Maintenant, sa maison n’étant plus qu’un tas de béton écrasé et de tuyaux de plastique cassés, M. Hassan et sa famille habitent une tente sur le terrain des voisins. Leurs possessions sont empilées dehors, avec des cartons contenant du liquide vaisselle, du dentifrice, de corned beef, de la farine et de la sauce tomate, tous produits fournis par le Comité international de la Croix-Rouge.
Sa tente est petite, mais elle offre à M. Hassan une vue peu engageante sur son avenir. Devant lui s’étendent les collines de la Cisjordanie où lui et sa famille, tous des bergers bédouins ayant fui Israël en 1948, ont vécu depuis avec leurs troupeaux de moutons. Maintenant, il y a là Maalé Adumim, l’une des plus grosses colonies juives, illégale au regard du droit international. Serpentant le long de la colline vers sa tente, on trouve la barrière de Cisjordanie, qui a aussi été déclarée illégale selon l’avis éclairé de la Cour internationale de Justice. Lorsqu’elle sera terminée, cette barrière de métal et de fil de fer barbelé et qui aura ici une largeur de 50 mètres, entourera Maalé Adumim, rattachant cette ville à l’encore plus grand ’Grand Jérusalem’.
Pour les 3000 Bédouins vivant là , la plupart de la tribu des Jahalin, ceci signifie une crise imminente. "Ils sont venus et ont détruit ma maison pour protéger leur Mur", dit Hassan, 62 ans. "N’ont-ils pas déjà suffisamment de terres, pour venir ainsi détruire ma maison ? Nous avons tout perdu !".
Début février, l’armée israélienne a détruit sept huttes et tentes appartenant aux Bédouins habitant près d’une colonie à Hébron, au sud de la Cisjordanie. Un autre groupe de Bédouins vivant plus à l’est dans la Vallée du Jourdain, près d’une base militaire israélienne et d’une colonie juive, ont reçu notification d’avoir à quitter leurs maisons sous deux mois.
Dans chaque cas, les autorités israéliennes prétendent que les maisons ont été construites sans permis de construire, mais les Palestiniens arguent du fait qu’il est extrêmement difficile d’obtenir un.
En conséquence de quoi la culture bédouine disparaît.
Réfugiés de 1948 du désert du Neguev en Israël, leurs zones de pâturage ont été réduites par l’expansion des villes palestiniennes, par la rapide création de grandes colonies juives, et dernièrement par la large barrière de métal et de béton. La plupart des Bédouins vivent sur des terres qui, selon les accords d’Oslo, étaient supposées être des terres agricoles et dépeuplées et sur lesquelles Israël détient un pouvoir civil et militaire. Aujourd’hui, la plupart de ces Bédouins vit dans dans des bidonvilles, un bon nombre d’entre eux ne possèdent plus de troupeaux et n’ont pas grand-chose comme titres de propriété. Ils constituent l’une des plus vulnérables communautés palestininiennes.
Une terre vaste et libre
M. Hassan, 62 ans, est né à Beer Sheva, qui est maintenant en Israël. Sa famille a migré pendant la guerre de 1948-49, et est arrivée sur des terres près de Izzariyé, la ville biblique de Béthanie, à côté de Jérusalem (ndt : alors la Trans-Jordanie). Pendant des années, ils ont maintenu leur existence semi-nomade, faisant paître leurs larges troupeaux sur les collines. En 1975, un groupe de 23 familles juives a créé la colonie de Maalé Adumim, maintenant une ville de 35.000 habitants. M. Hassan et d’autres Bédouins ont été expulsés de leurs terres. La plupart ont reconstitué leurs campements sur un autre haut de colline. Il y a dix ans, M. Hassan a trouvé assez d’argent pour acheter un terrain, et y a construit une maison, mettant fin à son existence bédouine. "La vie évolue, nous n’avions pas d’autre alternative" dit-il. Ses sept enfants, y compris ses filles, sont allées à l’école puis au collège, intégrant ainsi un mode de vie urbain.
D’autres Bédouins ont aussi évolué, et travaillé comme ouvriers sur les chantiers, et nombre d’entre eux ont été employés à Maalé Adumim, construisant ainsi la colonie qui a pris les terres sur lesquelles ils avaient vécu.
