Expulsion planifiée
Cette expulsion, analysée minutieusement par de nombreux chercheurs, éclairée par les derniers travaux de l’historien israélien Ilan Pappé, s’est déroulée de façon systématique et planifiée. La direction sioniste, constitué autour de David Ben Gourion, avait en sa possession des informations détaillées concernant les villes et villages arabes et sur les capacités de résistance des Palestiniens. Ces données ont fourni la base des plans militaires (Plan Dalet) pour l’expulsion de la population arabe hors du futur Etat d’Israël.
Eliminer les traces
Dans les années qui ont suivi sa création, Israël a mis en place toute une stratégie visant à occulter toute trace de la présence arabe sur cette terre. 347 villages palestiniens ont été rasés, les noms des lieux « hébraïsés », les vestiges archéologiques enfouis sous des parcs d’attractions, les maisons vidées de leurs occupants ont été déclarés « biens vacants » et réquisitionnées pour les nouveaux immigrants. L’interdiction de retour dans leurs foyers a été prononcée contre les personnes déplacées de quelques kilomètres. Les réfugié-e-s, tentant le retour depuis leur exil, furent punis sévèrement, beaucoup furent abattus. Le nouvel Etat israélien s’est approprié une grande partie des terres palestiniennes.
Mythes
Ce nettoyage ethnique de la Palestine a été profondément enfoui par une historiographie officielle qui a entretenu les mythes « fondateurs » de la société israélienne, du mythe sioniste précurseur d’« une terre sans peuple pour un peuple sans terre » à celui du « départ volontaire » des Palestiniens encouragés par les appels des dirigeants arabes en 1948. L’entreprise coloniale israélienne a été transformée en un bienfait « faisant fleurir le désert ».
Pour que la vérité historique soit rétablie, il aura fallu une volonté farouche des Palestinien-ne-s pour reconstituer l’histoire de leur tragédie la « Nakba » ainsi que les recherches critiques d’une nouvelle génération d’historiens israéliens.
La dépossession se poursuit !
Les discriminations et les expulsions se sont poursuivies également après la première expulsion de masse de la population palestinienne liée à la création de l’Etat d’Israël en 1948...
En 1967, 430 000 Palestinien-ne-s ont été expulsé-e-s hors de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Depuis 2002, avec la construction du Mur dans les territoires occupés et à Jérusalem, la politique d’expulsion connaît une nouvelle aggravation : destructions de maisons, expropriations des terres et privation du droit de séjour. En Israël même, ce sont aujourd’hui en premier lieu les Bédouins du Néguev qui sont touchés par une destruction de leur culture et de leur mode d’habitat, et par des transferts forcés. Mais les Palestinien-ne-s, resté-e-s dans leurs villages après 48, voient aussi leurs maisons détruites, selon un nouveau plan de « développement » visant à accélérer le transfert de la population palestinienne hors d’Israël.
Expulsés par la colonisation
Inhérente au projet sioniste depuis ses origines à la fin du XIXe siècle, la colonisation a reçu son véritable élan après la guerre des Six Jours grâce aux gouvernements travaillistes en place. L’arrivée au pouvoir du Likoud en 1977 a encore accéléré cette dynamique. La faillite du processus d’Oslo dans les années 90 s’explique aussi par l’augmentation du nombre de colons en Cisjordanie qui passe de 100 000 en 1992 à 151 000 en 1996. Il faut souligner que toutes les colonies installées dans les territoires palestiniens occupés sont illégales d’après le droit international.
Aujourd’hui 400 000 colons israéliens vivent en Cisjordanie et à Jérusalem Est. Les territoires palestiniens sont désarticulés, enclavés et les perspectives d’autonomie sont plus que réduites.
A côté de Jérusalem, la vallée du Jourdain fait actuellement partie des régions prioritaires pour la politique israélienne de colonisation et d’annexion. Une moitié de ce territoire est déjà contrôlée par des colonies et des parts supplémentaires importantes ont été déclarées zones militaires interdites. Il ne reste aux agriculteurs palestiniens que 4 % de leurs terres arables. L’accès à la vallée est totalement contrôlé par l’armée. Depuis avril 2006, seuls les Palestinien-ne-s domicilié-e-s dans la vallée du Jourdain et âgé-e-s de plus de 30 ans ont le droit de franchir les check points. Avec la destruction massive des habitations et des puits, tout est fait pour rendre la vie dans la vallée impossible aux Palestiniens. Ceci constitue aussi un processus d’expulsion silencieuse.
Expulsés par la construction du Mur
Depuis 2002, Israël construit un Mur de 730 kilomètres de long en Cisjordanie occupée. Il sépare les colonies juives, les sources d’eau, ainsi que les terres arables, des villes et villages palestiniens ; le déplacement et l’accès à ces cultures sont devenus inaccessibles aux Palestinien-ne-s. D’après des déclarations officielles, le gouvernement veut annexer la moitié des surfaces des terres palestiniennes soustraites vgrâce au tracé du Mur.
