Sous réserve des imprécisions statistiques, la population palestinienne des Territoires connaît une croissance rapide qui se serait accélérée sur la période récent : de 2 % en moyenne de 1969 à 1980, ce taux serait passé à 3 % de 1981 à 1987 et à 4 % de 1988 à 1991.
Sans structures autonomes, l’économie des Territoires occupés est entravée par les contraintes de l’occupation israélienne et un voisinage peu solidaire avec les pays arabes.
Avec une structure politique expatriée (le siège de l’OLP est à Tunis) sans réelle préoccupation économique jusqu’à l’amorce du processus de paix en 1992 jet une autorité intérieure clandestine qui n’a émergé qu’à partir de 1987, au travers d’un processus de l’Intifada, les Territoires occupés n’ont jusqu’alors aucune instance autonome susceptible de mener une politique économique encore moins un processus de développement. Jusqu’en 1991, les Territoires occupés ont été uniquement administrés en fonction des intérêts de l’État d’Israël largement dictés par des impératifs de sécurité, mais où les préoccupations économiques n’étaient pas absentes.
L’autorité qui administre les Territoires occupés est essentiellement concentrée au sein de « l’Administration civile », dirigée en fait par des cadres militaires, composée de 22 000 employés dont 95 % sont Palestiniens, mais dont la direction est exclusivement israélienne. Cette administration civile a toute autorité dans le domaine économique : elle accorde les licences de prêts et d’investissement ; elle régule le commerce intérieur et surtout les échanges avec Israël ; elle assure la collecte fiscale et l’organisation des infrastructures et services publics. Une partie de l’autorité sur les Territoires occupés est exercée par les municipalités dont la compétence porte sur la gestion locale. Sur les vingt-neuf municipalités que comptent le Territoire, trois sont dirigées par des maires palestiniens (élus en 1976 et toujours en place), les autres étant dirigées par des fonctionnaires israéliens.
Bien que sujet à controverse en raison du manque de clarté des données, une étude de la Banque mondiale [1] établit que l’État israélien prélève un surplus fiscal net sur les Territoires occupés. L’Administration civile finance des investissements sur les recettes courantes, aucun emprunt n’ayant été émis pour financer les infrastructures, alors qu’une partie des prélèvements n’est pas restituée aux populations palestiniennes.
Il faut citer, par ailleurs, le rôle des organisations internationales, et notamment l’Unrwa, organisation spécifique créée par l’ONU, qui joue, dans les faits, un rôle para-étatique, dont l’expérience et une partie des structures pourront servir dans le processus de mise en place des futures institutions autonomes palestiniennes, et les différentes organisations gouvernementales et non gouvernementales, qui interviennent prioritairement dans les camps de réfugiés sur le plan humanitaire, des services sociaux et de la santé. Avec le début de l’Intifada en 1987, des associations se sont crées à l’initiative des Palestiniens, pour prendre en charge des micro-projets économiques, le plus souvent financés par l’Union européenne.
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Les infrastructures dans les Territoires occupés
La faiblesse des budgets publics explique le niveau bas et inadapté des infrastructures et services publics. Selon la Banque mondiale, ceux-ci ne correspondent pas, en quantité et en qualité, au niveau atteint dans les pays à revenus par tête comparables.
• L’offre d’eau pour la consommation courante et l’irrigation est de 60 litres par tête et par jour pour les Palestiniens des Territoires, alors qu’elle est de 115 litres en Tunisie, de 137 en Jordanie et de 230 en Égypte. Ce faible résultat tient à l’accès limité à l’eau, contrôlé par l’administration civile et le manque de dépenses d’investissement et d’entretien (40 à 60 % de pertes en réseau). Les coupures d’eau sont fréquentes et la faiblesse des réseaux d’assainissement provoque des contaminations de l’eau potable. L’irrigation des cultures est fortement pénalisée par la rareté et le mauvais fonctionnement des réseaux.
• L’offre totale d’électricité est de 680 kwh par tête et par an, alors qu’elle s’élève à 815 en Égypte et 1 055 en Jordanie. La demande insatisfaite est de l’ordre de 30 à 50 % de la consommation actuelle. Coupures, pertes en ligne et contraintes sur l’extension du réseau handicapent lourdement le développement industriel. Les équipements de substitution (générateurs à essence) renchérissent le coût de l’énergie pour les entreprises qui y ont recours.
