Dimanche 16 février, la Cour Suprême d’Israël siégeant en formation spéciale (neuf juges de cette haute juridiction sous la présidence de son Président), se penchera sur la constitutionnalité de la « Loi sur le Boycott ». La Cour Suprême d’Israël examine en formation de trois juges les recours courants, des formations plus importantes étant réservées aux cas soulevant des problèmes de constitutionnalité.
L’ancien député Uri Avnery et le Mouvement Gush Shalom (Bloc de la Paix) ont formé un recours devant la Cour Suprême en juillet 2011, immédiatement après que la Knesset ait promulgué la « Loi sur le Boycott ».
Ce texte de loi, adopté au bout d’un débat enflammé, rend quiconque appelle au boycott d’Israël passible de lourds dédommagements et amendes, l’appel au boycott des colonies installées dans les Territoires Occupés étant défini comme une « forme de boycott d’Israël ». Le recours de Gush Shalom a été déposé par les avocats Gaby Lasky et Neri Ramati. Ensuite, d’autres appelants se sont joints au recours, parmi lesquels ACRI (Association for Civil Rights in Israël/ Association pour les Droits Civiques en Israël), Adalah (Centre Juridique pour les Droits de la Minorité Arabe d’Israël), le député Ahmed Tibi, la Coalition des Femmes pour la Paix, le Mouvement pour un Judaïsme Réformé et Progressiste, le Comité Arabe de Contrôle et le groupe de citoyens conduits par Maître Adi Barkai.
Le bureau du Procureur de l’Etat, qui a demandé à la Cour de rejeter les recours, a néanmoins admis dans un document présenté l’an dernier à la Cour que la loi adoptée par la Knesset « posait quelques problèmes constitutionnels ». (En fait, avant que la proposition de loi ne soit soumise au vote final, le conseiller juridique de la Knesset avait lui-même demandé aux députés qui présentant la proposition de la retirer – en vain).
Gush Shalom qui a appelé au boycott des produits des colonies depuis leur création, est directement visé par cette loi. Pendant les trois dernières années, il a mené des activités sous la menace en suspens de lourdes poursuites. Dans son recours, Gush Shalom affirme que la « Loi sur le Boycott » est contraire à la constitution et anti-démocratique, dans la mesure où elle viole la liberté d’expression, le droit à l’égalité et d’autres droits fondamentaux des citoyens d’Israël, que ces droits sont violés de façon disproportionnée et que le lancement d’un boycott par les consommateurs relève du débat démocratique, dont l’usage ne devrait pas être limité.
« Le boycott des colonies et de leurs produits n’est pas simplement une question de politique étrangère de l’Etat d’Israël et de son image en voie de détérioration dans la communauté internationale. C’est aussi et particulièrement une question interne à Israël, concernant directement l’avenir d’Israël et le débat qui a coupé en deux la société israélienne pendant les 47 dernières années » déclare l’ancien député Uri Avnery. Une partie importante de l’opinion publique israélienne est complètement opposée au projet colonial le considérant comme une souillure morale et un désastre politique qui perpétue l’oppression des Palestiniens et empêche les citoyens israéliens de parvenir à la paix avec leurs voisins. Ceux qui s’opposent aux colonies ont entièrement le droit d’exprimer leur ferme opposition par tous les moyens démocratiques, y compris et surtout par une campagne de boycott.
Les citoyens concernés ont le droit de s’abstenir de financer avec l’argent de leurs achats les colonies auxquelles ils sont fortement opposés. Tout comme les citoyens religieux sont habilités à avoir un « chien de garde » chargé de les avertir que certains aliments ne sont pas kasher selon les critères des lois alimentaires de la religion juive, de la même façon les chercheurs de paix sont habilités à avoir leur propre « chien de garde » pour les avertir que certains produits sont issus des colonies installées dans les Territoires Occupés, même si les fabricants et les distributeurs essayent de cacher aux consommateurs l’origine des produits. Gush Shalom a agi en tant que « chien de garde » depuis plus de dix ans. Nous avons publié des listes de produits issus des colonies et nos militants les ont distribuées lors d’évènements publics et aux entrées des supermarchés, jusqu’à ce que les auteurs de la « Loi sur le Boycott » se soient mis à nous bâillonner.
« La « Loi sur le Boycott » a entraîné une situation de discrimination évidente et criante. Dans l’Etat d’Israël on a le droit de publier le nom des restaurants et des magasins vendant des produits qui ne sont pas kasher et d’appeler les gens à ne pas y faire leurs achats. Non seulement on en a le droit, mais en plus le boycott des produits non kasher est subventionné par le contribuable israélien. Par le biais d’importants budgets alloués au Grand Rabbinats et aux Rabbinats des Villes. Par contre, quiconque appelle les gens à ne pas consommer les produits des colonies est passible de procédures judiciaires se terminant par le paiement de lourds dédommagements ».
