rendre compte de leur erreur. Ils commencèrent alors une guerre de guérilla pour laquelle l’armée israélienne n’était pas du tout préparée.
Les souris chiites se transformèrent rapidement en lions chiites. Confrontés avec leurs guerillas, le gouvernement israélien décida de quitter Beyrout et une grande partie du sud-Liban, s’accrochant à une “zone de sécurité”, qui devint un champ de bataille de guerilla en bonne et due forme. Les chiites modérés furent remplacée par un beaucoup plus radical nouveau Hizb-Allah (“Parti de Dieu”) qui finalement devint la principale force politique et militaire de tout le Liban.
Pour les stopper, Israël assassina leur dirigeant, Abbas al-Musawi, qui fut promptement remplacé par un assistant largement plus talentueux, Hassan Nasrallah.
A la même époque, les clones de Sharon à Washington lancèrent une guerre qui détruisit l’Irak, l’historique rempart arabe contre l’Iran. Un nouvel axe chiite Irak, Hezbollah et Syrie alaouite devint un fait dominant. (Les Alaouites, qui gouvernent la Syrie d’Assad, sont une sorte de chiites. Leur nom dérive d’Ali, le gendre du Prophète, dont les descendants furent rejetés par les sunnites et acceptés par les chiites.)
Si Sharon se réveillait du coma dans lequel il est plongé depuis six ans, il serait stupéfié par ce résultat – le seul pratique – de sa guerre du Liban.
UNE DES VICTIMES de la guerre fut Menahem Begin.
Beaucoup de légendes ont été inventées autour de sa mémoire, la gonflant au-delà de toute proportion.
Begin avait beaucoup d’excellentes qualités. C’était un homme de principes, intègre et courageux. Il était aussi un grand orateur dans la tradition européenne, capable d’émouvoir son auditoire.
Mais Begin était un penseur très médiocre, complètement dépourvu de pensée originale. Son mentor, Vladimir Zeev Jabotinsky, le traitait avec mépris. A sa manière, il fut plutôt naïf. Il se laissa facilement tromper par Sharon. Etant un esprit résolument consacré à battre les Palestiniens et à étendre l’autorité de l’État “juif” sur toute la Palestine historique, il ne se souciait pas vraiment du Liban, du Sinaï ou du Golan.
Son comportement pendant la guerre du Liban frôla le ridicule. Il allait visiter les troupes et posait des questions qui devinrent l’objet de risée parmi les soldats. Rétrospectivement, on se demande si à cette époque il n’était pas déjà mentalement affecté. Juste après le massacre de Sabra et Chatila, qui le choqua profondément, il entra dans une profonde dépression, qui dura jusqu’à sa mort dix ans plus tard.
LA MORALE de l’histoire, pertinente aujourd’hui comme jamais :
N’importe quel idiot peut lancer une guerre, seule une personne très sage peut en empêcher une.