• Les télécommunications sont également gravement sous-développées : un téléphone pour 46 habitants dans les Territoires occupés, contre un pour 15 en Jordanie et un pour 34 en Égypte. Là également, coupures et limitations de l’extension du réseau pèsent sur la population et pénalisent l’activité économique.
• Les autres services publics (collecte d’ordures, assainissement, réseau routier, équipements urbains, éducation…) souffrent des mêmes insuffisances par manque d’investissements et de dépenses de fonctionnement. On notera le moindre délabrement du secteur de la santé pour lequel sous l’effet des programmes divers des organisations humanitaires, les dépenses sont relativement élevées (7 % du PNB), mais connaissent une efficience faible, les centres de soins étant de petite taille et non coordonnés.
D’une façon générale, la logique d’équipement en infrastructures n’a pas été conçue en fonction des besoins des populations palestiniennes, mais prioritairement en fonction des impératifs de sécurité de l’État d’Israël, ainsi que des besoins des implantations israéliennes en Territoires occupés.
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Ces implantations quadrillent l’ensemble des Territoires occupés et plus spécialement la Cisjordanie. Commencées dès 1967, elles se sont intensifiées durant les années 1980. En 1992, on comptait cent trente-six implantations en Cisjordanie (représentant 130 000 habitants) et dix-sept à Gaza (où elles regroupent de 4 000 à 5 000 habitants). D’importantes mesures ont été prises pour inciter les Israéliens à s’implanter dans les Territoires occupés : subventions au logement, à l’acquisition de terrains, prêts à taux réduits, accès privilégié aux services publics (écoles, transports…). Il en est de même pour les entreprises israéliennes implantées qui bénéficient de soutiens publics : une prime équivalente à 30 % du coût de l’investissement, un prêt concessionnel pour 40 % du montant de l’investissement, une exemption de l’impôt sur les sociétés pendant les sept premières années, et des cotisations patronales pendant quatre ans, des aides aux dépenses de recherches et développement. Sans compter les nombreuses contraintes spécifiques dont elles sont l’objet, les entreprises palestiniennes subissent là une distorsion supplémentaire.
La Banque mondiale estime à 20 milliards de dollars sur vingt-cinq ans les dépenses publiques effectuées par l’État hébreu pour favoriser ces implantations. Celles-ci bénéficient d’infrastructures intégrées aux réseaux d’Israël (eau, électricité, télécommunications, réseaux routiers) et donc déconnectées des espaces où vivent les populations palestiniennes.
Cette situation affecte les conditions de vie de la population et freine le développement de l’activité économique des Palestiniens dans les Territoires occupés. Elle indique le degré d’urgence de la création de véritables infrastructures dans la future entité palestinienne, pour rendre viable une paix durable. Elle guide ainsi les priorités du soutien financier international.
Sans autorité publique, gravement sous-équipée, soumise à des logiques politiques, économiques et militaires décidés par Tel Aviv — et dans une moindre mesure Amman, Riad, et Koweït-City… — l’économie de Cisjordanie et de Gaza est de plus handicapée par l’étroit contrôle et les limitations imposées par les autorités d’occupation.
• Ainsi au niveau agricole, le potentiel de production est limité par les contraintes imposées par les autorités israéliennes sur la terre (par rétrécissement des surfaces cultivées du fait des expropriations massives), des limitations administratives et de l’accès aux ressources d’eau (la quantité d’eau utilisée par les Palestiniens pour l’irrigation est restée au niveau où elle se situait en 1967), et des restrictions aux zones de pêche (la production es actuellement au niveau de 1967).
• Les échanges commerciaux avec Israël sont asymétriques : Israël limite l’accès des produits des Territoires occupés sur son territoire, et y impose le libre accès de ses propres produits. De plus, en restreignant les importations de produits jordaniens moins chers, en imposant la fourniture de produits israéliens plus onéreux, l’Administration civile pèse sur les coûts de production des entreprises palestiniennes, notamment pour les engrais et les matériaux de construction, mais aussi pour les biens de consommation durable. Cette domination économique se manifeste aussi par le meilleur traitement relatif reçu par les industries palestiniennes quand elles sont sous-traitantes de firmes israéliennes, que lorsqu’elles exportent directement sur des marchés tiers. De plus, le boycott arabe à l’encontre d’Israël joue, de fait, comme un frein aux échanges des Territoires occupés avec les pays arabes environnants, accroît en conséquence la dépendance de ces Territoires envers Israël et rajoute aux multiples distorsions qui affectent l’économie palestinienne.
