Photo : Ayman Odeh se fait exclure de la Knesset, 21 mars 2024 © chaîne télévisée de la Knesset
Il y a sept ans, en mai 2018, une formation élargie de la Cour suprême, composée de neuf juges, a rejeté à l’unanimité les recours contre la loi sur la destitution. Selon cette loi, approuvée par la Cour suprême, une majorité de 90 députés peut destituer un député en exercice. Autrement dit, au lieu de protéger les droits de la minorité contre l’oppression de la majorité, la Cour suprême a décidé d’autoriser les députés juifs, connus bien sûr pour leur grande sagesse, leur honnêteté et leur discernement lorsqu’il s’agit des députés arabes, à exclure de la Knesset plus de 20 % des citoyens élus du pays.
Car dès le début, il était clair qu’il s’agissait uniquement de cela : le droit des députés juifs d’expulser les députés arabes de la Knesset. La loi parle d’expulsion pour « incitation à la discrimination raciale et soutien à la lutte armée contre l’État d’Israël ». En d’autres termes, les députés voleurs, violeurs, proxénètes, dissimulateurs de témoins ou simplement corrompus n’ont aucune raison de s’inquiéter. Pas plus que les députés qui appellent à procéder à des purges ethniques parmi les Palestiniens en Cisjordanie ou à exterminer toute la population de Gaza. Cela ne relèvera jamais de la définition d’« incitation à la violence ». Qu’est-ce qui en relève alors ? Allons, nous ne sommes pas des enfants.
L’innocence feinte de la Cour suprême lors de ce débat était vraiment stupéfiante. La présidente de la Cour suprême de l’époque, Esther Hayut, a fait remarquer que si la loi porte effectivement atteinte aux droits fondamentaux, elle comporte un système de freins et contrepoids, et « on ne peut pas dire qu’elle nie l’essence même de l’identité démocratique de l’État et ébranle les fondements de la structure constitutionnelle ».
Nier l’essence même de la démocratie israélienne ? Certainement pas. Je dirais même le contraire ! Il n’y a pas de meilleure expression de la démocratie israélienne tant vantée que cette loi. Et quels sont les freins et contrepoids dont se réjouit la présidente ? Sur les 70 membres de la Knesset qui ont initié la procédure de destitution, dix doivent être des membres de l’opposition. Un véritable filet de sécurité en acier ! Car les membres de l’opposition juive en Israël – d’Avigdor « abattre la hache sur leur tête » Liberman, en passant par Yair « déteste les Zoabi » Lapid, jusqu’au général « compteur de cadavres » Benny Gantz – sont connus pour leur profond engagement en faveur des droits civils de la minorité palestinienne en Israël.
Après que, pendant des années, la Cour suprême elle-même ait annulé à maintes reprises les décisions de la commission électorale d’invalider la candidature de candidats palestiniens, il semble désormais convaincu que son intervention n’est plus nécessaire et qu’on peut compter sur les députés juifs pour prendre eux-mêmes des décisions réfléchies et responsables concernant les députés arabes. Nous avons la chance d’avoir une Cour suprême optimiste et qui croit en l’être humain.
Nous avons vu hier (lundi) la signification de la confiance accordée par la Cour suprême aux députés juifs lors d’une démonstration infernale, lors du deuxième débat organisé par la commission de la Knesset sur la proposition de destitution du député Ayman Odeh. En regardant le débat, j’ai écrit à mes amis que j’avais l’impression que mes yeux saignaient. C’était physiquement insupportable. Des députés de différents groupes politiques, des gens qui n’arrivent pas à la cheville d’Ayman Odeh en matière d’humanisme, de morale et de courage démocratique, se sont livrés à une compétition pour voir qui réussirait à prononcer les propos les plus répugnants à son encontre.
Personne n’a prêté attention aux propos de la conseillère juridique de la Knesset qui, bien qu’elle ait fait le nécessaire pour condamner les « propos révoltants » d’Odeh, a déclaré qu’il n’y avait pas lieu de le destituer. Et ils n’ont certainement pas écouté l’avocat d’Odeh, le Dr Hassan Jabarin, qui a expliqué pourquoi cette proposition était viciée sur le plan procédural, irrecevable sur le plan juridique et immorale. Ainsi, du début à la fin de la discussion – qui s’est terminée après le vote (auquel seuls les deux députés palestiniens membres de la commission se sont opposés) par le président de la commission, le député Ophir Katz, qui a qualifié le député Odeh de « partisan constant du terrorisme » et a déclaré qu’il devait « pourrir en prison », ni plus ni moins.
