Cependant, les informations commencent à filtrer progressivement, soit par la presse non européenne - arabe, israélienne et américaine - soit par des parlementaires pacifistes motivés des pays impliqués. A partir du cas de l’Italie et du problème des drones, Pour la Palestine initie une nouvelle rubrique d’une grande importance politique et diplomatique car cette coopération militaire pose la question de la stratégie de l’UE au Moyen-Orient.
Le 2 février dernier, le Sénat italien a approuvé à une large majorité un projet de loi de ratification du « memorandum d’accord » entre les gouvernements italien et israélien en matière de coopération dans le secteur militaire et de la défense.
En présentant le projet, le ministre des Affaires étrangères et celui de la Défense avaient auparavant précisé qu’il s’agit d’un « accord-cadre général qui régule la coopération entre les parties dans le secteur de la défense », dans le cadre duquel « pourront être conclus des accords techniques spécifiques. »
Un accord tout terrain
Les domaines de coopération méritent d’être précisés. Ils comprennent entre autres « l’échange de matériel d’armement », « l’organisation des forces armées », « la formation et l’entraînement du personnel militaire », « la recherche et le développement dans le domaine militaire ». Pour cet objectif sont prévus des « échanges d’expériences entre les experts des deux parties », une « participation d’observateurs à des exercices militaires », des « programmes de recherche et de développement dans le domaine militaire ». Un accord, si on peut dire « tout terrain », qui va bien au-delà du niveau technique. Les ministres l’ont d’ailleurs souligné, il s’agit d’un « engagement politique précis pris par le gouvernement italien en matière de coopération avec l’Etat d’Israël dans le domaine de la défense ». C’est pour cette raison que les ministres, en soulignant que ce memorandum d’accord correspond aux « intérêts stratégiques nationaux » [1], ont demandé au parlement d’autoriser sa ratification par la loi. Dans une certaine mesure, il s’agit bien d’intérêts stratégiques nationaux si on se situe dans l’optique des intérêts tels qu’ils sont conçus par le gouvernement de Silvio Berlusconi. En effet, les forces armées italiennes ont beaucoup à apprendre des Israéliens en matière d’armement, d’organisation et d’entraînement. Il faut préciser aussi que le projet de loi a été présenté de concert avec le ministre de l’Intérieur, Pisanu, lequel vient effectivement de signer avec son homologue israélien un accord spécifique de coopération ; ce qui pose le problème de l’utilisation du savoir-faire israélien pour l’éventuelle répression du puissant mouvement de paix italien déjà l’objet à Gênes, en 2002, d’une terrible opération de répression. Or ce mouvement, « Action for peace », a dénoncé, en décembre 2004, l’accord militaire entre Israël et l’Italie et demandé une suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël.
Par ailleurs, dans le domaine de la recherche et du développement, l’industrie de guerre italienne peut tirer des avantages notables de la coopération avec Israël et, à son tour, elle peut offrir à Israël sa haute technologie. En outre, le fait que le projet de loi ait été présenté de concert avec le ministre de l’Université et de la Recherche indique que le gouvernement entend impliquer dans la coopération militaire avec Israël des centres de recherche universitaires. Cela concerne en particulier le secteur très délicat de l’avionique et de l’électronique militaires.
Un accord italo-israélo-américain
Pour mettre au point l’accord-cadre, le ministre de la Défense israélien, Shaul Mofaz, a rencontré le 18 novembre, à Rome, Silvio Berlusconi et Francesco Martino, ministre de la Défense. Selon des sources militaires israéliennes citées par La Voix de l’Amérique le 22 novembre, ils se sont mis d’accord pour « le développement conjoint d’un nouveau système de guerre électronique hautement secret », projet auquel est destiné un premier financement commun de 181 millions de dollars. Or, il s’agit d’un domaine dans lequel Israël a jusqu’à maintenant coopéré seulement avec les Etats-Unis. Ceci signifie que l’accord italo-israélien a été préalablement approuvé par la Maison Blanche, qui compte sur Berlusconi en même temps que sur Blair pour pousser l’Europe à participer, avec les Etats-Unis et Israël, à la « guerre globale contre le terrorisme ».
Après le vote du Sénat, et la confirmation - acquise - de la Chambre des députés, l’industrie militaire et les forces armées italiennes seront impliquées dans des activités que personne en dehors d’elles - pas même le parlement- n’aura à connaître. En effet, ce mémorandum établit que « les activités dérivant du présent accord seront soumises à l’accord sur la sécurité », lequel prévoit le plus grand secret. Sous la chape du secret militaire, on peut imaginer aisément beaucoup de choses, surtout lorsqu’on connaît le savoir-faire militaire et policier israélien. En outre, il ne faut pas oublier qu’Israël possède des armes nucléaires. Cela signifie que, dans le cadre de l’accord, les technologies de pointe italiennes pourront être secrètement utilisées pour renforcer la capacité d’attaque des vecteurs nucléaires israéliens.
Il est donc prévisible que la coopération militaire avec Israël compromettra gravement les relations entre l’Italie et les pays arabes d’une part, l’Iran d’autre part. Pour ne pas parler des relations avec les Palestiniens. L’accord de coopération avec l’Italie contribuera, en effet, à rendre encore plus meurtrières les armes utilisées par les forces armées israéliennes dans les territoires palestiniens.
Pour le sénateur Vert, Francesco Martone, l’accord de coopération militaire entre l’Italie et Israël n’est pas seulement un accord entre militaires, mais de collaboration politique et diplomatique et il fait partie d’une stratégie d’ensemble. « Un accord de ce type », a-t-il dit, « signifie prendre nettement la défense d’Israël et ceci peut avoir un effet déstabilisant dans une situation déjà si difficile comme celle du Moyen-Orient. » De surcroît, cet accord constitue une violation de la réglementation italienne sur le commerce des armes qui interdit l’exportation d’armes à des pays belligérants ou vers des gouvernements responsables de violations des droits humains.
Plus globalement, cet accord s’inscrit dans un plan de l’Administration Bush qui vise à utiliser ce nouvel axe pour bloquer toute implication de l’Union européenne dans une éventuelle reprise de négociations multilatérales de paix au Moyen-Orient.
Bernard Ravenel