• Au niveau monétaire et financier, les Territoires sont sous un régime de pluri-monétarisme : en Cisjordanie, ont cours la monnaie israélienne (le shekel), le dinar jordanien et le dollar américain. À Gaza, circulent les mêmes monnaies auxquelles s’ajoute la livre égyptienne. Le système bancaire est des plus réduits : en 1967, toutes les banques palestiniennes, jordaniennes ou égyptiennes ont été fermées sur les Territoires occupés. Les banques israéliennes se sont substituées pour les dépôts, mais n’accordent aucun prêt pour investissement. En 1981, les autorités israéliennes ont autorisé la « Banque de Palestine » à ouvrir trois succursales à Gaza, puis en 1986 la même autorisation a été accordée à la « Banque Le Caire-Amman » en Cisjordanie. Mais ces établissements ne disposent que d’une autonomie et de capacités limitées, notamment quant au financement de l’activité économique.
Incertitudes politiques, fragilité des droits de propriété, entraves aux déplacements des hommes et des biens, régulation complexe et contraignante, absence d’intermédiation financière, absence de recours contre l’arbitraire de l’Administration civile… créent un environnement dissuasif pour l’initiative économique et limitent les opportunités d’investir à des projets de petites dimension mobilisant l’épargne individuelle. Les premiers et timides relâchements de certaines de ces contraintes en juin 1991 ont provoqué un certain essor de projets économiques qui donne des indications sur l’initiative économique potentielle dont peut faire preuve l’économie palestinienne.
• L’économie des Territoires occupés, tournée vers les services, dépend pour un tiers des transferts extérieurs et commerce quasi-exclusivement avec l’économie israélienne.
Le PNB des Territoires occupés était estimé en 1991, à 2,9 Mds $, ce qui représenterait 1 700 dollars par tête . L’économie des Territoires occupés est majoritairement orientée vers les services (44 % du PIB en moyenne sur 1988-1991, principalement commerce, transports, santé), alors que l’activité manufacturière ne compte que pour 8 % du PIB, la construction pour 13 % et l’agriculture pour 35 %. Cette structure présente un taux d’industrialisation exceptionnellement faible par rapport aux économies d’un niveau de revenu par tête comparable. Autre singularité : le secteur privé concoure pour 85 % à la formation du PIB.
Le phénomène le plus marquant tient à l’importance des ressources extérieures dans le revenu des Territoires occupés : en 1970, le PIB comptait pour 95 % du PNB. Ce taux était de 76 % en 1991 après être descendu à 70 % en 1987. Ce sont les transferts en provenance de l’aide internationale (ONU, CEE, ONG des pays de l’OCDE et pays arabes), les revenus des Palestiniens émigrés, notamment dans le pays du Golfe, et surtout les revenus des Palestiniens des Territoires occupés qui travaillent en Israël, qui expliquent cet écart. En 1987 (dernière estimation connue), le PNB était de 2,5 Mds $, pour un PIB de 1,8 Mds $, les salaires en provenance d’Israël comptaient pour un montant compris selon les sources, entre 440 et 650 millions $, les transferts des Palestiniens émigrés étaient compris entre 130 et 190 millions $, tandis que l’aide internationale comptait pour 200 millions $.
Le commerce extérieur présente deux caractéristiques majeures : sa forte et croissante orientation vers Israël et son déficit structurel. Alors qu’il n’y avait aucune relation commerciale avec Israël avant 1967 en raison de l’implication du boycott arabe, les importations des Territoires en provenance d’Israël représentaient 80 % en 1969 et 91 % en 1987 (où elles comptaient pour un total de 1,1 Mds $), celles en provenance de Jordanie passant de 8 à 1 % pour les mêmes dates, et celles en provenance du reste du monde de 12 % à 8 %. Les exportations vers Israël sont passées de 37 % à 79 % du total (0,4 Mds $ en 1987), alors que celles vers la Jordanie diminuaient de 48 % à 20 % et vers le reste du monde de 15 % à 1 %.
