Les héros sont fabriqués et refabriqués particulièrement après leur mort. De son vivant, Arafat était déjà en route pour devenir une icône palestinienne. Ce processus se prolongera après sa mort.
Néanmoins, en fin de compte, tout ce qu’il avait représenté sera contesté. Différents groupes et partis, y compris ceux qui se sont opposés à lui politiquement à un moment ou à un autre, ainsi que différentes factions de son propre parti, le Fatah, revendiqueront son héritage. Arafat, après sa mort continuera à jouer un rôle politique.
Car malgré sa longue carrière, sa mort dépeint un parcours inachevé : il est mort à Paris ; des cérémonies officielles se sont tenues au Caire et non en Palestine et il a été enterré « temporairement » à Ramallah. Tout accord de paix final entre les Palestiniens et les Israéliens devra accorder un ultime lieu de repos à Arafat dans Jérusalem.
Il est évident que les Palestiniens vont entrer dans une nouvelle phase de leur vie politique. Deux grandes questions domineront à court et à long terme : le sort du processus politique avec Israël et la nature du système politique palestinien dans l’ère post-Arafat.
Les évaluations initiales faites peu de temps après la mort d’Arafat sur les possibilités maintenant ouvertes de progrès dans les négociations avec Israël ne sont qu’une vue à court terme mais n’ont pas de signification stratégique. Car même si l’on suppose qu’une autre entente intérimaire se fasse entre la nouvelle direction palestinienne et le gouvernement israélien, les racines du conflit demeurent et encore plus à cause du Mur de Séparation qui va devenir le centre de protestations et de résistance persistantes.
La nouvelle direction palestinienne peut avoir une certaine latitude politique dans l’immédiat futur pour continuer les démarches entreprises avec l’intercession de l’Egypte, surtout si les Etats-Unis et l’Europe s’impliquent plus fortement. Mais à la fin, des restrictions politiques graduelles vont être imposées à la nouvelle direction suite à l’influence politique croissante de différents rivaux du pouvoir qui assumeront un rôle plus important après la mort d’Arafat.
De son vivant, on ne pouvait pas le contester sur le partage du pouvoir avec d’autres groupes. La nouvelle direction palestinienne sera dans une position beaucoup plus faible face à de telles demandes et risque de devoir accéder en fin de compte à leurs demandes, du moins en partie.
Mais la contrainte et le défi principal à long terme pour toute nouvelle direction palestinienne c’est la question de savoir si la possibilité d’avoir un partenaire israélien dans tout futur gouvernement israélien, est réelle. Il n’y a pas de raison de penser qu’une telle direction pourra « vendre » aux Palestiniens ce qu’un gouvernement israélien est susceptible d’offrir. La scène politique interne israélienne restera fermée sur la question de savoir à quel endroit tracer la ligne territoriale pour mettre fin au projet sioniste dans la Palestine historique à moins qu’il n’y ait une pression extérieure persistante qui influencerait l’opinion publique israélienne vers une direction de gauche. Cela ne parait pas probable sous une administration Bush.
Les braises du conflit continueront donc à couver malgré toute entente provisoire.
La nature du système politique et administratif de l’Autorité Palestinienne après Arafat est le deuxième principal défi où l’on s’attend à des changements. Comme la plupart des Palestiniens en conviennent, personne ne sera capable de remplacer Arafat. Il a en plus créé sous l’Autorité Palestinienne un mode de gouvernement dé-institutionnalisé où le système informel prédominait sur le système formel. Son système de patronage et de clientélisme a fait qu’il était le ciment qui liait le système. Son départ risque de résulter en la fragmentation de son propre parti, le Fatah, et aussi des différents centres de pouvoir au sein de l’ Autorité Palestinienne.
La nouvelle direction est très consciente de cela, mais il reste à voir si elle réussira à tout maintenir ensemble dans les semaines à venir. Centraliser les différents services de sécurité sous un seul commandement ne suffira pas en lui-même. C’est une demande israélienne mais ce n’est pas le seul élément de réforme nécessaire du point de vue palestinien.
Sans règles de droit et une réforme du système judiciaire, il existe un danger que les Palestiniens soient gouvernés par des organisations de sécurité. En termes de priorité, la règle de droit vient en premier.
Au-delà de la période de transition, la question de la légitimité du gouvernement va surgir. La demande d’élections a déjà été soulevée cette dernière année et avec plus de persistance qu’à aucun autre moment.
Si des élections pour un nouveau conseil représentatif ne sont pas tenues bientôt, la légitimité du gouvernement sera sapée et des fissures importantes s’ouvriront au sein de la société. La nouvelle direction sera trop faible pour arrêter une marée montante. Cela sera aussi une décision politique qu’Israël et les Etats-Unis devront prendre : faciliter ou non les élections.
Finalement, les questions relevant de réformes et de démocratisation dans le contexte palestinien ne seront pas séparées des questions relevant des droits nationaux.
Aucune direction palestinienne ne pourra gouverner démocratiquement si elle perçue par les Palestiniens comme faisant des concessions excessives par rapport à de tels droits. Cela sera aussi perçu comme un héritage d’Arafat qui est mort assiégé dans son quartier général à Ramallah. Son lieu d’inhumation restera un rappel permanent, puissant, visible et concret.