Le recours de Gush Shalom cite différents exemples de boycotts qui ont mené à des changements dans l’opinion publique et dans les situations politiques, tel le boycott décidé par les Juifs américains contre l’Allemagne nazie en 1933 ; les campagnes de boycott que Gandhi a lancées contre les produits britanniques pendant la lutte pour libérer l’Inde du gouvernement colonial et les boycotts auxquels a appelé la communauté afro-américaine dans sa lutte contre la ségrégation raciale.
Les débats qu’aura dimanche la Cour Suprême pourraient faire l’objet soit d’une décision immédiate, soit d’une prolongation des délibérations.
Débats devant la Cour Suprême
à propos de la « Loi sur le Boycott »
(mise à jour).
« Y a-t-il une justification pour entraver la Liberté d’Expression ? » ont demandé les juges à l’Etat pendant les débats relatifs à la Loi sur le Boycott. Le 16 février un débat intense a eu lieu à la Cour Suprême à Jérusalem, quand une formation spéciale de neuf juges s’est réunie pour délibérer d’une série de recours contre la « Loi sur le Boycott ». Les fonctionnaires de l’Etat ont essayé de présenter des arguments faisant la distinction entre le boycott des produits des colonies et des boycotts par les consommateurs tel que celui du fromage fermier qui a été le point de départ de la protestation sociale de masse en Israël en 2011. Les représentants des appelants ont développé l’argument que toutes les formes de campagnes de boycott sont une forme légitime d’action de protestation dans une démocratie.
« J’ai entendu que l’on dit ici que les colons ont une légitimité parce qu’ils ont obtenu l’autorisation du gouvernement pour s’établir dans les Territoires Occupés et y travailler. Mais le gouvernement a aussi autorisé les grandes sociétés à déterminer les prix comme elles l’entendent -ce qui n’empêche pas les gens de boycotter ces sociétés dans l’intention de les amener à baisser leurs prix » a déclaré Maître Gabi Lasky, qui représentait Gush Shalom.
Maître Adi Barkai a ajouté : En effet, le but du boycott des colonies est de leur causer des dommages économiques. Ceci, pour les amener à cesser une activité –l’activité de colonisation- que les boycotteurs considèrent être une grave menace sur notre avenir même ici en Israël. Faire pression sur les colons en leur causant des dommages est légitime, aussi légitime que pour des travailleurs de faire la grève. Par son essence même, une grève a pour but de causer un dommage économique à l’employeur dans l’intention d’arracher une amélioration des salaires des employés ou des conditions de travail et les travailleurs ont le droit de faire cela.
Une autre question qui est venue en débat devant la Cour a consisté à assimiler le boycott des produits des colonies et un boycott raciste des membres d’un groupe ethnique spécifique. Maître Hassan Jabarin d’Adalah a fermement rejeté un tel amalgame. « Bien sûr, un boycott raciste, qu’il vise des Juifs ou des Arabes, est intrinsèquement mauvais. Le boycott des colonies est quelque chose de fondamentalement différent. Il est dirigé contre un acte politique, l’acte de colonisation dans les Territoires Occupés. C’est un boycott légitime contre un acte que les boycotteurs considèrent comme illégitime ». Par exemple, Maître Jabarin a remarqué que certaines sociétés palestiniennes ont ouvert des usines dans les zones industrielles des colonies, ce qui entraîne le fait qu’elles sont englobées dans le boycott des colonies proclamé par l’Autorité Palestinienne. « Celles-ci sont des établissements aux propriétaires palestiniens, employant des travailleurs palestiniens, mais ce n’est pas l’élément le plus important. ce qui est décisif c’est que ces usines se sont transformées en une partie du projet colonial qui est destiné à perpétuer l’occupation. »
Les Juges ont posé beaucoup de questions au représentant de l’Etat, Maître Genesin, en lui demandant si le Procureur Général admet que la « Loi sur le Boycott » entrave la liberté d’expression. Selon les principes constitutionnels israéliens, une telle entrave ne devrait pas invalider automatiquement la loi. Toutefois l’Etat devrait montrer que cette violation d’un droit fondamental se produit « pour une raison fondée » et que le bénéfice qui en découle est proportionnel au dommage. L’Avocat Genesin a évité une réponse claire. Pour sa part le représentant du conseiller juridique de la Knesset a reconnu, qu’au cours des discussions qui se sont déroulées à la Knesset avant que la Loi sur le Boycott n’ait été finalement adoptée, le conseiller a considéré que la loi soulevait « de graves problèmes constitutionnels » en raison du fait qu’elle sanctionne non seulement le boycott d’Israël en tant que tel, mais aussi un boycott des colonies ». Pendant l’audience de la Cour Suprême il a été dévoilé que bien que deux ans et demi se soient écoulés depuis la promulgation de la loi, le Ministre des Finances n’avait jusque là pas pris les décrets nécessaires à l’application de certaines de ses dispositions. « Ceci signifie-t-il que le gouvernement considère cette loi comme une lettre morte qui n’est pas destinée à être appliquée ? Et s’il en est ainsi, ne serait-il pas mieux de l’abroger purement et simplement » se sont demandés certains représentants des appelants.