Le déficit commercial est essentiellement concentré dans les relations avec Israël : il a atteint 675 millions de dollars en 1987 (soit 37 % du PIB), alors que les Territoires occupés étaient en excédent commercial avec la Jordanie. C’est exclusivement Israël, par son excédent commercial, qui capte ainsi le supplément de revenus procurés aux Palestiniens des Territoires par les différents transferts en provenance de l’étranger.
• 1967-1993 : l’économie des Territoires occupés a suivi une évolution heurtée, largement dépendante des chocs extérieurs. Sur les vingt-cinq ans d’occupation israélienne, le revenu par tête des Palestiniens a été multiplié par trois. Mais cet accroissement s’est effectué d’une façon très inégale dans le temps et sous de fortes distorsions.
• De 1968 à 1980 : vive croissance du revenu. Le PNB par tête des Territoires occupés a cru au taux moyen de 10 % sur cette période, sous l’effet, de 1968 à 1975, de leur intégration à l’économie israélienne (développement de l’emploi des travailleurs palestiniens non qualifiés en Israël), puis, lors de la vive expansion régionale due à la hausse du prix du pétrole de 1974 à 1982, grâce aux revenus transférés par les émigrés palestiniens, essentiellement des travailleurs qualifiés, en provenance des pays du Golfe. Les aides internationales sur cette période se sont accrues pour atteindre 183 millions de dollars en 1980 (dont 66 % en provenance des pays arabes). Réduction de la pauvreté, construction de logements, acquisitions massives de biens durables, amélioration de la santé, développement de l’éducation… les années 1970 ont vu le niveau de vie des, populations palestiniennes s’améliorer notablement. Mais cet accroissement a été entraîné essentiellement par les transferts de toutes natures en provenance de l’extérieur, et moins par le développement de l’activité productive interne.
• De 1980 à 1987 : ralentissement puis stagnation de l’activité. Sous l’effet de la fin de l’expansion régionale, accentuée par la chute du prix du pétrole, et de la crise économique en Israël, le PNB et le PIB par tête croissent respectivement aux taux moyens de 2 % et 0 % par an. La production agricole des Territoires décline, sans être compensée par le développement industriel. Seuls la construction de logements et les services connaissent une faible croissance. L’aide internationale fluctue sur cette période entre 203 millions de dollars en 1982, en raison des dons massifs en provenance des pays arabes (qui représentent 63 % du total) et 146 millions en 1983 après la brutale réduction de ceux-ci (de 128 à 72 millions). On doit noter la démarche de la Communauté européenne en octobre 1986, qui étend aux produits des Territoires occupés l’accueil préférentiel accordé jusque-là aux produits israéliens. Cette extension ne prendra effet qu’en octobre 1988, après l’accord du gouvernement israélien.
• De 1987 à 1991 : déclin de l’activité économique sur fond de troubles intérieurs aigus et de conflits extérieurs. Cette période est marquée par une succession de chocs politiques qui vont profondément affecter l’économie des Territoires occupés.
En premier lieu, le déclenchement de « la guerre des pierres »
(Intifada) en décembre 1987, va entraîner des fermetures répétées des frontières par Israël, de longues périodes de grèves et de couvre-feu, un climat de violence et d’incertitude politique grandissant. Ce mouvement de résistance populaire (grève des impôts, boycott des produits israéliens), va déclencher l’amplification de l’arsenal répressif au plan économique : restrictions à l’entrée des Palestiniens travaillant en Israël, fermetures des établissements scolaires, taxes spécifiques, limitations renforcées des échanges commerciaux (les exportations vers Israël chutent de 304 millions $ en 1987 à 148 en 1988), accroissement des mesures de rétorsion limitant le potentiel de production (destruction de logements et de commerces, arrachages d’arbres fruitiers et d’oliviers, interdiction de pêche), restrictions accrues sur les mouvements de capitaux avec l’extérieur… Les baisses de ressources qui en ont résulté ont été compensées par une épargne massive pour freiner la chute de la consommation.
Mais l’Intifada a comporté des effets positifs sur l’économie des Territoires occupés : le boycott des produits israéliens (les importations en provenance d’Israël chutent de 961 millions $ en 1987 à 596 en 1988) a entraîné un accroissement de la production locale de substitution, notamment de produits agricoles, et à fait reculer l’inflation par la limitation des importations en provenance d’Israël ou celle-ci reste vive.
