Photo : Novembre 2023, Palestiniennes faisant la queue pour du pain © UNRWA photo/Ashraf Amra
Dans le nord de Rafah se trouvent les vestiges d’une ferme autrefois florissante, aujourd’hui réduite à l’état de ruines après avoir été rasée par les forces israéliennes.
Yaqoub Abu Daabs, 55 ans, agriculteur palestinien, observe la dévastation de sa ferme, incapable de s’en approcher pour évaluer l’étendue des dégâts ou récupérer les outils et fournitures agricoles partiellement enterrés sous les destructions.
Après avoir perdu son fils Muath, 27 ans, tué par une frappe aérienne israélienne il y a trois mois alors qu’il tentait d’atteindre les terres agricoles, Abu Daabs refuse désormais de prendre le risque de s’aventurer à nouveau dans la région.
« Muath avait espéré sauver ce qui restait avant que les bulldozers et les chars n’achèvent la destruction », a-t-il déclaré au New Arab.
« Après sa mort, ils ont mis le feu aux installations de stockage et démoli deux puits d’eau essentiels. »
Outre la mort de son fils, l’agriculteur doit faire face à la perte de deux saisons complètes de récolte depuis que la guerre a éclaté, un coup qui a dévasté ses moyens de subsistance.
Sans accès à l’irrigation, le rendement de ses cultures a été réduit de moitié. À l’approche de la récolte, les frappes aériennes israéliennes ont rendu l’accès à ses terres trop dangereux.
Abu Daabs loue 70 dunams (environ 17 acres) à l’Autorité foncière palestinienne depuis plusieurs années. Il a investi massivement dans le nivellement des terres, le creusement de puits, l’installation de réseaux d’irrigation et la mise en place de l’infrastructure agricole nécessaire, en espérant récupérer ses frais au fil du temps.
« Aujourd’hui, tout est anéanti et je suis passé du statut d’agriculteur productif contribuant à l’économie nationale à celui d’homme endetté », explique-t-il.
Abu Daabs estime que la guerre l’a directement appauvri, en décimant une activité économique qui faisait vivre toute l’année une quarantaine de familles et des dizaines d’autres à temps partiel.
« J’étais financièrement à l’aise avant la guerre, mais aujourd’hui, je fais partie de la grande majorité des habitants de Gaza qui sont dans le besoin après avoir perdu plus d’un demi-million de dollars en infrastructures et en récoltes endommagées. »
Comme beaucoup d’autres agriculteurs qui ont perdu leurs terres, Abu Daabs souffre. « La plupart d’entre nous en sont réduits à mendier et à dépendre de l’aide humanitaire pour survivre. C’est une véritable catastrophe économique dans tous les sens du terme. »
Selon lui, le secteur agricole a subi une destruction quasi-totale par d’innombrables moyens, le plus simple étant les bombardements et les bulldozers.
Il prévient que les quelques agriculteurs restants risquent de cesser complètement leurs activités en raison d’une pénurie d’intrants agricoles.
Un an après la guerre, les autorités israéliennes ont continué à bloquer l’entrée des fournitures essentielles, et les terres agricoles elles-mêmes ont été détruites.
Les semences, les engrais, les systèmes d’irrigation et les autres éléments nécessaires à la production sont tous épuisés.
« Après la saison agricole en cours, il n’y aura plus de légumes locaux disponibles pour la consommation des gens », a-t-il déclaré.
Les pertes subies par Abu Daabs sont emblématiques de la dévastation générale qui a paralysé les secteurs économiques de Gaza, notamment l’industrie, la production, le commerce et le tourisme.
Ces secteurs, qui constituaient autrefois l’épine dorsale de l’économie de Gaza, assiégée depuis 2007, ont été pratiquement anéantis par la guerre.
Selon un rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), entre 80 et 96 % des biens agricoles de Gaza ont été endommagés, ce qui a entraîné un effondrement quasi total de la production alimentaire et exacerbé les niveaux déjà élevés d’insécurité alimentaire.
Le rapport, publié début septembre, indique également que 82 % des entreprises, qui étaient vitales pour l’économie, ont été détruites et que les deux tiers des emplois qui existaient avant la guerre ont été perdus.
Dans la rue Salah al-Din, l’artère principale qui traverse le centre de Gaza, les usines, les entrepôts, les magasins et les installations de services sont tous en ruine.
Le même sort a été réservé à trois grandes zones industrielles de Gaza, dont une située à l’est de Beit Hanoun dans la région nord, une autre à l’est de la ville de Gaza et une troisième à l’est de Deir al-Balah dans le centre de la bande de Gaza.
