Photo : Le président Emmanuel Macron encourage les pays à cesser de fournir des armes à Israël pour son génocide dans la bande de Gaza © Quds News Network
Depuis des décennies, la France considère le Liban comme un « pays frère », les deux nations entretenant des liens étroits depuis la fin du mandat français en 1946.
Paris a tenté à plusieurs reprises de résoudre certaines des diverses crises auxquelles le Liban a été confronté, tout en se débattant avec son héritage colonial dans le pays.
Depuis le déclenchement de la guerre d’Israël contre le Liban en septembre, la France est intervenue en tant que médiateur pour trouver une solution, mais les appels des responsables français au Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou pour qu’il fasse preuve de « retenue » n’ont pas été suivis d’effets.
Lundi, Jean-Noël Barrot, ministre français des affaires étrangères, est devenu le premier représentant d’un pays occidental à se rendre au Liban depuis qu’Israël a commencé sa campagne de bombardements et donné des ordres d’évacuation dans certaines régions, provoquant le déplacement de 1,2 million de personnes, selon les chiffres du gouvernement.
« Je veux adresser un message de soutien et de solidarité au peuple libanais », a déclaré le ministre français lors de sa visite à Beyrouth, avant d’exhorter Israël à « s’abstenir de toute incursion terrestre » dans le pays.
Il a également annoncé une aide de 10 millions d’euros (10,98 millions de dollars) pour les organisations humanitaires libanaises.
Cependant, au-delà des déclarations et des aides financières, les observateurs doutent de l’efficacité des efforts français.
Pour Ziad Majed, professeur franco-libanais à l’Université américaine de Paris et spécialiste de la politique du Moyen-Orient, il y a un « décalage » entre les déclarations de la France et le manque de mesures concrètes qui pourraient être prises.
« La France a évoqué à de nombreuses reprises la nécessité de protéger le Liban, et la visite du ministre des Affaires étrangères reflète également un certain désir du côté français de jouer un rôle au Liban », a déclaré M. Majed à Middle East Eye.
« Mais entre les désirs diplomatiques et la réalité, le fossé est grand. »
Effet de levier perdu
En début de semaine dernière, le président français Emmanuel Macron a déclaré qu’il s’opposait à ce que le Liban « devienne un nouveau Gaza », faisant référence à la guerre israélienne de près d’un an contre l’enclave palestinienne, qui a tué près de 42 000 personnes, selon le ministère palestinien de la Santé.
M. Macron a qualifié le nombre de victimes civiles libanaises d’« absolument choquant ».
Entre-temps, Paris et Washington ont proposé un plan de cessez-le-feu de 21 jours aux Nations unies, mais ce plan a été publiquement rejeté par M. Netanyahu.
Le ministre libanais des affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, a déclaré plus tard que le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et Netanyahou avaient tous deux accepté la trêve temporaire, juste avant qu’Israël ne tue Nasrallah lors d’une attaque aérienne massive à Beyrouth.
Depuis le début de la guerre d’Israël contre Gaza et son récent assaut contre le Liban, les attaques israéliennes ont tué plus de 2 000 personnes, selon le ministère libanais de la santé, dont deux citoyens français.
Environ 23 000 Français vivent actuellement au Liban, ce qui en fait la communauté française la plus importante au Moyen-Orient.
Selon Bertrand Badie, auteur français et expert en relations internationales, la France a perdu son influence dans la région depuis la fin de la « politique arabe de la France » en 2003.
« De la guerre des Six Jours en 1967, lorsque le général de Gaulle a adopté une position plutôt favorable à la cause palestinienne, à la guerre d’Irak en 2003, lorsque Jacques Chirac s’est opposé aux États-Unis, il y a eu une politique arabe vraiment dynamique », a déclaré M. Badie à MEE, faisant référence au refus de Paris de se joindre à une intervention militaire alliée pour renverser Saddam Hussein.
« Mais cette politique arabe a été brutalement interrompue en 2003 lorsque le président Chirac a abandonné cette ligne, impressionné par la menace de représailles américaines.
« Dès lors, la France s’est plutôt alignée sur les positions américaines. Aujourd’hui, comme il n’y a plus de politique arabe de la France, la voix de la France est devenue inaudible », a ajouté M. Badie.
Cet avis est partagé par Jean-Luc Mélenchon, leader du parti de gauche La France insoumise (LFI), qui a déclaré dans un communiqué publié sur X le week-end dernier : « La France ne compte plus sur le terrain [au Liban]. Les crimes de Netanyahou continueront puisqu’ils sont impunis ».