Le fait majeur de l’Intifada, pour les perspectives actuelles de développement de l’entité palestinienne, tient au début de déconnexion de l’économie des Territoires d’avec celle d’Israël, ce qui peut constituer les prémices de la prise d’autonomie de l’économie palestinienne.
En 1988, la Jordanie, qui avait maintenu des liens étroits avec la Cisjordanie depuis 1967, en assumant notamment le paiement des vingt et un mille fonctionnaires palestiniens, rompt tous ses liens juridiques avec ce territoire et dresse de sévères restrictions douanières aux exportations palestiniennes. La dépréciation du dinar jordanien affecte gravement le pouvoir d’achat de l’épargne palestinienne placée presque totalement en monnaie jordanienne.
La guerre du Golfe en 1990 et 1991 achève de désorganiser l’activité économique dans les Territoires occupés : couvre-feu intégral pendant quarante-deux jours, fermetures totales des frontières interdisant le passage en Israël des travailleurs palestiniens et tout échange commercial, tarissement de l’aide financière des pays du Golfe et des transferts des palestiniens émigrés au Koweït, après leur expulsion de ce pays, réduction presque totale des recettes touristiques et des débouchés sur les marchés des pays arabes.
Le PIB et le PNB connaissent sur cette période des évolutions erratiques et restent, à ce jour, très mal estimés. En prenant la moyenne des fourchettes données dans les tableaux de la Banque mondiale, tirées des statistiques officielles israéliennes, on aboutit à une stagnation du PIB par tête (0,1 % par an en moyenne sur 1988-91) et à une diminution du PNB par tête de 2 %, tandis que les échanges extérieurs connaissent un net fléchissement (- 3 % pour les importations et - 9 % pour les exportations) et que le taux de chômage passe de 23 à 30 % en Cisjordanie et de 30 à 40 % dans la bande de Gaza.
Au printemps 1991, la population palestinienne des Territoires occupés subit une pression économique et des contraintes sécuritaires sans précédent. Survient, en juin 1991, un début de retournement de la politique israélienne, encore sous le gouvernement Shamir, qui opère un certain desserrement des dispositifs restrictifs pesant sur l’économie des Territoires occupés, mais surtout annonce, pour la première fois depuis le début de l’occupation en 1967, que l’objectif d’Israël est le développement économique de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Si des mesures de stimulation de l’activité économique sont décidées par le gouvernement israélien dès juin 1991 (exemption fiscale sur trois ans pour les nouvelles entreprises employant plus de dix salariés, limitation des restrictions aux autorisations d’investissements qui vont passer de dix en moyenne sur les années antérieures à cent trente de juin 1991 à juin 1992, réduction des limitations sectorielles aux industries du ciment et de la sidérurgie, allègement de l’impôt sur le revenu, autorisation par la Banque centrale d’Israël de l’ouverture de la Banque nationale arabe (qui n’a toujours pas vu le jour en raison du refus de la Banque centrale de Jordanie d’accepter les conditions de la Banque centrale d’Israël), celles-ci tardent à être miss en place par l’Administration civile qui freine sur le terrain, l’application des nouvelles orientations de la politique israélienne. De plus, ces mesures, importantes au plan symbolique et qui s’accélèreront au moment de l’arrivée des travaillistes au pouvoir (gouvernement Rabin en juin 1992), ne lèvent qu’une part mineure des empêchements qui entravent l’économie des Territoires, tandis que la politique d’implantation des colonies israéliennes à Gaza et surtout en Cisjordanie s’intensifie.
Sur cette période particulièrement difficile pour les Territoires occupés, la Communauté européenne (hors aide bilatérales des pays de la CE) effectue une importante augmentation de son aide, qui passe de 7 % de l’aide totale en moyenne sur la période 1981-84 à 25 % sur les années 1987-89, pour atteindre près de 50 % en 1991. De plus, cette aide de la Communauté européenne comprend une part croissante de soutien aux projets économiques.
