Les soldats ont-ils fêté vendredi le fait que l’un d’entre eux a tiré directement dans l’estomac d’Ali Abu Aliya, 15 ans, qui est mort des suites de ses blessures ?
Ce n’est pas une question irréaliste, car le vendredi précédent, le 27 novembre, les membres masculins et féminins de la police des frontières se sont réjouis après que l’un d’entre eux a tiré une balle "deux-deux" directement dans la jambe d’un autre jeune Palestinien. Un clip vidéo, qui accompagne cette chronique, a commémoré la joie de la police des frontières.
Le porte-parole de la police ne s’est même pas donné la peine de répondre à la question de Haaretz sur la raison de cette réjouissance. Dans le passé, lorsque des preuves visuelles étaient publiées pour documenter la satisfaction des soldats d’avoir versé le sang, on entendait encore la réponse officielle qui disait : « Ce n’est pas la façon de faire de l’IDF ». Aujourd’hui, cette prétention n’est même pas nécessaire. Toute démonstration de brutalité, de méchanceté obéissante et d’ignorance maligne, adressée aux Palestiniens, semble naturelle et acceptable pour les Israéliens. Un aspect incontestable de notre façon d’être.
Les circonstances de la fusillade des deux vendredis sont similaires : des Palestiniens manifestant contre des Israéliens violents habitant des avant-postes, qui s’emparent de leurs terres. Les forces de l’armée et de la police des frontières exercent immédiatement une violence qui entraîne une réaction de quelques jeunes Palestiniens.
Vendredi dernier, c’était à l’entrée est du village d’al-Mughayir. La semaine précédente, c’était au sud de ce village, près de l’installation de forage de l’Autorité palestinienne à Ein Samia. Les deux sites sont situés au nord-est de Ramallah. Je ne connais toujours pas la composition de ceux qui ont tiré sur les manifestants vendredi. À Ein Samia, la présence de femmes israéliennes armées était très importante.
Le féminisme israélien connaît une mutation dangereuse, à savoir la demande d’un nombre croissant de femmes pour assurer des rôles de « combat ». Nous ne savons pas si elles devront un jour défendre la patrie contre une armée étrangère. En attendant, elles - comme les hommes soldats - maintiennent l’occupation militaire et défendent ses trophées : les avant-postes et les colonies, tous illégaux. Les femmes soldats, comme les hommes, qu’elles soient ou non des soldats de combat, sont envoyées pour défendre l’observance de la loi juive, pour abuser, voler, expulser.
Un échantillon représentatif de la mutation sadique du féminisme israélien est visible dans le film du photographe de presse Hisham Abu Shaqrah. On y voit les troupes de la police des frontières dans leur uniforme gris : trois hommes, deux femmes. Ils portent tous des sacs à dos, équipés de fusils et de lanceurs pour tirer des balles à pointe éponge, qui sont connues pour leur capacité à arracher les yeux.
Les ongles d’une des policières armées sont peints en rose, un manifestant israélien l’a remarqué. Les troupes avaient l’air très détendues en regardant l’incident se dérouler à quelques dizaines de mètres de là. Une épaisse fumée s’échappait d’un pneu en feu, plusieurs jeunes hommes marchaient autour, deux d’entre eux jouaient avec un lance-pierre. La pierre qu’il contient a peu de chance de toucher la route ou l’armée. Plus tôt encore, la police et les soldats ont accueilli la marche pacifique de manifestants descendant de Kafr Malik avec des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes. C’est le schéma habituel pour disperser les manifestations dès le début. Plus tard, des balles à pointe éponge et des balles métalliques recouvertes de caoutchouc ont également été tirées.
Dans le clip vidéo, on voit un policier des frontières allongé dans une posture de sniper derrière une porte de jeep ouverte. Derrière la porte, deux autres policiers et deux policières sont rassemblés. Abu Shaqra a dit au chercheur de B’Tselem Iyad Haddad qu’il avait remarqué un officier qui avait donné des instructions au policier couché sur le sol. « C’était comme s’il l’entraînait et lui apprenait à tirer sur les gens », a déclaré le photographe. C’était vers midi. Soudain, un seul coup de feu a été entendu. Dans la vidéo, on voit l’un des jeunes hommes qui agitaient une fronde se pencher soudainement et saisir son tibia. La balle l’avait touché.
Un policier applaudit, les deux policières félicitent le sniper couché sur le ventre, chacune le touchant légèrement avec son pied. Après que l’ambulance est arrivée et a pris l’homme blessé, une des policières se précipite pour embrasser le sniper qui s’est déjà levé, et crie quelque chose comme « c’était génial ! » On entend un des policiers, apparemment le commandant, dire « excellent ». Les journalistes présents sur le site, dont Abu-Shaqra, ont immédiatement réalisé qu’il s’agissait d’une balle « deux-deux », tirée d’un fusil de précision Ruger.
Dans sa réponse à Haaretz, le porte-parole de la police a qualifié les manifestations de violentes et de trouble à l’ordre public, et a confirmé que dans le cadre des moyens de dispersion des manifestations, le Ruger a été utilisé « sur approbation de l’entité militaire responsable, et conformément aux procédures, contre une personne turbulente qui avait prévu de jeter une pierre aux forces, et après qu’elle a jeté un certain nombre de pierres à l’aide d’un lance-pierre ».
Le Ruger tire des balles de calibre 0,22, d’où son nom « deux-deux ». Ce sont des balles réelles qui, bien que moins puissantes que les balles ordinaires, peuvent être mortelles ou causer des blessures graves. En 2009, en réponse à une question de B’Tselem, l’avocat général de l’époque Avichai Mendelblit a déclaré que l’armée ne définissait pas les « deux-deux » comme un moyen de disperser les manifestations ou une conduite désordonnée.
À l’époque, au moins deux manifestants palestiniens avaient été tués par balles « deux-deux ». Depuis lors, au moins cinq autres manifestants ont rejoint la liste des morts. Or, dans le processus collectif de brutalisation, le « deux-deux » fait partie intégrante des méthodes de répression des manifestations palestiniennes. Et au nom de la libération et de l’égalité des femmes, de plus en plus de femmes israéliennes sont désireuses de participer, et participent très activement, à refuser leur liberté aux autres.
Traduit de l’anglais original par l’AFPS