Je pense à Gaza et à ses habitants, porteurs emblématiques de ce que la Palestine dit au monde. Nous voyons s’effondrer sous les bombes les équipements éducatifs, culturels, religieux, où se crée, s’entretient et se renouvelle la culture des Palestiniens. Mais la force de la culture persiste et anime des initiatives comme celle des ateliers de soutien psychologique pour des femmes de la région de Khan Younis où la musique, les chants, les jeux palestiniens traditionnels et d’autres les emmènent un moment hors de l’angoisse permanente et recréent des liens que la violence génocidaire veut briser. Des danseurs de dabké ont évolué dans les ruines, leurs corps aériens défient la volonté d’extermination.
En Cisjordanie, l’armée soutient les menées des colons contre des villages palestiniens et lance des raids terriblement destructeurs. À Hébron, néanmoins, le YES Theatre met l’art dramatique au service de l’amélioration de la santé mentale des habitants, tandis que les Amis des arts et de la culture de Palestine récemment associés à la CGT-Spectacle accueillent ensemble à Paris le Théâtre Ashtar de Ramallah avec la pièce Oranges And Stones. Le réseau des arts vivants de Palestine parsème les territoires de lieux de création qui sont autant de manifestations de la culture palestinienne face à la barbarie.
Le Théâtre de la Liberté de Jénine (Freedom Theatre) proclame et met en actes depuis bientôt vingt ans une résistance culturelle partie intégrante de la résistance palestinienne . Avec d’autres artistes, il a lancé une initiative internationale, Promesse de Révolution à laquelle « les amis, les militants et les artistes du monde entier [sont invités] à collaborer de manière créative » …
Il leur est proposé de :
- Organiser une lecture
- Lire un monologue
- Nous inviter à animer un atelier ou une conférence ou à mettre en scène une lecture avec vous, à travailler avec votre équipe et à mettre en scène une lecture avec vos acteurs, vos étudiants ou votre équipe.
- Faire un don au programme de résistance des artistes, qui soutient les artistes palestiniens dans l’animation d’ateliers et de formations pour les participants palestiniens.
L’association des Amis du Théâtre de la Liberté de Jénine (ATL Jénine) existe depuis 2006 en France, comme d’autres associations d’amis du Freedom Theatre aux USA, en Suède, au Portugal. Les membres des ATL ont choisi de soutenir particulièrement les activités d’éducation artistique et culturelle de la compagnie auprès des enfants du camp de réfugiés. Ceux-ci sont accueillis quotidiennement au théâtre pour diverses activités et pendant les vacances, des sorties leur font découvrir d’autres lieux de la Cisjordanie. Il est très difficile de circuler en Cisjordanie à cause des checkpoints et de l’insécurité entretenue par les colonies et l’armée. Ces sorties sont un moyen d’ouverture (limitée) au monde qui s’inscrit dans la résistance culturelle. C’est aussi donner aux enfants des outils d’expression personnelle et d’autonomie dans un contexte d’arbitraire et d’absence de liberté : des spectacles sont créés avec les enfants et les adolescents à l’intention d’un public jeune. Les représentations publiques, qui remportent souvent un vif succès, leur donnent confiance en eux, fierté et dignité. Rappelons que pour de nombreux enfants du camp, la figure du Juif israélien n’est que celle du soldat.
Les acteurs culturels renforcent le vivre-ensemble palestinien et font peur à la puissance occupante qui les vise délibérément parce qu’ils partagent des mots, des images, des espoirs et des forces. Les Israéliens ne peuvent pas les comprendre car ils les méprisent. L’art et la culture sont porteurs d’une puissance de subversion que l’apartheid ne peut détruire ; ils annoncent la fin de l’aventure coloniale. Mais il faut vraiment une force de caractère et de conviction pour résister aux attaques incessantes de l’armée qui a vandalisé les bâtiments du théâtre en juillet et en décembre 2023, arrêté Mustafa Sheta, directeur du théâtre toujours en détention administrative à ce jour, comme le président, Bilal al-Saadi, arrêté en septembre 2022 et assassiné, des artistes et des jeunes qui fréquentent le théâtre.
Des symboles très forts ont été cyniquement abattus, comme la grande arche d’entrée du camp, surmontée d’une clef géante, appelée la Porte du Retour, et l’immense cheval fait de morceaux de ferraille récupérés de la bataille de 2002. Pourtant, le théâtre a poursuivi ses activités et même ses tournées à l’étranger. Deux tournées ont commencé, l’une avec Et ici je suis et l’autre avec Le métro de Gaza (voir les dates sur www.atljenine.net)
Pendant ce nouveau siège, ATL Jénine a réussi à toucher un grand nombre d’artistes, d’intellectuels et de travailleurs de la culture. La solidarité avec le Freedom Theatre s’élargit et s’approfondit en ces temps dramatiques.
Sonia Fayman, avec Aline Bacchet et Sophie Mayoux,
pour l’association des Amis du Théâtre de la Liberté de Jénine