• En 1992-93, une reprise économique sur fond de troubles persistants. En 1992, l’économie des Territoires occupés connaît une vive expansion sous l’effet de causes favorables multiples : espoirs de paix entraînés par les premières réunions à Madrid puis à Washington ; relâchement relatif des contraintes bridant l’activité ; forte croissance de l’économie israélienne, notamment dans le secteur de la construction et réouverture des frontières commerciales avec Israël, entraînant une reprise des échanges (alors que le boycott des produits israéliens au sein des Territoires se relâche) et de la circulation des Palestiniens travaillant en Israël, massivement employés dans le bâtiment ; augmentation de l’aide extérieure (de la CEE principalement) et reprise des transferts des Palestiniens émigrés ; réduction sensible des tensions sur le terrain (diminution des grèves et des fermetures des commerces). Une nouvelle fermeture des frontières avec Israël en mars 1993 freine cependant le redressement de l’activité. C’est dans ce contexte qu’intervient l’accord de septembre 1993.
De fait, l’économie a été instrumentalisée dans le conflit, puis dans le « processus de paix » à partir de 1993.
Arme parmi d’autres dans le conflit, l’économie a joué un rôle majeur dans les rapports de force entre les principaux acteurs de la région. Depuis la manipulation des statistiques financières, fiscales, budgétaires, démographiques, jusqu’au boycott lancé par les pays arabes à l’encontre des firmes qui commercent ou investissent en Israël, en passant par l’utilisation des instruments douaniers, financiers, et fiscaux pour contrôler les populations des Territoires occupés, ou les contreparties politiques demandées par les États-Unis pour accorder leur garantie aux emprunts extérieurs de l’État hébreux… les divers acteurs en présence ont largement puisé dans l’arsenal des dispositifs économiques pour exercer une pression politique sur l’adversaire ou l’allié.
D’arme de guerre, l’économie est ensuite devenue un enjeu dans la période ouverte par l’accord de 1993 sans les principaux attributs de souveraineté (disposer de frontières délimitées, battre monnaie, prélever des impôts…), l’économie palestinienne a été prise en otage par les vicissitudes du « processus de paix ».
Ainsi le protocole signé à Paris en 1994, volet économique des accords d’Oslo pour régler les rapports entre Israël et l’entité palestinienne, prévoyait-il une union douanière entre les deux espaces, le maintien de l’Union monétaire en vigueur depuis 1967 (sans souveraineté palestinienne), l’esquisse d’un marché commun du travail, des restitutions budgétaires d’Israël vers l’Autorité palestinienne (droits de douane prélevés par Israël à ses frontières pour le compte de l’Autorité palestinienne). Or, Israël a dressé de nombreux obstacles à ces dispositifs, d’ordre économique sur les échanges commerciaux (par crainte des bas coûts des produits palestiniens, notamment agricoles et pour maintenir un monopole d’approvisionnement), d’ordre sécuritaire (bouclage des Territoires palestiniens interdisant le passage des travailleurs frontaliers vers Israël) et d’ordre militaire, en retardant les restitutions douanières au moment des tensions. De plus, ce dispositif économique, en multipliant les contraintes administratives, a créé une vaste « économie » du trafic d’influence, les responsables de la sécurité des deux côtés tirant bénéfice de leur pouvoir à accorder les multiples autorisations nécessaires (pour commercer, pour aller travailler en Israël…).
C’est l’étroite imbrication des populations, sur un mode asymétrique et sur un même territoire jusque-là contesté, qui a entretenu cette totale dépendance des problèmes économiques et politiques, accroissant la complexité du déroulement du processus de paix, et provoquant un recul absolu de la situation économique dans les Territoires palestiniens. De 1993 à 2000, le PIB par tête dans les Territoires palestiniens est ainsi passé de 1 500 à 1 300 dollars, l’investissement privé est resté très faible compte tenu du manque de prévisibilité de la situation économique, le chômage s’est maintenu à un haut niveau…
Au cœur de la zone sous revue, les économies des Territoires palestiniens d’Israël ont jusque-là fonctionné sur des modes atypiques.
L’économie des Territoires palestiniens a fonctionné jusqu’à présent sous le régime de la contrainte et de la dépendance.
Dépendante de la situation politique qui prévalait dans son environnement régional, avec un PNB constitué pour près d’un tiers de revenus venant de l’extérieur, qu’ils proviennent des aides internationales aux réfugiés, des soutiens financiers des pays du Golfe, des transferts des Palestiniens émigrés ou surtout des revenus des Palestiniens frontaliers travaillant en Israël, la vie économique des Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza a été rythmée par les effets sur ces transferts des nombreuses tensions politiques qui ont affecté la région depuis cinquante ans.
