Paris, le 11 mars 2013
Monsieur Laurent Fabius
Ministre des Affaires étrangères
37, quai d’Orsay
75007 Paris
Monsieur le Ministre,
Je tiens tout d’abord à vous remercier de votre courrier récent en réponse à ma lettre du 11 février.
A propos de l’État de Palestine, vous m’écrivez que « une reconnaissance bilatérale ne saurait constituer un but en soi ». Nous sommes parfaitement d’accord sur ce point.
En effet, ce ne serait pas un but en soi que de le faire. En revanche, dans la logique du vote de la France à l’ONU en novembre dernier, cela aurait un sens et une claire portée politiques.
Il en résulterait deux aspects majeurs.
D’une part, un « Partenariat politique et économique stratégique » pourrait être établi et signé entre la France et la Palestine permettant ainsi à cet État « qu’il reste à établir sur le terrain » de pouvoir justement de se consolider, poursuivant les réalités constatées par des institutions internationales, et donc de s’établir pleinement avec la fin de l’occupation israélienne rappelée et exigée par la communauté internationale et la France. Cela participerait directement au mouvement de création « sur le terrain » de cet État. Et cela n’est pas, effectivement, une fin en soi mais bel et bien un objectif à portée politique.
D’autre part, cela enverrait un signal politique fort, pour faire bouger les lignes et permettre ainsi des négociations, non pas comme « un but en soi », mais pour faire enfin avancer les choses sur la seule base du droit international, à partir des principes rappelés dans la résolution A/67/L.28 sur laquelle s’est porté le vote de la France le 29 novembre dernier.
Ce n’est donc pas un but en soi mais bien un acte politique de grande portée qu’il convient, selon nous, de réaliser au plus vite.
Vous n’excluez pas de le faire « le moment venu ». Cela est la reprise de la position européenne affirmée en 2009 à Berlin, puis de nouveau en 2010. L’Union européenne privilégiait déjà une reprise des négociations devant aboutir à une solution en 2011 conforme au droit international, c’est à dire à l’existence d’un État palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale. Celle-ci n’a malheureusement débouché sur rien d’autre qu’une très sérieuse aggravation « sur le terrain » dans laquelle est donc engagée la responsabilité de l’Europe.
L’Union européenne en effet, à travers ses échanges commerciaux, participe directement au renforcement des colonies israéliennes comme le montre le rapport de 22 organisations non gouvernementales rendu public en octobre dernier.
Il faut que l’Union européenne tire des leçons de son impuissance à faire évoluer positivement les choses sur le terrain de même que le Quartette qui promettait, avec sa « Feuille de route » de 2003, un État palestinien pour 2006.
Un État palestinien en 2006, puis en 2011, et le résultat ? Rien. Et le moment ne serait toujours pas venu…
Le moment est venu de toute évidence, si la France veut jouer à nouveau un rôle international conforme à ses valeurs. Elle avait été en 1980 à l’origine de la Déclaration de Venise dans laquelle les neuf Chefs d’État et de gouvernement de la CEE d’alors, demandaient la fin de l’occupation, constataient l’illégalité de la colonisation et affirmaient le droit des Palestiniens à l’autodétermination.
Trente trois ans après, vingt ans après Oslo, comment ne pas voir que subordonner la reconnaissance de l’État de Palestine à une reprise des négociations entre Israéliens et Palestiniens est encore et toujours illusoire. Cela ne fait que donner du temps pour que l’occupation s’accroisse. Chacun a pu constater que les dirigeants israéliens rejettent le droit international et s’opposent de toutes leurs forces à la création, à leurs côtés, d’un État palestinien. Ils le disent et le redisent. Et le prochain gouvernement de Netanyahu ne dérogera pas à cette position. C’est déjà établi.
La veille du décès de Monsieur Stéphane Hessel, le Président François Hollande pouvait déclarer : « La dimension des droits de l’Homme est présente dans toute notre politique étrangère. J’ai simplement à constater et lorsqu’il y a des manquements, je le fais. Je le fais pour qu’ils soient réglés et non pas pour qu’ils soient simplement brandis. C’est le rôle de la France de faire en sorte que, partout, il puisse y avoir un progrès. »
Le moment est venu pour que la France retrouve son aura, bien ternie dans cette région du monde, après des années de complaisance envers les autorités israéliennes et de soutien à des régimes arabes rejetés par les populations. Notre pays n’avait pas voulu voir que pour ces peuples le « moment était venu » d’en finir avec l’arbitraire et l’injustice. Il en va de même pour le peuple palestinien.
Monsieur le Ministre, pour « qu’il puisse y avoir un progrès » le moment d’agir en ce sens est venu pour la France. Si on le repousse indéfiniment, au bout du compte, il n’y aura ni paix, ni négociations, ni solution à deux États comme le relèvent les Chefs de mission sur place, rien, sinon le chaos comme seul horizon.
Je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, en mon profond respect.
Jean-Claude Lefort
Député honoraire
Président de l’AFPS