"Auparavant, on nous enviait notre mode de vie. La terre était vaste et libre. Nous avions des moutons et étions riches" dit Salim, le frère de Hassan, 50 ans. "L’occupation nous a enlevé nos moyens d’existence, et la vie bédouine disparaît". Il vit maintenant dans une petite baraque qui se trouve juste sur le trajet de la barrière, et qui sera donc très certainement détruite sous peu.
"C’est comme si leur présence dans cette zone va disparaître" dit Jeremy Milgrom, 53 ans, un rabbin et un militant des droits humains qui travaille là avec les Bédouins depuis 15 ans et qui dresse la carte des communautés qui y sont encore. "Nous voulons savoir pourquoi tout cela doit arriver. Comment se fait-il que le gouvernement s’arroge le droit de redessiner toute cette zone et d’éliminer les Bédouins ?".
L’administration militaro-civile israélienne qui gère la Cisjordanie dit que les Bédouins ont reçu des offres alternatives. "Ils sont arrivés là et ont installé illégalement leurs maisons et leurs tentes. Donc, nous travaillons à éliminer ces constructions illégales" dit le porte-parole, le Capitaine Tsidki Maman. "Nous les aidons à trouver un endroit où il sera bon pour eux de s’installer".
Les endroits en question sont tous de l’autre côté de la barrière à partir des colonies juives.
Le Capitaine Maman rejette l’argumentation des Bédouins selon laquelle ils ont vécu ici depuis des années. "Les Bédouins sont en perpétuel mouvement. Ils ne peuvent dire qu’ils sont restés ici depuis des décennies. Cela ne s’est pas passé comme cela" dit-il.
A la fin des années 1990, il y avait déjà eu de telles opérations contre les Bédouins autour de Maalé Adumim, et plusieurs maisons avaient été détruites. Mais avec l’aide de Schlomo Lecker, un avocat israélien, les Bédouins ont reçu une offre de marchandage, au titre duquel ils s’installeraient dans un nouveau lieu, avec des terrains et des permis de construire, ainsi qu’une somme de 40.000 shekels (alors env. 7000 £) par famille. Environ 50 familles ont accepté cette offre (ndt : l’offre était assortie de la reconnaissance par les Bédouins qu’ils ne détenaient pas de titre de propriété) et elles vivent maintenant dans la zone appelée le "Jebel" (ndt : un haut de colline à la sortie de Izzariyé). Néanmoins, cela n’alla pas sans difficultés : les maisons sontà quelques centaines de mètres de la principale décharge de la ville de Jérusalem, et des Palestiniens revendiquent la propriété de ces terrains.
L’eau et l’électricité
La question d’avoir à nouveau à être déplacés fait l’objet de débats houleux dans la communauté bédouine. Pour certains, c’est l’occasion d’améliorer leurs maisons avec l’accès à l’électricité et à l’eau. D’autres disent qu’ils feraient mieux de s’installer dans des villes comme Izzariyé mais qu’ils n’ont pas l’argent pour ce faire, tandis que d’autres veulent s’accrocher àleurs terres et à ce qui reste de leur mode de vie traditionnel.
M. Lecker, l’avocat, indique qu’en fait ils n’auront pas d’autre choix que de bouger. "Ils y sont forcés, ils n’ont aucune autre option" dit-il. "Toutes ces baraques sont construites sans permis et il y a une forte pression sur eux".
Israël justifie la barrière par des raisons de sécurité, disant qu’elle a véritablement réduit le nombre d’attentats-suicide. Mais M. Lecker précise : "Il n’y a absolument aucune raison de construire le Mur ici. Il s’agit en réalité de prendre une bonne partie des terres et de l’inclure dans un plus Grand Jérusalem. Cela repose sur le principe de prendre les terres mais sans les gens. Pourquoi ne pas leur donner des droits en Israël, une carte d’identité, l’électricité et l’eau ? La terre vient avec ceux qui vivent dessus, et si vous prenez la terre et rejetez ceux qui y vivent, alors comment appelez-vous cela ?".