Photo : Gaza le 13 mai 2023 (Times Of Gaza)
Ce n’était qu’une question de temps avant que les Israéliens juifs - socialement désintégrés, politiquement divisés, économiquement en perdition et diplomatiquement empêtrés - ne se rassemblent une fois de plus autour du dénominateur commun auquel ils peuvent tous se rallier : le massacre des Palestiniens à Gaza.
Une fois de plus, Israël a entrepris d’"éliminer les djihadistes de haut rang". Une fois de plus, l’armée a tué des femmes et des enfants par des frappes aériennes aveugles. Et une fois de plus, l’opposition politique israélienne applaudit depuis les tribunes.
La circularité dans laquelle tout cela se déroule prouve clairement que les dirigeants politiques israéliens ne recherchent pas la sécurité. Après tout, même les plus stupides des semeurs de mort de droite et de gauche doivent maintenant comprendre que ces frappes ne viendront pas à bout de la résistance palestinienne, tant que l’oppression elle-même se poursuit. Au contraire, ces dirigeants veulent du sang : se venger de l’insistance des Palestiniens à exister, à vivre et à exiger leur liberté.
La droite israélienne a accueilli le cycle de carnage en cours à Gaza avec une joie horrifiante. "C’est un bon début", a déclaré Itamar Ben Gvir, notre ministre pyromane de la Sécurité nationale, comme s’il s’agissait de la chute d’une mauvaise blague.
Le porteur du baril de carburant du ministre, MK Almog Cohen, a profité de l’occasion pour faire semblant d’être un homme d’État prévoyant, en annonçant qu’il fermerait son bureau dans la ville méridionale de Sderot, conformément aux instructions du commandement du front intérieur de l’armée israélienne. "C’était une excellente réponse", s’est réjoui M. Cohen lors d’une interview sur le massacre qui a déjà coûté la vie à 13 personnes à Gaza. "Je ne pense pas que ce soit le moment de parler de politique. Nous devrions tous soutenir l’armée et féliciter le premier ministre et le ministre de la Défense. "
"Un problème de hasbara"
Comme il est d’usage en Israël, la devise "Ce n’est pas le moment de parler de politique" a été immédiatement reprise par l’opposition. La réaction de soutien de Yair Lapid sur Twitter se lit presque comme une parodie, comme si l’homme n’avait même pas pris la peine de rédiger la déclaration lui-même, mais avait plutôt confié la tâche à ChatGPT :
"Je soutiens les forces de sécurité dans l’opération contre le [Jihad islamique] à Gaza. Les organisations terroristes de Gaza ont appris ce matin que la communauté du renseignement et les forces de sécurité suivent leurs moindres faits et gestes et qu’elles seront punies. Une réponse israélienne forte, à l’endroit et au moment que nous jugeons opportuns, est le moyen de faire face au terrorisme de Gaza. Nous soutiendrons toute activité opérationnelle visant à protéger les habitants du sud."
Chaque phrase de cette déclaration est un chef-d’œuvre de fraude et de paresse. Les "organisations terroristes" ont-elles seulement découvert ce matin que l’armée israélienne suit chacun de leurs mouvements - ce que même un enfant palestinien d’Hébron sait ? Lapid pense-t-il vraiment que c’est seulement ce matin, à l’occasion de cet assaut, qu’elles ont soudainement pris conscience de la technologie sophistiquée de reconnaissance faciale qu’Israël utilise pour espionner ses sujets palestiniens ? Et qu’est-ce exactement qu’un "lieu et un moment que nous jugeons opportuns" ? Comment affronteront-ils mieux les forces de la résistance palestinienne cette fois-ci que lors des innombrables attaques précédentes ? Comment cette opération protège-t-elle les résidents israéliens du sud, qui sont une fois de plus contraints de se réfugier dans des abris antiatomiques ?