Dépendante des autorités israéliennes, qui ont instauré jusqu’en 1993 un régime économique d’exception sur les Territoires palestiniens, tant au niveau des systèmes fiscaux et douaniers, des restrictions et du contrôle sur l’intermédiation financière, sur la captation et la distribution de l’eau, sur la propriété des terres, sur la circulation des personnes et des biens au sein des Territoires et entre ceux-ci, Israël et les autres pays voisins, sur l’investissement privé et les dépenses publiques…
Depuis 1993, l’absence de débouché autonome pour les produits palestiniens exportés, les fermetures répétées des frontières avec Israël privant de travail les travailleurs frontaliers, notamment à Gaza, les restitutions avec retard des droits de douane prélevées par le Trésor israélien pour le compte du budget de l’Autorité palestinienne a maintenu cette économie dans une situation de précarité et d’imprévisibilité qui a profondément limité l’investissement (local, en provenance de la diaspora palestinienne et étranger).
L’économie palestinienne n’a pas été, jusqu’alors, en situation de se développer sur ses propres bases.
La question du développement économique futur des Territoires occupés, tel qu’elle est exprimée dans la Déclaration du 13 septembre 1993 à Washington reste donc une question particulière.
Dans ce texte, Israël s’est garanti le droit à intervenir dans le processus de financement et d’investissement internationaux dans les Territoires palestiniens : « Les deux parties établiront avec les parties régionales et internationales pour la réussite de cet objectif (annexe II, paragraphe 3 f). »
L’annexe III énumère les secteurs de la coopération économique entre Israël et l’entité palestinienne : ressources aquifères, sources d’énergie, investissement étranger, transports et communication, commerce, industrie, travail, ressources humaines, environnement (annexe III, paragraphe 1 à 12). Israël se garantit ainsi son contrôle économique sur la future entité palestinienne.
L’absence de référence concrète aux problèmes liés comme la définition des frontières, l’avenir des implantations ou le destin des réfugiés contraste avec le caractère minutieux accordé à la dimension économique. En même temps, dans l’accord Israël n’est pas présenté comme force occupante. Il légitime ainsi son contrôle direct ou indirect sur le pourtour de Gaza et de la Cisjordanie en apparaissant comme partie ayant des droits acquis sur les Territoires occupés. Comme l’indique Raider Abdel Shafi, la Déclaration « inclut la reconnaissance implicite de deux entités distinctes dans les Territoires occupés, l’entité Israël, colonies de peuplement et l’entité palestinienne constituée par les villages et villes arabes (Imprécor, n° 373, octobre 1993) ».
Le danger sous-jacent à la prévision d’un accord de création d’une « zone de libre-échange » entre Israël et les Territoires palestiniens est comme l’indique à ce moment Edward Saïd celui de la définitive « absorption de l’économie palestinienne [par Israël] qui va ainsi se trouver dans un état de dépendance permanente […] pour, à partir de là, la pénétration sur les marchés arabes (Le Monde diplomatique, novembre 1993) ».
En décembre 1993, l’OLP et Israël arrivent à un accord de libre-échange entre les Territoires et l’État d’Israël sans que, en compensation, les accords de libre-échange entre Israël et l’Union européenne, et les États-Unis incluent les produits palestiniens vers ces marchés…
Edward Saïd conclu ainsi : « Tel est le sens d’une évolution en résumé désirée et établie par les États-Unis, unique superpuissance actuelle pour laquelle le nouvel ordre mondial se fonde sur la domination économique d’une série de multinationales géantes. […] Étant donné que l’accord israélo-palestinien du 13 septembre s’inscrit dans cette logique, la population que l’OLP est supposée représenter ne devrait pas attendre, dans sa grande majorité, des miracles (idem). »
Cette perspective pessimiste s’étend à l’ensemble régional étant donné les déséquilibres économiques entre Israël et les États arabes voisins — en revenu par tête, en développement industriel, en chômage, etc.
Les projets d’investissement, de développement et d’intégration régionale prévus pour la période immédiatement postérieure à la signature des accords de paix et de sécurité entre Israël et ses voisins arabes tendent vers une centralisation économique régional autour d’Israël. Shimon Pérès explique clairement le lien entre la sécurité d’Israël, la normalisation politique avec les États arabes et l’intégration économique régionale.