Le représentant de l’Etat a aussi déclaré que jusque là aucune plainte pour dommages n’a été déposée en application de la Loi sur le Boycott, et que par conséquent les recours étaient « prématurés ». Pour mieux dire, il faut attendre que des plaintes soient déposées et jugées par des tribunaux de rang inférieur avant de saisir la Cour Suprême. « Il n’est pas possible d’attendre, parce que la loi a déjà causé et continue à causer des dommages substantiels à la Liberté d’Expression » a réagi Maître Gaby Lasky. « Avant que cette loi ne soit promulguée, mon client, Gush Shalom avait l’habitude de publier, de distribuer et de mettre régulièrement à jour sa liste des produits des colonies. Ceci était fait en tant que service public pour ceux qui n’étaient pas disposés à acheter et à consommer des produits des colonie et qui demandaient l’origine de ce qui était proposé à la vente. c’était une partie significative des activités de Gush Shalom. Maintenant, sous la menace constante de cette loi, Gush Shalom a été forcé de cesser la publication et la distribution de cette liste, en étant considérablement entravé dans son activité politique et incapable de mener les actions que ses membres considèrent comme importantes ». Le représentant de l’Etat a remarqué que vendredi dernier Gush Shalom avait publié une annonce dans « Haaretz », faisant référence à la légitimité du boycott des colonies - ce à quoi un juge a répondu : « Nous ne prenons pas nos décisions sur la base de ce qui paraît dans les journaux. Si vous estimez que cette annonce constitue un argument pertinent, versez-la aux débats ».
S’adressant aux représentants des appelants, les juges leur ont demandé à plusieurs reprises s’ils étaient opposés à la Loi sur le Boycott dans son intégralité ou seulement à son interdiction du boycott des colonies. En fait, celle-ci n’est exprimée que par sept mots dans le texte de la Loi sur le Boycott . La loi définit une nouvelle sorte de préjudice : « le boycott d’une personne ou d’une institution » en raison de « liens avec l’Etat d’Israël ou avec une zone sous son autorité » -ce qui concerne les territoires occupés en 1967 qui sont administrés par Israël, mais qui n’en font pas partie. A plusieurs reprises, les juges ont demandé si les appelants seraient satisfaits de la suppression de ces mots ou s’ils voulaient absolument l’abrogation de toute la loi. La plupart des représentants ont répondu qu’ils étaient opposés à cette loi en général, mais particulièrement à la partie traitant des colonies. « Si vous preniez un crayon bleu et si vous raturiez les mots « une zone sous son autorité », cela ne règlerait pas l’ensemble du problème. Certaines personnes pourraient encore vouloir boycotter une personne ou une institution à cause de ses liens avec Israël, des liens avec un Etat d’Israël qui garde ces territoires sous son autorité », a déclaré le représentant de l’ACRI (Association pour les Droits Civiques en Israël).
Les juges ont continué à soumettre les représentants des appelants à des questions difficiles : « Qu’en serait-il si Israël quittait les Territoires et que cette loi reste en vigueur, réclameriez-vous encore qu’elle soit abrogée ? » et « Si une telle loi avait été promulguée en 1966, quand Israël n’administrait pas encore ces territoires, et avait été opposée à un citoyen israélien qui aurait soutenu le boycott contre Israël, l’auriez-vous considérée comme anti-constitutionnelle et comme une entrave à la Liberté d’Expression ? » A cela Maître Osama Saadi, représentant le Parti Ta’al et son dirigeant le député Ahmad Tibi, a répondu : « Le fait est que dans les années cinquante et soixante il y avait un boycott arabe d’Israël, et Israël s’est débrouillé sans avoir une telle loi. Pourquoi, devrait-il en avoir besoin aujourd’hui, quand, au lieu d’un boycott arabe, il y a une Initiative de Paix arabe avec une bonne volonté des états arabes pour faire la paix avec Israël ? ».
Pendant toutes les délibérations, le député Ahmed Tibi et l’ancien député Uri Avnery étaient assis ensemble au premier rang et à côté d’eux le ministre adjoint des Affaires étrangères Ze’ev Elkin, qui a fait partie de ceux qui ont été à l’initiative de la Loi sur le Boycott. A la fin d’une longue séance, les neuf juges ont quitté la salle sans avoir rendu de décision.
(traduit de l’anglais par Y. Jardin)