Lapid n’est même pas le pire des membres de l’opposition à avoir acclamé la vague de violence actuelle : ce titre revient probablement à la députée travailliste Efrat Rayten. "Les forces de défense israéliennes mènent une opération réussie pour éliminer des djihadistes de haut rang", a-t-elle écrit sur Twitter. "Dieu merci, nos soldats sont rentrés sains et saufs. Je souhaite des jours paisibles aux habitants d’Israël et en particulier aux habitants de la zone environnante [près de Gaza]. Un travail difficile pour Israël après que nos forces ont assassiné des enfants, dont un de 5 ans, et des femmes. Des images difficiles pour la hasbara [la stratégie de communication]".
On peut presque s’émerveiller de la capacité de Rayten à faire tenir tant d’abominations en quelques dizaines de mots. Opération réussie ? Selon quel critère ? Les habitants du sud d’Israël se trouvent dans des abris et le danger pour leur sécurité s’est accru à la suite de l’assaut militaire. Qu’est-ce qui en fait une opération réussie, si ce n’est l’effusion de sang palestinien ? Et nos soldats sont rentrés sains et saufs d’où exactement ? Les pilotes de l’armée de l’air se sont-ils battus face à face avec des militants palestiniens dans les ruelles de Gaza ? D’où sont censés revenir sains et saufs les soldats qui bombardent une population civile à l’aide des armes les plus perfectionnées et qui sont protégés jusqu’à l’os ?
Il est également abominable et nauséabond de voir que le meurtre de femmes et d’enfants est considéré comme un "problème de hasbara". Heureusement pour Israël, il dispose désormais, à l’instar des meilleures dictatures du monde, d’un ministre de la propagande - notre ministre de l’information, Galit Distel Atbaryan - pour s’occuper de ces "problèmes de hasbara", de ces familles brisées qui seront bientôt enterrées.
Récolter les fruits de son action
La désintégration complète de l’opposition israélienne face à une opération militaire n’est pas seulement une abomination morale, mais une folie politique de premier ordre. Le centre gauche sioniste a enseigné à la droite, à maintes reprises, que le meilleur moyen de paralyser complètement le camp adverse est de déclencher une guerre, car alors "il n’y a pas de coalition et pas d’opposition".
En effet, moins de 24 heures après la réouverture des portes de l’enfer sur Gaza, Netanyahou commence déjà à en récolter les fruits. Après avoir menacé de ne plus coopérer avec la coalition, Otzma Yehudit, le parti de Ben Gvir, a annoncé qu’il recommencerait à soutenir le gouvernement à la Knesset. Les manifestants anti-gouvernementaux ont également annoncé que, suite à l’opération, ils annulaient une manifestation prévue pour mardi devant la Conférence sur la sécurité à Jérusalem.
La tragédie du camp juif de centre-gauche en Israël n’est donc pas seulement qu’il ne sait pas comment diriger, mais qu’il ne sait pas comment servir d’opposition. À cet égard, il peut tirer une leçon précieuse de la droite.
Il y a un an, sous la coalition Bennett-Lapid, lorsque les "règlements d’urgence sur les colonies" - les lois qui appliquent institutionnellement l’apartheid en Cisjordanie - étaient sur le point d’expirer, la droite dirigée par Benjamin Netanyahu n’a pas hésité à voter contre leur renouvellement. Les électeurs de droite n’ont pas accusé leurs dirigeants de négliger les colons, ni de porter atteinte aux intérêts nationaux vitaux, ni même de rejeter les lois d’apartheid. Mais les politiciens savaient très bien qu’à ce jeu de "poule mouillée", c’est la coalition qui céderait la première. Ils avaient raison, bien sûr : le "gouvernement du changement" s’est sacrifié sur l’autel du maintien de l’apartheid dans les territoires occupés.
Aujourd’hui, il n’y a pas de véritable opposition politique en Israël, à l’exception des partis politiques arabes. Et tant que le sang palestinien continuera à être le ciment de la politique juive israélienne, aucune opposition sérieuse ne pourra jamais s’établir ici. Tant que cela ne changera pas, les partis juifs d’opposition continueront à être humiliés par leur promiscuité morale et leur fuite en avant politique.
Traduction : AFPS