Pour Dalal Mawad, auteure et journaliste libanaise, la France opère un « changement de narration » et multiplie les initiatives diplomatiques car elle sait que « rien de bon ne sortira de l’entraînement du Liban dans une guerre totale ».
« Au cours de l’année écoulée, avec la guerre à Gaza, la France a clairement pris parti pour Israël. Mais aujourd’hui, la France intensifie ses efforts diplomatiques et on assiste à un changement de discours alors que le risque d’une guerre régionale augmente », a-t-elle déclaré à MEE.
Selon Mme Mawad, alors que M. Macron a mis du temps à appeler à un cessez-le-feu à Gaza et qu’il a d’abord soutenu Israël, le président français semble aujourd’hui plus critique.
Les Français n’ont pas le dessus
Selon les analystes, même si la France dispose de certains atouts pour apaiser la situation, son influence n’est pas à la hauteur de celle des États-Unis.
« Beaucoup de gens disent que la France est l’un des rares pays à pouvoir dialoguer avec le Hezbollah, car elle ne considère que l’aile militaire du Hezbollah comme une organisation terroriste, contrairement à d’autres pays européens et aux États-Unis », explique Mme Mawad.
Des pays comme l’Allemagne et le Royaume-Uni, qui s’alignent sur les États-Unis, ne font pas de différence entre les branches politique et militaire du mouvement libanais.
« Le peuple libanais a accueilli favorablement la proposition française à l’ONU. Mais ils sont également très conscients que les Français n’ont pas le dessus lorsqu’il s’agit d’Israël », a déclaré Mme Mawad, soulignant le rôle des États-Unis dans le soutien apporté à Israël à la fois dans la guerre contre Gaza et au Liban.
« Cependant, la France a toujours des relations commerciales avec Israël et peut se mobiliser au sein de l’Union européenne », a-t-elle déclaré.
Depuis le début de la guerre d’Israël contre Gaza, de nombreuses organisations et citoyens ont demandé à l’UE de suspendre son accord d’association avec Israël et de mettre en œuvre des sanctions contre le pays.
En avril dernier, 11 ONG, dont Amnesty International, ont annoncé qu’elles avaient intenté une action en justice contre la France pour qu’elle mette fin à ses ventes d’armes à Israël.
Bien que M. Macron ait assuré que la France ne vendait pas d’armes à Israël, les groupes de défense des droits et les médias d’investigation ont critiqué le manque de transparence entourant cette question.
Selon un rapport du ministère de la défense au Parlement obtenu par le média français Mediapart, la France a livré des équipements militaires d’une valeur de 30 millions d’euros à Israël en 2023.
Cependant, comme le rapport ne précise pas les mois, Mediapart note qu’il est impossible de déterminer si ces livraisons se sont poursuivies après le début de l’offensive israélienne sur Gaza le 7 octobre, ajoutant que le ministère des forces armées n’a pas été en mesure de clarifier la question.
M. Majed estime également que la France devrait utiliser d’autres moyens que la diplomatie.
« Après l’échec de l’initiative diplomatique, rien ne devrait empêcher les autorités françaises de reconnaître l’État palestinien et d’imposer des sanctions », a déclaré M. Majed à MEE.
En juin, interrogé sur la possibilité que la France reconnaisse l’État de Palestine, à l’instar de plusieurs pays européens comme l’Espagne, la Norvège et l’Irlande, M. Macron a répondu que ce n’était pas « la bonne solution ».
« Il n’est pas raisonnable de le faire maintenant. Je dénonce les atrocités que nous voyons avec la même indignation que le peuple français. Mais nous ne reconnaissons pas un État fondé sur l’indignation », a-t-il ajouté.
Après l’attaque menée mardi par l’Iran contre Israël en représailles à l’assassinat de M. Nasrallah, du commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) Abbas Nilforoushan et du chef du Hamas Ismaïl Haniyeh, le président français a de nouveau appelé « à la plus grande retenue » tous « ceux qui sont impliqués dans la crise du Proche-Orient », dans un communiqué.
Soulignant son « attachement à la sécurité d’Israël », il a demandé au Hezbollah de « cesser ses actions terroristes contre Israël et sa population » et a annoncé que la France organiserait « très prochainement une conférence de soutien au peuple libanais et à ses institutions ».
Vendredi, le ministre français des affaires étrangères s’est à nouveau envolé pour le Moyen-Orient.
M. Barrot doit se rendre en Arabie saoudite et au Qatar samedi, aux Émirats arabes unis (EAU) et en Jordanie dimanche, puis en Israël lundi 7 octobre, à l’occasion du premier anniversaire des attaques menées par le Hamas, et enfin à Ramallah, en Cisjordanie occupée.
Traduction : AFPS