Ce jour-là s’est tenue une audience où étaient examinés les recours formés par des habitants de deux localités palestiniennes affectées par le mur, Budrus et Shuqba. Ce n’était pas la première affaire de ce type venant devant la Cour suprême qui avait rendu, le 30 juin 2004, une importante décision commentée dans le n° 43 de PLP et qui avait consisté à annuler les saisies dont avaient fait l’objet, pour la construction du mur, les terres de huit localités palestiniennes situées au nord-ouest de Jérusalem. Mais les deux affaires inscrites à l’audience du 19 août 2004 étaient postérieures à l’avis que la Cour internationale de Justice avait émis le 9 juillet 2004 - cet avis qu’avait sollicité l’Assemblée générale des Nations unies et auquel, spécialement réunie à cet effet le 20 juillet 2004, elle a donné force de loi . Rappelons que la résolution alors adoptée l’avait été notamment avec les vingt-cinq voix des pays de l’Union européenne.
Le 19 août 2004, la Cour suprême d’Israël a donc invité le représentant du gouvernement israélien à lui faire connaître sa position sur l’avis de la Cour internationale de Justice et les conséquences qu’il en tire. Et c’est elle qui aura la primeur de la réponse gouvernementale - qui se présente sous la forme d’un document de 170 pages - lorsque reviendra devant elle l’affaire Budrus ou l’affaire Shuqba. Mais, suite à des fuites, le chroniqueur judiciaire de Haaretz en dévoile la teneur dans l’édition du 8 février : les juges de la Cour internationale de Justice auraient eu en main une mauvaise carte : le tracé de « la barrière de sécurité » a subi depuis lors beaucoup de modifications en raison des décisions de la Cour suprême et le gouvernement s’apprête d’ailleurs à adopter un nouveau tracé qui la rapprochera de la Ligne verte.
C’est chose faite. Le tracé approuvé par le cabinet israélien, le 18 février, ignore les blocs de colonies de Maale Adounim et Ariel et ramènerait l’empiètement sur le territoire de la Cisjordanie de 19 % à 7 ou 8 %.
Ce nouveau tracé influencera-t-il la Cour suprême ?
Sans doute privera-t-il d’objet quelques-unes des vingt-cinq instances non encore passées devant elle. Mais pour deux d’entre elles, en tout cas, la pirouette que constitue la réponse officielle du gouvernement israélien ne permettra pas à la Cour suprême de faire l’économie d’une décision.
L’une de ces instances porte le nom
d’« enclave d’Alfei Menashé ». Elle est à ce jour la seule affaire engagée pour une portion de mur déjà construite dont elle demande donc le démantèlement. C’est l’association israélienne ACRI (Association for Civil Rights in Israel) membre de la FIDH (Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme) qui l’a entamée le 30 août 2004, pour deux villages situés juste au sud de Qalqiliya, Ras Tira et Wadi A-Rasha. Ces deux villages sont enclavés entre la Ligne verte et un mur qui les sépare d’une importante colonie israélienne, Alfei Menashé, et ce mur qui a été construit au beau milieu de leurs terres, au nord et à l’est, ménage un vaste espace à la colonie en question.
Les villageois palestiniens ainsi enclavés sont séparés du reste de la Cisjordanie, de leurs hôpitaux, de leurs écoles et des moyens d’existence que leur fournissaient leurs terres. Pour survivre, ils ont le choix entre traverser clandestinement la Ligne verte pour s’employer en Israël ou offrir leurs services à la colonie d’Alfei Menashe pour des salaires de misère.
Cette colonie a entrepris la construction, 3 km à l’ouest, au bord de la Ligne verte, d’une extension qui porte le nom de « Nof Hasharom » et qui devait être rattachée au réseau électrique et à divers services municipaux de la bourgade israélienne située de l’autre côté de la Ligne verte, Nirit. Mais un tel rattachement n’est pas du goût des habitants de Nirit qui ne veulent pas se compromettre avec une colonie aussi manifestement illégale. Ils ont, de leur côté, saisi la Cour suprême.
Plus au sud, à la hauteur de Ramallah, deux bourgades palestiniennes s’affrontent également aux appétits d’une colonie et au mur : les localités de Deir Qaddis et de Ni’lin qui se trouvent au nord d’une autre importante colonie, celle de Modi’in. Dès le dépôt de leur demande, en mars 2004, la Cour suprême avait ordonné la suspension des travaux de construction du mur. La colonie de Modi’in est ensuite intervenue à la procédure, en exposant que si l’on modifiait le tracé prévu pour le mur, elle serait privée de ses possibilités d’expansion. C’était là « pain béni » pour M e Avner Pinchuk, l’avocat d’ACRI, qui défendait les localités palestiniennes ; il a fait remarquer à la Cour que la preuve était ainsi faite de ce que le mur avait pour objet non pas de défendre la sécurité d’Israël mais d’étendre les colonies pour les incorporer à Israël.
Ce qui s’est passé en décembre 2004 sur les terres volées un an auparavant à Jayyous par le mur - la construction d’une nouvelle colonie : Nof Tsufim - est aussi venu confirmer que la Cour internationale de Justice avait vu juste en constatant que le tracé du mur englobait 80 % des colonies et qu’il s’agissait là d’une annexion déguisée.
Christiane Gillmann,
le 2 mars 2005.