La bande de Gaza – 360 km2, 2 millions d’habitants – est désormais emmurée. Israël a annoncé avoir achevé la construction d’un mur de 65 kilomètres isolant le territoire palestinien. Après trois ans de travaux, cette barrière sécuritaire est pourvue de centaine de caméras, de radars et d’autres capteurs destinée à empêcher toute infiltration vers Israël.
Le mur compte aussi une partie souterraine pour bloquer toute tentative de creusement de tunnels entre l’enclave palestinienne et le territoire israélien. Une portion en mer est reliée à un système d’armements contrôlé à distance.
Cette barrière, "projet technologiquement avancé et innovant", "donnera aux citoyens israéliens un sentiment de sécurité", a assuré le ministre de la Défense Benny Gantz. Israël impose un blocus strict à la bande de Gaza depuis l’arrivée au pouvoir dans le territoire du mouvement islamiste du Hamas en 2007.
Cinquante nuances de gris et de kaki
Menahem Kahana, photographe de l’AFP, a saisi le moment où une patrouille de soldats israéliens s’est arrêtée devant cette nouvelle frontière de béton. "Le cadrage est parfait, explique Ammar Abd Rabbo, photographe indépendant spécialiste du Moyen-Orient. Il accentue l’angoisse de la scène. Il n’y a pas de traces de vie, mis à part les trois soldats qui paraissent irréels, comme des figurines dans un jeu vidéo."
La monotonie des couleurs intensifie cette inhumanité, "c’est vraiment cinquante nuances de gris et de kaki", ajoute Ammar Abd Rabbo. En Cisjordanie, les autorités israéliennes ont aussi construit un mur de séparation. Par défi ou par ironie tragique, les Palestiniens se sont appropriés cette infrastructure sécuritaire pour la transformer en œuvre d’art. Ils l’ont recouvert de tags, de fresques colorées, de slogans, etc. L’artiste Banksy a posé ses pochoirs sur la portion de mur qui Bethléem de Jérusalem.
Le cliché de Menahem Kahana revêt une dimension intemporelle et universelle. Où sommes-nous ? Sur quelle planète ? "Ce qui me frappe, c’est le manque d’horizon qui est bouché, comme pour signifier qu’il n’y avait pas d’avenir pour la population palestinienne de l’autre côté du mur." Cette dernière semble avoir disparu.
On parle souvent de la bande de Gaza comme d’une prison à ciel ouvert. Cette photo illustre parfaitement cette réalité. Nous sommes devant un pénitencier devant lequel les soldats israéliens montent la garde.
Un calme précaire et apparent
Tour paraît calme et pourtant la situation peut exploser à tout moment. "On ne voit pas le danger, ajoute Ammar Abd Rabbo. On croit régler le problème en l’occultant et en le déplaçant, comme si les Israéliens ne voulaient plus entendre parler des Palestiniens de la bande Gaza."
Pour Israël, le danger n’est plus terrestre mais aérien. Le dernier épisode guerrier, au printemps 2021, entre le Hamas et l’armée israélienne, a montré la montée en puissance de l’armement du mouvement islamiste. Lors de la deuxième Intifada, la portée des roquettes du Hamas ne dépassait pas les 25 km. Désormais, elles peuvent frapper le territoire israélien en profondeur à plus de 200 km depuis la bande Gaza.
L’armée israélienne a mis en place un bouclier anti-missile, mais qui laisse passer près de 10 % des projectiles. C’est une course sans fin entre le glaive et le bouclier… Un mur peut-il arrêter des roquettes ?
Une enclave minée par la misère
De l’autre côté de la barrière de béton, 2 millions de Palestiniens survivent dans un territoire de poche, miné par la pauvreté et le désespoir. L’aéroport de Gaza, construit au moment des accords d’Oslo de 1993, est à l’abandon. La piste d’atterrissage est désormais recouverte d’herbe sauvage, où les bergers font paître leurs moutons et leurs chèvres.
Le port de Gaza végète et les pêcheurs palestiniens ne peuvent pas aller jeter leurs filets en pleine mer, à cause des restrictions israéliennes. Israël accorde des permis de travail aux Palestiniens qui transitent par le point de passage d’Eretz. Les contrôles y sont poussés à l’extrême. Pour des raisons de sécurité, l’armée israélienne peut fermer à tout moment de manière unilatérale la frontière avec la bande de Gaza.
Pour sortir de l’enclave, les Palestiniens ne disposent que d’une seule issue au sud, celle du terminal de Rafah, qui débouche sur le territoire égyptien. Ils doivent s’inscrire sur des listes des semaines à l’avance et payer au prix fort des agences de voyage, parfois des milliers de dollars.
Pour aller jusqu’au Caire, c’est ensuite une véritable expédition. Les voyageurs doivent traverser le Sinaï, décrétée zone militaire fermée par l’armée égyptienne et où sévissent des groupes de djihadistes liés à Daech. Ainsi va la vie des Gazaouis, dont le quotidien est coincé entre la Méditerranée, la frontière égyptienne et le nouveau mur israélien.