La broderie est une pratique traditionnelle sociale et intergénérationnelle qui remonte à plus de 3000 ans. C’est aussi une forme de résistance culturelle du peuple palestinien à la colonisation. Elle constitue également une source de revenus pour de nombreuses femmes. Cette reconnaissance devrait contribuer à la maintenir comme une pratique vivante et lui éviter d’être abusivement pillée.
Abdullah Hawash , photographe palestinien a réalisé il y a quelques années un recueil de photos Ma robe est palestinienne , d’une centaine de femmes qui portent toutes sortes de robes palestiniennes brodées. Son projet visait à affirmer le droit palestinien historique sur la broderie faite artisanalement pour que le monde entier la (re)connaisse.
Par son travail il s’opposait au « pillage » du patrimoine palestinien par l’occupant qui tentait de faire enregistrer à l’UNESCO la broderie traditionnelle palestinienne comme patrimoine israélien, alors que les Palestinien·nes la revendiquent en tant que patrimoine constitutif de leur identité.
L’art de la broderie des femmes de Palestine est entré au Patrimoine culturel de l’Humanité de l’UNESCO, sa pratique correspondant à la définition, qui mêle à la fois manifestation culturelle, richesse des connaissances et relation intergénérationnelle. Cette reconnaissance vise aussi à donner une plus grande visibilité et à protéger le patrimoine culturel de l’humanité menacé.
La broderie se transmet de mère en filles
Dans l’art du tatreez, les broderies au point de croix sont faites de fil de soie ou de coton sur une toile de lin, de coton ou de laine, parfois avec de petites perles. Les motifs représentent de façon stylisée, collines ou végétaux inspirés de la nature, à partir de figures géométriques. Le rouge est la couleur dominante à laquelle sont associés en contrepoint, du vert, du rose, de l’orange, du blanc… La combinaison des couleurs est apparemment symétrique mais celle-ci est souvent contrariée afin que l’ouvrage ne soit pas parfait – puisque la perfection n’appartient qu’à Dieu…
Les motifs brodés et les couleurs varient d’une région à l’autre, de Ramallah à Gaza, en passant par Hébron ou Naplouse. Ils permettent aussi d’indiquer le statut marital et économique des femmes. Ainsi, chaque région est reconnaissable et un œil averti peut dire que telle femme vient de tel village, qu’elle est mariée, veuve ou remariée…
Les zones de la robe qui portent les broderies sont partout les mêmes : le plastron (qabbeh), les « branches » (irq) sur les coutures d’assemblage, les panneaux triangulaires de côté (benaayeq), les manches et le panneau arrière (diyaal).
Cet art populaire et traditionnel n’est pas exempt de renouveau, d’engouements
ou de tendances, voire d’effets de mode
Depuis l’occupation, la pratique de la broderie a été relancée parmi les réfugiées (et la diaspora) pour rappeler et souligner l’identité nationale et politique. Grands-mères, mères et jeunes filles se réunissent pour broder, coudre, créant une source de revenus pour leurs familles. Et certaines se sont organisées en collectif dans des centres communautaires qui se chargent de la promotion et de la commercialisation des œuvres.
C’est aussi une source d’inspiration pour de nombreux créateurs palestiniens qui n’hésitent pas à intégrer le tatreez à de nouveaux vêtements, à le décliner sur d’autres supports (trousses, étuis, sacs, ou des porte-monnaie par exemple), à y inclure le keffieh…
Et quand la tradition se trouve confrontée aux massacres, à l’exil et à la dispersion, à l’occupation militaire et à la répression, elle évolue et reflète, du fait de la créativité des femmes, les drames politiques subis par le peuple palestinien.
Au-delà de l’aspect culturel et économique, la broderie est aussi un symbole politique
Jeni Allenby décrypte dans une étude comment le costume traditionnel a évolué après l’intifada à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Quand sont apparues des robes-drapeaux ornées de broderies aux couleurs du drapeau palestinien interdit (à l’époque), avec des motifs nationalistes de broderie telle la mosquée du dôme du Rocher, les motifs repris du keffieh et des cartes de la Palestine, de la calligraphie, le tout intégré à la structure du plastron et des pans latéraux verticaux de la jupe. L’autrice d’évoquer les paroles d’une femme de Beit Omar : « Des gens étaient emprisonnés pour le port du drapeau, et par conséquent, nous, les femmes, nous le brodions sur nos thobes ».
Pour mémoire, cette robe traditionnelle a fait le buzz aux États-Unis en 2019 lorsque Rashida Tlaib a prêté serment au Congrès des États-Unis revêtue de la thobe. Sur Twitter via #TweetYourThobe, des centaines de femmes ont posté des photos d’elles vêtues de cette robe brodée.
Souvenons-nous aussi du concours de Miss Univers, en décembre 2021 (en Israël) où les candidates portaient la robe palestinienne, présentée comme israélienne ! De nombreuses Palestiniennes habillées de leur thobe sont descendues à Ramallah et à Gaza, pour protester contre cette usurpation.
Mireille Sève