"S’il existe un enfer sur Terre, c’est bien la vie des enfants de Gaza". - António Guterres, secrétaire général des Nations unies.
Il y a sept ans, le 26 août 2014, marquait la fin de l’une des guerres menées par Israël contre Gaza, nommée par Israël "Opération Bordure protectrice". Cette attaque de 50 jours a laissé l’infrastructure de Gaza en ruine et plus de 2 100 Palestiniens tués.
La statistique qui peut difficilement échapper à la mémoire est le bilan de cette opération pour les enfants palestiniens : plus de 520 - près d’un quart de tous les Gazaouis tués - étaient des enfants de moins de 18 ans.
Vous vous souvenez peut-être même que quatre d’entre eux ont été tués par une frappe aérienne israélienne alors qu’ils jouaient sur la plage, en plein jour, littéralement devant les membres des médias internationaux. "Les soldats croyaient que les enfants étaient des combattants du Hamas", telle est la conclusion d’une armée qui enquête sur ses propres crimes.
Ces crimes sont à la fois consternants et peu surprenants. En Palestine, 38,4 % de la population sont des enfants âgés de 14 ans ou moins, un chiffre qui atteint plus de 40 % à Gaza. Toute attaque contre la population civile devient également une attaque contre les enfants. Certaines attaques, comme celles documentées et soumises à l’ONU par Defense for Children International Palestine, "suggèrent une prise pour cible directe [des enfants] par les forces israéliennes."
Sept ans après Bordure protectrice, nous trouvons Gaza et ses enfants vivant dans des conditions encore plus désastreuses qu’auparavant. Le traumatisme infligé par les attaques d’Israël et par son siège total de la région se poursuit. En fait, il se déroule en ce moment même.
Destruction continue, traumatisme continu
Un garçon gazaoui de 13 ans touché à la tête par un sniper israélien : actuellement dans un état critique [ndlr il a succombé à ses blessures le 28/08], il fait partie des dizaines de manifestants blessés qui s’étaient rassemblés à la frontière entre Israël et Gaza le 21 août 2021.
Des centaines de Palestiniens se sont rassemblés le long de la frontière au cours des dernières semaines, pour protester contre la dévastation que le blocus israélien de 15 ans a infligé à la bande. Jusqu’à présent, la réponse d’Israël a consisté en des tirs à balles réelles, des gaz lacrymogènes et des bombardements. S’il existe un endroit où des bombes sont occasionnellement larguées par une force d’occupation sur une population assiégée en réponse à des "ballons incendiaires", c’est bien Gaza.
La réponse d’Israël à ce qui se passe à la frontière de Gaza ces jours-ci établit un parallèle avec les manifestations hebdomadaires à la frontière de mars 2018 à décembre 2019, également connues sous le nom de Grande Marche du retour.
Selon un rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), Israël a répondu à cette série de manifestations par des bonbonnes de gaz (y compris larguées par des drones), des balles en caoutchouc et des balles réelles, principalement par des tireurs d’élite. Cela a tué 214 Palestiniens, dont 46 enfants, et blessé plus de 36 100 personnes, dont près de 8 800 enfants.
Le même rapport prévient qu’"au moins 22 578 enfants touchés par la [marche] auront besoin d’un soutien modéré et grave en matière de santé mentale et de soutien psychosocial <...> pour faire face à des niveaux élevés de détresse psychosociale. Cela s’ajoute à la charge de santé mentale déjà importante de 248 111 enfants de Gaza qui ont besoin de services de soutien psychosocial structurés et d’interventions de protection de l’enfance."
Près d’un quart de million d’enfants ayant besoin d’un soutien psychosocial, et 53,5 % des enfants souffrant de TSPT (Trouble de stress post-traumatique). Voilà à quel point la situation était catastrophique en 2020, au moment de la publication de ce rapport. En d’autres termes, c’était avant mai 2021.
Ce mois de mai, tous les enfants de Gaza nés avant 2008 allaient être témoins de la quatrième guerre de leur vie. Les forces israéliennes ont pris d’assaut Al-Aqsa quotidiennement et, en réponse, le Hamas a lancé un ultimatum demandant l’arrêt des violences à Al-Aqsa et dans le quartier de Sheik Jarrah. Lorsque ces conditions n’ont pas été remplies, le Hamas a commencé à lancer des roquettes vers Israël.
