À Gaza la folie destructrice israélienne s’acharne sur le patrimoine et la culture. Pratiquement tous les sites archéologiques, les bibliothèques, théâtres, cinémas, musées, mosquées, églises, monuments, sont détruits. Il en est de même pour les écoles et les 12 universités. Des centaines d’intellectuels, de professeurs, de cinéastes, de poètes, d’écrivains, de journalistes n’ont pas survécu aux massacres. Partout en Palestine, c’est l’ensemble du monde culturel qui est – littéralement – dans le collimateur d’Israël. Pour ne prendre qu’un exemple en Cisjordanie, la dévastation du Théâtre de la Liberté à Jénine ainsi que l’emprisonnement « préventif » de son directeur depuis décembre 2023 signent une volonté délibérée d’éradication. Jamais, en Palestine, l’éducation et la culture n’ont été confrontées à une telle hargne d’anéantissement.
En décembre, le ministère palestinien de la Culture rendait public son « Deuxième rapport préliminaire sur les dommages subis par le secteur de la culture du 7 octobre au 6 décembre 2023 ». Le ministre, Atef Abu Saif, bloqué à Gaza depuis le début de l’offensive israélienne écrivait : « Cette guerre aveugle n’épargne rien et piétine toutes les valeurs humaines, la morale et les lois internationales […] Tous les secteurs vitaux sont visés sans exception ». Le rapport recensait alors 28 écrivains et artistes tués, 200 sites archéologiques, 9 maisons d’édition, librairies ou bibliothèques, 21 centres culturels, dont 8 musées détruits ou inutilisables, sans compter la disparition de 150 ans d’archives. La liste des meurtres et des destructions s’est considérablement allongée depuis, en dépit des protestations venues du monde entier. Lorsque Refaat Alareer, poète, écrivain et universitaire de renom, a été assassiné à Gaza, son dernier poème Si je dois mourir, tu dois vivre pour raconter mon histoire a fait le tour du monde. Il a été traduit en 160 langues. En France, mis en musique par le chanteur poète HK, il a été diffusé dans la plupart des rassemblements de solidarité, provoquant à chaque fois une émotion poignante tant ce texte symbolise le cri profond de tout un peuple (et publié dans PalSol no 87).
Car la culture exprime de toutes ses forces l’identité et la volonté de résistance palestiniennes. Que ce soit à travers la poésie, la musique, le cinéma, le théâtre, la danse, l’architecture, l’artisanat, la cuisine, la broderie…. La culture palestinienne est le fruit d’une longue histoire d’échange et de confrontation, au long des millénaires. Au carrefour d’une multitude de civilisations, son patrimoine exceptionnel se diffuse, malgré les murs de l’apartheid. Ce que l’occupant israélien ne veut en aucun cas reconnaître, c’est « Ce que la Palestine apporte au monde », pour reprendre le titre magnifique qu’à Paris, l’Institut du monde arabe a donné, en 2023, aux 6 mois de manifestations qu’il a consacrés à l’effervescence culturelle palestinienne . Ces manifestations ont connu un énorme succès de fréquentation, et plus encore en fin d’année alors que la destruction de Gaza et de son patrimoine était en cours. Lors du dernier festival de Cannes, nombre d’artistes ont exprimé leur solidarité avec la Palestine, et Ground Zero, du réalisateur palestinien Rashid Masharawi, a été projetée lors du Marché du Film.
En Palestine, face à la démesure du traumatisme, artistes et intellectuels prennent un rôle actif pour tâcher de contribuer à la guérison collective, pour tenter de briser la barrière de la terreur instaurée par l’occupant. Nombre d’entre eux, à travers les arts plastiques, les ateliers d’écriture, le hip-hop, la danse, la musique ou le théâtre, « soignent » comme ils peuvent. C’est le cas du Théâtre de la Liberté de Jénine ou du Yes Theatre d’Hébron qui viennent en aide aux enfants par le jeu, par la dramathérapie.
Au demeurant, le monde palestinien de la culture se heurte depuis 2019 à de graves difficultés financières : après avoir longtemps été un soutien considérable, l’Union Européenne, ainsi que de nombreux pays occidentaux, ont rajouté à leurs conventions de financement une pseudo-clause « antiterroriste » dont les attendus sont tout à fait inadmissibles . L’immense majorité des associations palestiniennes a bien évidemment refusé cette injonction exorbitante. Ce qui s’est immédiatement traduit par le blocage des aides. Dans le contexte actuel, cet étranglement financier s’accentue. En témoignent les obstacles aux transferts de fonds que dressent aujourd’hui la plupart des banques !
On sait également que le climat politique israélien de persécution est devenu tellement violent depuis le 7 octobre que la plupart des artistes sont contraints de garder le silence. Beaucoup préfèrent partir. Nombre d’entre eux avaient déjà quitté le pays ces dernières années pour pouvoir créer plus librement, et cette tendance est manifestement en train de s’accentuer. Ceux qui restent connaissent les pires difficultés, quand ils ne sont pas emprisonnés. Le ciblage des artistes et des intellectuels tant en Israël qu’en Palestine crée un climat particulièrement lourd. « Dans cet environnement de silence, de répression et d’intimidation, toute œuvre d’art ordinaire devient un acte de protestation » a déclaré Ali Mawasi, rédacteur en chef du magazine culturel palestinien Fusha. La culture palestinienne est-elle en train de devenir une culture en exil ? Dans ce cas, notre devoir est de lui accorder asile.
Face au tarissement des moyens et à la hargne d’éradication en cours, il nous faut, au côté des Palestiniens, résister au rouleau compresseur génocidaire. Partout en France, nous devons rendre la culture palestinienne accessible au plus grand nombre. Plus que jamais nous devons la promouvoir.
Le Groupe de travail Culture de l’AFPS