Le camp de réfugiés de Shu’fat est en état de siège. L’armée israélienne se déchaîne dans une fébrile chasse à l’homme pour retrouver le combattant de la résistance responsable de la mort d’un soldat au checkpoint militaire de Shu’fat.
À Naplouse, un groupe de résistance armée du nom d’Areen al-Usud (« l’Antre du lion ») lance un appel à une grève massive dans toute la Palestine.
Le plus surprenant, c’est que plusieurs villes répondent à l’appel, bien qu’il n’émane d’aucun parti politique officiel, ce qui n’empêche pas la vie normale d’être interrompue en de nombreux endroits.
Rien de tout cela n’aurait été imaginable il y a moins d’un an. Ces derniers jours, Areen al-Usud a revendiqué six opérations de tir différentes contre des cibles militaires israéliennes.
Dans le camp de réfugiés de Jénine, un autre groupe armé, les Brigades de Jénine, continue de s’opposer à l’armée israélienne lors de ses incursions.
Ce matin même, alors que le siège de Shu’fat entamait une nouvelle journée, l’armée a lancé une invasion parallèle à Jénine, assassinant une personne et en blessant six autres dans le cadre des ses tentatives depuis des mois d’éradiquer le mouvement de résistance qui se développe dans le camp.
Les échanges de coups de feu avec l’armée sont devenus monnaie courante à Jénine et Naplouse, et chaque jour semble apporter un nouveau martyr, une nouvelle série d’arrestations, un nouveau siège dans une autre ville.
Tout le monde dit la même chose : c’est comme au début des années 2000, quand Israël a lancé une invasion militaire à grande échelle de la Cisjordanie pour détruire les principaux refuges de la résistance palestinienne.
Il est trop tôt pour dire à quel moment nous nous trouvons – s’il s’agit du tournant historique qui nous fera sortir de la dernière décennie de soumission, ou du dernier souffle de protestation avant quelque chose d’encore pire – mais ce qui est certain, c’est que nous sommes plus proches que jamais d’un retour à un état de refus, voire de résistance totale, à la réalité coloniale que certains voudraient nous faire ignorer.
Mais les comparaisons avec la deuxième Intifada sont jusqu’à présent prématurées. Bien que la simple existence de plusieurs groupes armés qui ont établi des bastions sûrs en Cisjordanie soit en soi sans précédent, il y a une différence importante.
Quelques mois après le début de la deuxième Intifada, toutes les grandes factions politiques sont officiellement entrées en guerre contre l’État colonial. Même l’appareil de sécurité de l’AP a participé aux combats, alors que chaque centre de population palestinien est devenu un refuge pour les groupes de guérilla palestiniens, qui se sont transformés en organisations paramilitaires populaires orientées vers la confrontation armée défensive et offensive.
En d’autres termes, une décision claire avait été prise au niveau politique de résister par tous les moyens nécessaires, en phase avec l’élan et la rage populaires qui ont été déclenchés pour la première fois lorsqu’Ariel Sharon a pris d’assaut le complexe d’Al-Aqsa avec ses partisans en septembre 2000.
Aujourd’hui, les partis politiques qui ont participé à l’Intifada sont des coquilles vides de ce qu’ils étaient il y a vingt ans. Dans le meilleur des cas, l’AP reste les bras croisés tout en se faisant réprimander par ses supérieurs, et dans le pire des cas, elle participe activement à l’effort de suppression de la résistance, en arrêtant les combattants et en réprimant les manifestations.
L’humeur populaire, cependant, semble bien plus préparée à une confrontation, si l’on en croit les grèves de masse, les protestations et la montée de nouveaux symboles populaires.
À chaque nouveau martyr tombé au combat, il semble que d’autres prennent leur place. Mais aucun de ces résistants ne semble recevoir d’ordre de quelqu’un d’en haut, ni même avoir d’affiliation politique d’aucune sorte.
En même temps, ceux qui sont tombés ont acquis un statut légendaire dans l’imagination populaire, devenant des exemples d’héroïsme dans une époque sans héros. À une époque où les partis politiques sont associés à la corruption et au défaitisme, il n’est pas étonnant que la rue palestinienne ait largement débordé la classe politique officielle.
Ceux d’entre nous qui se précipitent pour déclarer que ce moment est le signe avant-coureur de l’Intifada à venir le font avec une certaine hésitation, peut-être parce que les précédentes périodes de bouleversements, de 2015 à 2021, ont toutes fini par s’éteindre.
Mais cela ne veut pas dire non plus qu’il n’y a pas eu d’effet cumulatif après chaque soulèvement, et aujourd’hui, on sent que c’est différent. Le sort de cet instant pourrait finir par être décidé par le ralliement de la société palestinienne aux groupes de la résistance armée.
Mardi dernier, Areen al-Usud a publié une déclaration s’adressant à l’ensemble de la communauté de Naplouse : « Nous vous demandons, à vous les citoyens, de nous défendre et de nous soutenir, et d’honorer l’appel de l’Antre [du lion] librement et sans contrainte ».
L’appel de ces groupes naissants de résistance est clair : aucun effort de résistance armée ne peut survivre sans une base populaire pour le soutenir et le défendre. De même, si ces groupes restent largement confinés à Naplouse et à Jénine, la tâche d’Israël consistant à anéantir cette vague de résistance sera d’autant plus facile.
La déclaration d’Areen al-Usud fait écho à ce sentiment, ainsi qu’à l’injonction faite aux autres forces palestiniennes de se joindre à la bataille : « Nous demandons à notre peuple dans la Montagne du Feu [un nom commun pour Naplouse] d’être vigilant, et nous demandons aux combattants de toutes les factions palestiniennes d’être en alerte. La bataille approche ».
Photo : Anne Paq / Des enfants du camp de réfugiés palestiniens de Shu’fat se tiennent face aux soldats des forces d’occupation avec des affiches de protestation.
Mise en page : AFPS / DD