C’est avec les roquettes du Hamas que les grands médias ont repris le récit, présentant le conflit comme un conflit dans lequel Israël était la victime. Mais les bombardements israéliens de Gaza qui ont suivi ont détruit ce récit. Des vidéos de maisons civiles bombardées sont apparues aux informations, des histoires de parents coincés sous les décombres, incapables d’aider leurs enfants mourants - et vice versa - ont inondé les médias sociaux.
D’éminentes organisations internationales ont documenté les impacts de la guerre au moment où elle se déroulait. Le Conseil norvégien pour les réfugiés a rapporté que 11 enfants qui faisaient partie de son programme d’aide aux traumatismes "ont été tués chez eux, dans des zones densément peuplées, ainsi que d’innombrables autres parents qui sont morts ou ont été blessés". Le Fonds de secours aux enfants palestiniens, une ONG fournissant des soins médicaux gratuits aux enfants, a signalé que ses bureaux ont été détruits par une frappe aérienne.
Médecins sans frontières a rapporté que les frappes aériennes israéliennes lancées en un seul jour, le 16 mai 2021, ont tué 42 personnes, dont 10 enfants, et ont touché leur clinique de soins aux traumatismes et aux brûlures, qui a dû fermer. Après avoir enquêté sur les attaques de mai 2021, Human Rights Watch a conclu que les deux parties - les forces israéliennes et le Hamas - ont commis des crimes de guerre.
Pourtant, les déclarations froides et les statistiques sans visage des enfants tués, aussi horribles soient-elles, ne répondent pas à une question majeure : qu’attendent les enfants de Gaza qui ont survécu ?
Lorsque les installations médicales, les établissements d’enseignement et même les organisations fournissant un soutien psychosocial sont attaqués et que leur travail est perturbé, comment la guérison peut-elle commencer ? Et comment cette guérison peut-elle être profonde lorsque les conditions sous-jacentes - le blocus lui-même - sont toujours en place ?
Dans une interview récente sur Israël et la Palestine, Gábor Mate, médecin et expert reconnu en matière de traumatismes, se souvient avoir parlé à une thérapeute qui travaille avec des enfants palestiniens en Cisjordanie après qu’ils aient été détenus et gardés dans des prisons israéliennes, parfois pendant des mois sans voir leurs familles.
"Elle dit que nous n’avons pas de trouble de stress post-traumatique ici parce que le traumatisme n’est jamais mis en pause. Le traumatisme est quotidien."
Non seulement en Cisjordanie, où les enfants palestiniens semblent être tués par les forces israéliennes toutes les semaines, mais à Gaza aussi, il est clair que le traumatisme est continu.
De l’impunité à l’action de masse
Au cours des sept dernières années, au lieu d’une reconstruction et d’une guérison significatives, nous avons vu encore plus de destruction et de désespoir à Gaza. Les enfants palestiniens sont toujours soumis à toute une série de violations des droits de l’homme. La punition collective - un crime auquel équivautle siège israélien de Gaza - inclut les membres les plus jeunes de la population punie.
Alors, comment pouvons-nous faire changer les choses ?
En 2014, plus de 500 enfants tués et un territoire assiégé encore plus détruit n’ont pas entraîné de condamnation et de pression internationale significative sur Israël. Aucune sanction significative n’a été renforcée ou même imposée. Les diplomates israéliens n’ont pas été expulsés au niveau international, et Israël n’a pas été retiré des principaux traités commerciaux.
Cependant, la guerre de mai - peut-être parce qu’elle a été largement documentée - a provoqué une vague de protestations dans le monde entier. Même le New York Times a fait un geste historique en publiant les photos de tous les enfants palestiniens tués par les forces israéliennes pendant leurs attaques.
Pourtant, la situation à Gaza ne s’améliorera pas d’elle-même.
Sans pression sur le gouvernement israélien et les États-Unis, son principal soutien en termes d’aide militaire et de blocage des résolutions de l’ONU, il est difficile d’imaginer que quelque chose s’améliore pour les enfants de Gaza. Le nouveau Premier ministre israélien, Naftali Bennet, rencontre Joe Biden cette semaine pour discuter de la poursuite de la coopération entre les deux pays.
Ce dont Gaza a besoin, c’est du contraire de cette coopération. La bonne nouvelle dans cette sombre situation est qu’au lieu de nous sentir dépassés, nous pouvons prendre un certain nombre de mesures. Nous les prenons pour que, pour reprendre les termes du Secrétaire général des Nations unies, la vie des enfants de Gaza cesse de ressembler à un enfer sur Terre.
Traduction : AFPS