Des accusations creuses
Depuis l’adoption de la loi de destitution, il y a neuf ans, deux tentatives ont été faites pour l’appliquer : contre Basel Ghattas, après l’affaire des téléphones portables introduits dans la prison, tentative qui s’est avérée inutile après que Ghattas lui-même ait choisi de démissionner de la Knesset afin de ne pas créer de précédent dans l’application de cette loi draconienne ; et contre Ofer Cassif, tentative qui a échoué après que le soutien de 90 députés n’ait pas été obtenu. La question se pose donc : pourquoi tenter de l’appliquer contre Ayman Odeh, l’une des personnes les plus modérées de cette Knesset extrémiste, et pourquoi maintenant ?
Carl von Clausewitz, militaire prussien considéré comme l’un des pères de la théorie militaire moderne, a déclaré que « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». La Knesset a inversé cette phrase : ici, c’est le travail parlementaire qui constitue la continuation de la guerre par d’autres moyens.
Après des années de règne de Netanyahu, on peut affirmer avec quasi-certitude que cet homme (et ses acolytes) ne recule devant rien et ne fait rien qui ne serve son unique objectif : rester au pouvoir. Netanyahu savait pertinemment que deux choses menaçaient cet objectif. Le premier est la perte du soutien public à la guerre d’extermination à Gaza après près de deux ans, sans perspective de fin ni de retour des otages, et avec les prémices d’une critique publique sur l’ampleur des tueries et de la famine à Gaza. La deuxième menace pour le pouvoir de Netanyahu est l’augmentation significative du taux de participation arabe aux prochaines élections législatives. Cette possibilité est considérée par beaucoup comme très réaliste : après que la police de Ben Gvir ait brutalement empêché toute possibilité de manifester contre le génocide dans la bande de Gaza ou même d’exprimer sa solidarité avec leur peuple massacré, voter contre ce gouvernement sanguinaire reste pratiquement la seule possibilité pour les citoyens arabes d’exprimer leur protestation.
Netanyahu a répondu à la première menace par une attaque sauvage contre l’Iran. Certes, selon les experts, elle n’a atteint aucun des objectifs présentés au public, mais comme l’a écrit ici Meron Rapoport, elle a constitué une bonne occasion, tant pour Netanyahu lui-même que pour l’armée, de redorer leur image publique après près de deux ans de destruction et de dévastation qui n’ont pas apporté au public la « victoire totale » qui lui avait été promise.
La procédure de destitution contre Ayman Odeh visait à atteindre le deuxième objectif. En ce sens, Odeh a été choisi comme victime précisément parce qu’il parle le langage du partenariat arabo-juif. Car si le plus pacifique des représentants des citoyens palestiniens est persécuté pour un seul tweet (dans lequel Odeh exprimait une empathie profonde et peu évidente pour les citoyens juifs), le public arabe doit comprendre que voter pour la Knesset sera inutile et que ses représentants seront persécutés sans relâche, par tous les moyens nécessaires. Le principal destinataire de cette mesure ignoble est le public arabe, et le message est le suivant : le jour des élections, restez chez vous. Votre vote n’a aucune importance.
Il n’y a rien de vraiment surprenant dans cette histoire, mais la participation des représentants des factions de l’opposition à la commission de la Knesset à ce cirque est tout de même très déprimante. Non pas que nous leur ayons jamais attribué des qualités telles que l’honnêteté, une colonne vertébrale morale ou une aversion pour le fascisme ou le racisme. Nous connaissons bien leur jeu. Mais il est impossible de comprendre la folie qui les pousse à continuer de soutenir Netanyahu et à l’aider à se maintenir au pouvoir. Après l’attaque contre l’Iran, au lieu d’exiger de Netanyahu des réponses claires sur les motifs de la guerre, de le confronter au prix qu’elle a coûté et aux objectifs fictifs qui n’ont pas été atteints, cette opposition molle s’est levée pour l’applaudir et lui a offert une victoire symbolique sur un plateau d’argent.
La mobilisation pour persécuter Odeh est encore plus honteuse et stupide. Non seulement parce qu’ils connaissent Odeh et savent très bien à quel point les accusations portées contre lui sont creuses, mais aussi parce que sans un vote arabe significatif, ils continueront à occuper les bancs de l’opposition jusqu’à ce que de l’herbe pousse sur leurs joues.
Hier, l’opposition a fait un cadeau précieux au camp fasciste, qui s’est déjà lancé dans la course pour obtenir les 90 voix nécessaires pour destituer Odeh lors du vote en séance plénière. Si elle ne se ressaisit pas et n’arrête pas cette danse des démons avant le vote en séance plénière, l’opposition trahira non seulement la morale et l’idée démocratique, mais aussi son public de partisans, qui désespère de remplacer ce mauvais gouvernement. Il ne reste plus qu’à espérer qu’ils feront comprendre à leurs représentants que si leur volonté de paraître aussi « anti-Arabes » que leurs homologues de la droite fasciste les conduit à renforcer le pouvoir de Netanyahu pour plusieurs années encore, ils en paieront le prix dans les urnes.
Traduction : AFPS