« La sécurité de mon pays dépend en grande mesure de son pouvoir militaire, mais ne repose pas uniquement sur lui. L’intégration d’Israël dans l’économie de sa région et dans l’économie mondiale est aussi un facteur très important pour sa sécurité. Nous avons besoin de frontière que nous puissions défendre c’est évident, mais en outre nous devons évoluer dans un espace régional dans lequel nous nous sentions sûrs. Et la construction de cet espace ne pourra se produire qu’à travers un changement dans les relations qu’Israël maintient avec ses voisins. Le véritable objectif du processus de paix doit être par conséquent la création de relations nouvelles politiques dans l’ensemble du Proche-Orient. […] Pour maintenir le pouvoir de notre pays et garantir la sécurité nous devons construire une économie capable de satisfaire nos besoins, en constante augmentation. […] La coopération économique où conflueront le pétrole saoudien, l’eau turque, le marché égyptien et la technologie israélienne offrira d’énormes avantages à notre économie dans l’avenir (« Un marché commun au Moyen-Orient », Shimon Pérès, El País, 24 janvier 1993). »
En clair, le processus de négociation arabo-israélien alors en cours suppose une sorte de normalisation des régimes arabes voisins dans leurs relations avec les États-Unis (et avec l’Europe) à partir de l’acceptation de l’intégration politique et économique d’Israël dans la région arabe.
Le projet américain pour le Moyen-Orient
Le processus économico-politique israélo-palestinien dessiné à Oslo s’intègre dans un plus vaste processus économique impulsé par les États-Unis dans la région (sommet de Casablanca en 1994 et sommet d’Amann en 1995) pour créer un marché oriental dont l’objectif est de construire un espace économique en fonction de la reconstruction hégémonique des États-Unis dans la région.
Cette reconstruction apparaît possible en raison de la crise multiforme que connaît à ce moment le monde arabe, en particulier dans cette région.
Au Proche-Orient comme dans le reste du monde arabe, on assiste en effet, à partir des années 1980, à une crise des modèles de construction nationale : les modèles d’accumulation mis en place depuis les années 1960-70 connaissent une sorte de rupture de leur dynamique de croissance et de leurs modalités de régulation comme conséquence de la baisse des rentes (en particulier à partir de la chute du prix du pétrole en 1986). Il en résulte une triple crise :
• une crise de l’État-nation, en termes territoriaux, issue partiellement de la crise économique d’ensemble ;
• une crise sociale arabe, matérialisée par la formation d’un espace d’exclusion sociale, surtout dans les grandes villes arabes qui met en question la légitimité de l’État ;
• une crise politique, générée par la monopolisation du pouvoir par les États autoritaires, qui, si elle peut assurer la promotion sociale de certaines élites et une certaine intégration, aujourd’hui est mise en question par les exigences démocratiques de la société civile et par une plus grande répression du point de vue politique et militaire (cf. l’Algérie).
À tout cela, il faut ajouter la rupture de l’ordre régional arabe après la guerre du Golfe.
Si, pendant les années 1960, il y eut un processus d’unification arabe comme alternative internationale, à partir du projet nassérien, à partir des années 1970, l’apparition de l’Arabie saoudite sur la scène politico-économique international, à travers les pétrodollars, signifie l’inversion de la perspective unitaire qui polarise la crise du système régional.
L’alignement saoudien sur la stratégie américaine poussa, à partir des années 1980, le développement du leadership de l’Irak dans la zone du point de vue économique, militaire et politique, dont le potentiel a été détruit, d’abord avec la guerre de 1991 et ensuite par l’imposition de l’embargo international à ce pays décrété par l’ONU.
Après la destruction de l’Irak, les États-Unis ont alors les mains libres pour mettre en marche leur nouvelle stratégie au Moyen-Orient. Les contenus économiques de cette stratégie visent à tenter au niveau régional la création d’un projet caractérisé par une nouvelle division régionale du travail dans laquelle Israël cesserait d’être un État militaire et agressif dans la région et se convertirait en un acteur économique apportant la technologie issue de sa capacité militaire et ou les États arabes auront une fonction délimité soit par capacité de proposer une main-d’œuvre ou bien par son potentiel énergétique.
C’est dans cette perspective que se tient le sommet d’Amman et que se constitue la création d’une Banque de développement du Moyen-Orient.