Une fois n’est pas coutume. Je profite de mon blog pour vous présenter un intellectuel américain qui en l’espace de quelques mois a enflammé le débat ou si vous préférez crée le buzz aussi bien dans la communauté juive américaine qu’en Israël. En publiant en mars dernier, son livre « The Crisis of Zionism », Peter Beinart a lancé un véritable pavé dans la mare. Comment cela ? Eh bien en critiquant le soutien apporté par les organisations juives américaines à l’occupation des territoires palestiniens et de ce fait le développement de la colonisation, ce qui, à ses yeux, risque d’éloigner les jeunes juifs américains d’Israël. « Pendant plusieurs décennies, écrit entre autres Beinart, l’establishment juif a demandé aux juifs américains de laisser à la porte du Sionisme leur soutien aux droits de l’homme. Et, aujourd’hui, ces mêmes responsables juifs découvrent avec horreur que beaucoup de jeunes juifs ont préféré laissé tomber leur sionisme… »
Comme pour mieux enfoncer le clou, dans cet opus de quelques 300 pages, il appelle à un boycott des implantations et de leurs produits. Inutile de dire que les intéressés, les dirigeants des grandes organisations juives américaines et la droite israélienne, aussi bien les responsables gouvernementaux que les partis pro-colons n’ont pas apprécié. Au-delà des noms d’oiseaux – traitre, ennemi du peuple juif etc.- et des articles très critiques dans la presse israélienne, on trouve sur la toile, nombre de sites très hostiles à Beinart comme « Tablet » qui consacre un long article à l’intitulé on ne peut plus clair : « Peter Beinart false prophecy. « The Crisis of Zionism », his book arguing that the Israeli occupation alienates young American Jews, is sloppy with facts and emotionally contrived ». En Français : “La fausse prophétie de Peter Beinart. “La crise du sionisme”, son livre, selon lequel l’occupation israélienne aliène les jeunes juifs américains, manque de rigueur factuelle tout en étant émotionnellement artificiel… »
Mais, oh surprise, dans le magazine du Jerusalem Post publié pour Shavuot, Beinart, que le quotidien en langue anglaise n’avait, jusque là, pas épargné, se retrouve à la dixième place sur la liste des 50 juifs les plus influents dans le monde. Suit une longue interview qui lui donne la parole. On y apprend par exemple qu’il n’est pas toujours d’accord avec J-Street- une organisation juive américaine de gauche qui prône la solution à deux états, soit l’établissement aux côtés d’Israël d’un Etat palestinien viable.- mais qu’il est particulièrement fan de deux ONG dont une partie de la droite nationaliste et l’ensemble de l’extrême droite israélienne demande régulièrement l’interdiction : The New Israel Fund et B’Tselem. Pour P.B, ces deux organisations font partie de ces groupes qui soutiennent inlassablement la démocratie israélienne tout en récusant les politiques gouvernementales qui vont à l’encontre des règles démocratiques. Il dénonce également cette idée très développée ces derniers temps selon laquelle « le monde entier est contre nous » avec son corollaire « celui qui ne nous soutient pas totalement est contre nous ». Enfin concernant la centralité aujourd’hui de la question iranienne qui a eu pour résultat de faire passer au second rang la question palestinienne, il déplore cet état de fait : « la question palestinienne ne disparaît pas parce qu’Israël a décidé de se concentrer sur le dossier iranien. J’ai peur que plus l’absence de progrès persistera et plus une troisième Intifida deviendra vraisemblable ce qui potentiellement veut dire la fin de la solution à deux états. »
Mais qui est donc Peter Beinart ? Il est né en 1971 dans le Massachusetts, de parents juifs venus d’Afrique du sud. Son grand-père maternel était originaire de Russie et sa grand-mère maternelle d’Egypte. Après des études d’histoire et de science politique à l’université de Yale, il ira étudier à Oxford d’où il sortira en 1995 titulaire d’un Master en relations internationales.
De retour aux Etats-Unis, il va rentrer au journal « The New Republic » où il restera jusqu’en 2006. Aujourd’hui, il est professeur associé de journalisme et de sciences politiques à l’université de New-York. On retrouve sa signature dans de prestigieux quotidiens ou magazines américains : le New-York Times, The New York Review of books. Il est aussi éditorialiste politique dans le blog « The Daily Beast ». En mars dernier, il a lancé son propre blog : « Open Zion ».
(http://www.thedailybeast.com/openzion.html)
L’élément intéressant chez lui, c’est qu’il vient de la sphère des néoconservateurs américains. Il a notamment soutenu la seconde guerre en Irak. Avant de considérer trois ans plus tard qu’il s’agissait d’une tragique erreur. C’est en 2010 qu’il se fait vraiment connaître du grand public, avec la publication dans The New York Review of Books d’un très long article intitulé « The Failure of the American Jewish Establishment ». Il développera son argumentation dans son livre qui vient de sortir : « The Crisis of Zionism ». Lors de la dernière plénière de J Street, il semble avoir définitivement assis son surnom d’enfant terrible de l’establishment juif en appelant à donner plus d’espace au discours critique à l’égard d’Israël , allant jusqu’à déclarer : « tout responsable juif qui associe désaccord politique avec antisémitisme devrait être immédiatement renvoyé ». Il s’en prend aussi à la notion de « self-hating Jews » (Les Juifs ayant la haine de soi) largement utilisé par la droite juive ou israélienne : « C’est la chose la plus stupide que j’ai jamais entendu ! » écrit-il, tout en estimant que « les juifs sont un composite d’amour de soi et de haine de soi. »