De nombreux Palestinien-ne-s ne peuvent même plus atteindre leur lieu de travail en Cisjordanie et sont souvent coupés de leurs parents, de leurs hôpitaux et de leurs écoles. La situation est très grave à Jérusalem où, à cause de la construction du Mur, 80 000 habitant-e-s palestiniens se sont vus privés du droit et de la possibilité de se déplacer librement dans leur ville et d’accéder aux services du centre, que ce soit pour l’accès aux soins médicaux, pour se rendre au travail, ou simplement pour des achats ou des visites.
Avec la résolution ES-10/15 du 20 juillet 2004, l’Assemblée générale des Nations Unies a entériné l’avis de droit de la Cour Internationale de Justice qui a condamné l’édification du Mur parce qu’elle est contraire au droit international. La résolution exige que l’Etat israélien mette un terme à sa construction, démantèle les parties construites et répare les dommages causés. Elle affirme aussi que : « Tous les Etats sont dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction du Mur et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par cette construction ; tous les Etats parties à la quatrième Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949, ont en outre l’obligation, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, de faire respecter par Israël le droit international humanitaire incorporé dans cette convention ; […] »
Expulsés par la destruction de maisons
Le Comité israélien contre la destruction de maisons (ICAHD) estime à 12 000 le nombre de maisons palestiniennes détruites arbitrairement depuis 1967, dont plus de 4000 rien que dans les sept dernières années. Le nombre de sans-abris est estimé à 50 000. Les maisons sont détruites par l’armée à l’aide de bulldozers, de pelleteuses et d’explosifs, souvent sans préavis. A l’arrivée des unités de démolition, les personnes touchées n’ont souvent que quelques minutes pour rassembler quelques affaires et quitter leur maison.
Le siège de Gaza : un crime contre 1,4 million de civils
Depuis que le gouvernement israélien a déclaré Gaza « zone hostile », 1,4 million de civils subissent une punition collective sans précédent de la part de la puissance occupante.
Des dizaines de personnes sont mortes suite à la pénurie de médicaments ou par l’impossibilité de se rendre dans des hôpitaux extérieurs. Les besoins les plus vitaux, comme l’eau potable, l’électricité, la nourriture, les fournitures nécessaires et les pièces détachées essentielles pour le fonctionnement des hôpitaux manquent cruellement. Le bouclage total, l’emprisonnement d’une partie « superflue de l’humanité » fait partie du rejet de la reconnaissance du peuple palestinien avec ses droits inaliénables.
Notes bibliographiques
• Ilan Pappe, Le Nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, Paris, 2008.
S’appuyant sur des documents d’archives, des journaux personnels de dirigeants et des témoignages directs, l’historien reconstitue minutieusement l’entreprise systématique d’expulsion et de destruction opérée par les forces sionistes en Palestine entre 1947 et 1949.
• Dominique Vidal (avec Sébastien Boussois), Comment Israël expulsa les Palestiniens (1947-1949), L’Atelier, Paris, 2007.
Ce livre, qui constitue une édition actualisée et augmentée du Péché originel d’Israël (L’Atelier, 1998 et 2002), présente une synthèse des ovrages des « nouveaux historiens » israéliens consacrés aux racines du conflit israélo-palestinien et dont beaucoup n’ont toujours pas été traduits en français.
• Rashid Khalidi, Palestine, Histoire d’un Etat introuvable, Actes Sud, 2007.
Titulaire de la chaire Edward Saïd à Columbia University, l’auteur décrit le jeu des principaux acteurs qui ont enfermé la Palestine dans une « cage de fer ». Livre de référence et synthèse indispensable de 1920 à nos jours.
• Michel Warschawski, A tombeau ouvert. La crise de la société israélienne, La Fabrique, Paris, 2003.
Le militant pacifiste franco-israélien lance un réquisitoire contre l’« intégrisme militaire », le messianisme, la « mentalité coloniale » et le racisme qui gangrènent la société israélienne.
• Ella Shoat, Le Sionisme du point de vue de ses victimes juives. Les Juifs orientaux en Israël, La Fabrique, Paris, 2006.
L’auteure analyse les racines historiques de l’« oppression structurelle que subissent les Juifs orientaux en Israël » et montre comment le sionisme, idéologie eurocentrée et coloniale, a conduit à l’acculturation et à la dévalorisation des Arabes juifs.
• Histoires d’Israël « Manière de voir » bimestriel du Monde diplomatique, n° 98, avril-mai 2008, coord. par Dominique Vidal.
Notes bibliographiques ci-dessus tirées de cette publication.
SCHNEBLI Tobias, CUP * Publié par le périodique suisse « solidaritéS » n°125 (14/04/2008).