Muhammad al-Namrouti, 60 ans, décrit sa vie comme celle d’un « mort-vivant ». Toujours déplacé à côté des ruines de sa maison, incapable de subvenir aux besoins de sa famille de sept personnes, son histoire reflète le sort de beaucoup d’autres.
Comme Abu Daabs et de nombreux Palestiniens de Gaza, M. al-Namrouti a perdu toutes ses économies, qu’il avait mises de côté pour les cas d’urgence. Après une année de guerre incessante, de flambée des prix et d’arrêt complet du travail et de la production, ils dépendent désormais de l’aide humanitaire pour subvenir aux besoins essentiels de leur famille.
Selon Mohammed Alamour, ministre palestinien de l’économie, le gouvernement s’efforce d’apporter une aide à Gaza, en se concentrant sur la santé, le développement social, l’aide humanitaire, l’eau et l’énergie.
« Nous ne survivons que grâce à l’aide », a ajouté M. al-Namrouti. « Je ne peux pas me permettre d’acheter un seul légume ou un produit alimentaire de base, non pas à cause des prix élevés, mais parce que je n’ai pas d’argent du tout. »
Il vit maintenant dans l’un des camps de déplacés du sud de Gaza, où les familles luttent pour survivre sans les produits de première nécessité comme la nourriture et les vêtements.
Selon M. al-Namrouti, tous ses parents, voisins et amis vivent dans des conditions similaires depuis que la guerre a anéanti leurs sources de revenus.
Selon la Banque mondiale, les territoires palestiniens sont sur le point de tomber en « chute libre » dans un désastre économique au milieu d’une crise humanitaire historique, l’économie de Gaza étant sur le point de s’effondrer totalement après avoir connu une contraction stupéfiante de 86 % au cours du premier trimestre 2024.
En septembre, les prix des produits de base ont augmenté de 250 % et l’insécurité alimentaire a conduit environ deux millions de personnes au bord d’une famine généralisée, selon un rapport de la Banque mondiale.
« Il n’y a plus d’économie réelle à Gaza, pas au sens conventionnel du terme », a déclaré Mohammad Abu Jayyab, rédacteur en chef de l’Economic Journal, au Nouvel Arabe. « Le cycle économique est gelé et les infrastructures sont gérées par les familles et les communautés locales. »
Selon Abu Jayyab, 90 % du secteur industriel, qui employait 27 000 personnes, a été détruit.
« En outre, 90 % du secteur touristique, qui employait 10 000 personnes, a disparu », a-t-il indiqué, ajoutant que le secteur commercial et la majeure partie du secteur agricole, qui fournissaient auparavant des emplois à 70 000 personnes, ont également été gravement touchés.
Le secteur des services, les institutions bancaires et les infrastructures de télécommunications de Gaza ont subi des « pertes massives », les grandes entreprises étant confrontées à des dommages considérables, selon Abu Jayyab.
Le ministre Alamour partage l’avis d’Abu Jayyab et prévient qu’aucune reprise économique n’est possible tant que l’agression et ce qu’il appelle le « génocide » par le gouvernement israélien se poursuivent.
« Les efforts internationaux actuels sont limités et manquent de profondeur stratégique », a-t-il déclaré, soulignant qu’ils se concentrent sur des initiatives individuelles à petite échelle et n’offrent pas de solution globale pour restaurer la vie économique.
Selon M. Abu Jayyab, de simples efforts visant à soutenir de petits projets lancés par des particuliers ne suffiraient pas à relancer le cycle économique. En l’absence de production dans tous les secteurs, la sécurité alimentaire est gravement compromise.
Avec un taux de chômage de plus de 90 % à Gaza, il souligne qu’une aide de 4 milliards de dollars est nécessaire pour rétablir le cycle économique.
Bien que le gouvernement palestinien ait élaboré un plan global pour la reconstruction de Gaza et la reprise économique, prêt à être mis en œuvre dès le lendemain de la fin de l’agression israélienne, il faut, selon M. Alamour, que « l’agression cesse pour que le gouvernement puisse mettre ses plans à exécution ».
Abu Jayyab partage ce sentiment : « La réalité sur le terrain montre que l’économie de Gaza est incapable de fonctionner dans les conditions de guerre actuelles. »
Mohamed Solaimane est un journaliste basé à Gaza qui a signé des articles dans des médias régionaux et internationaux, et qui se concentre sur les questions humanitaires et environnementales.
Traduction : AFPS