En 2003, l’économie israélienne a connu une inflation moyenne négative pour la première fois de son histoire. Ces -1,9 % d’inflation sont devenus le sujet brûlant des conversations dans les medias et les milieux économiques. Cependant, tandis que l’inflation israélienne moyenne était négative, l’inflation moyenne des territoires palestiniens occupés (TPO) restait positive et élevée. Voyons tout d’abord de plus près l’inflation en Israël et dans les territoires palestiniens occupés :
Année ; Israël ; TPO ; écart cumulé *
1999 : 1,3 ; 5,5 ; 4,2 ;
2000 : 0,0 ; 2,7 ; 6,9 ;
2001 : 1,4 ; 2,1 ; 7,6 ;
2002 : 6,5 ; 5,7 ; 6,8 ;
2003 : -1,9 ; 3,8 ; 12,5
* L’écart concerne les changements de prix depuis 1999 jusqu’à l’année pertinente.
Il est aisé de voir que l’inflation n’a pas suivi le même schéma dans les deux économies. Depuis 1999(l’effondrement matériel des accords d’Oslo) et 2000 (le déclenchement de la seconde Intifada), on assiste à un accroissement constant de l’écart entre les prix israéliens et palestiniens. Les prix à la consommation augmentent de façon sensible chaque année dans les territoires palestiniens occupés tandis que leur croissance est bien plus lente en Israël (pas d’inflation du tout en 2000 et une inflation négative en 2003). En 2001 seulement, Israël a connu une inflation légèrement plus élevée que dans les TPO. Depuis 1999, l’écart est arrivé à un sommet de 12,5%.
Raisons de la déflation israélienne
La principale origine de la déflation israélienne n’est que trop évidente. La baisse des prix découle de l’érosion permanente des revenus de la plupart des consommateurs. La récession que traverse actuellement l’économie israélienne a présidé à une redistribution radicale du revenu au sein de la société israélienne, des travailleurs à faible revenu et des personnes dépendant de l’aide du gouvernement au profit des magnats du monde des affaires.
Ce mouvement s’exprime par la montée du chômage et la baisse des salaires. Le pouvoir d’achat du travailleur moyen s’est trouvé gravement entamé. De même, le revenu des classes supérieures s’est accru, mais cet accroissement s’est manifesté dans la valeur croissante des avoirs financiers tels que les actions et les obligations, qui n’entrent pas dans le calcul de l’indice des prix à la consommation (CPI) et n’apparaissent donc pas dans les chiffres officiels concernant l’inflation. La demande de produits de consommation élémentaires a sérieusement décliné, étant donné que les bénéficiaires de la redistribution des revenus ne peuvent absorber que des quantités limitées de pain et de sucre.
L’économie israélienne se trouvant absorbée par une course à la bourse (qui commence à donner dessignes d’essoufflement), le marché actuel des produits de consommation se trouve relativement abandonné.
Pourquoi l’inflation palestinienne est-elle aussi élevée ?
L’économie palestinienne étant très étroitement liée à l’économie israélienne, on pourrait s’attendre à ce que les prix, par exemple, fluctuent dans le même sens en Israël et dans les territoires palestiniens occupés. Pourtant, l’accroissement de l’écart entre les prix en Israël et dans les TPO présente un tableau tout à fait différent.
Il est évident que l’augmentation des prix dans les TPO ne découle pas d’une croissance du pouvoir d’achat moyen des Palestiniens. De fait, le pouvoir d’achat personnel moyen des Palestiniens a diminué de 23% en 2002, puis encore de 23% en 2003. Depuis le début de l’Intifada en l’an 2000, il s’est dégradé de plus de 45%.
Depuis l’an 2000, la consommation moyenne privée a baissé de près de 33%, mais les importations ont décliné de plus de 48% (en raison des limitations israéliennes sur lesquelles nous reviendrons). Cela signifie que les Palestiniens sont de plus en plus dépendants de leur propre production pour survivre (et de l’aide étrangère).
La capacité palestinienne à produire s’est trouvée gravement lésée par les attaques et les fermetures israéliennes. Pour situer la gravité de ces attaques, nous indiquerons que les pertes occasionnées par la destruction par l’armée israélienne de propriétés privées et d’infrastructures ont représenté 643 millions de dollars US entre 2000 et 2002. D’autre part, la possibilité pour l’industrie locale d’importer s’étant trouvée encore davantage réduite, l’industrie et l’agriculture palestiniennes déclinantes se trouvent en butte à une pression croissante pour répondre à la demande de toute la population. Cette situation entraîne évidemment un accroissement des prix, les gens se trouvant en compétition pour l’acquisition de rares marchandises.
Selon la Banque Mondiale, ce sont les coûts de transport qui représentent le principal moteur de l’augmentation des prix dans les territoires palestiniens occupés. Une entreprise de conseil a illustré la façon dont la politique israélienne empêche les importations et renchérit le transport en suivant l’itinéraire d’un chargement de produits de consommation qui s’acheminait vers Gaza.
Le conteneur a été retenu 40 jours au port israélien pour un coût de 50 US$ par jour. Les règlements exigeant un grand nombre de palettes même pour un conteneur, le chargement en question (qui mesurait la moitié d’une palette) a été chargé sur un camion qui transportait deux remorques. Le camion a dû patienter deux ou trois nuits au point de passage de Karni avant de recevoir l’autorisation de rencontrer un camion palestinien qui attendait de l’autre côté du barrage. Le conteneur a dû être transbordé d’un camion à l’autre en vertu des célèbres règlements ’back-to-back’ inventés par les autorités israéliennes pour éviter que des camions ne traversent la frontière.
Lorsque le conteneur est enfin déchargé à Gaza, il ne lui est pas permis de retourner en Israël, ce quioblige la société importatrice à payer à la société de transport une compensation de 2.000 $US.
En fin de compte, ce conteneur chargé de 4.000 $US d’ustensiles de cuisine a dû payer 443 dollars de coûts d’entreposage aux autorités portuaires israéliennes, 2.000 $US de transport et 2.000 $US pour le conteneur. Lorsqu’on l’a ouvert, on a constaté que 1.500 $US de marchandises avaient été volés au cours de ce long processus (presque deux mois !), alors que les marchandises étaient sensées se trouver sous la protection des autorités israéliennes. La société importatrice a ainsi fini par payer 8.443 $US pour 2.500$US de marchandises (soit 337,7% de leur valeur).
Voici pourquoi les importations palestiniennes sont en baisse tandis que les prix augmentent. Aussi difficile que ce soit à imaginer, selon la Banque Mondiale, le prix du transport de passagers a contribué à augmenter l’indice des prix encore plus que le coût du transport de marchandises. Ceci est dû à la nécessité d’utiliser un grand nombre de taxis et de réaliser un nombre infini de tentatives avant de pouvoir enfin se rendre à destination (non seulement pour des destinations en Israël même, mais surtout pour se rendre au village voisin ou dans la ville d’à-côté, ce qui implique également de contourner les barrages routiers intérieurs).
En conclusion, l’inflation, si elle obéit à des mécanismes différents en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, puise à la même racine. Les politiques israéliennes, responsables de la profonde récession qui frappe l’économie israélienne et entraîne la déflation, sont également à l’origine des difficiles conditions de l’économie palestinienne qui entraînent l’inflation.
Sources :(1) Twenty-Seven Months - Intifada, Closures and Palestinian Economic Crisis, An Assessment, The World Bank, May 2003, Jerusalem. (Vingt-sept mois d’Intifada, Fermetures et crise économique palestinienne - Une évalutation - Banque Mondiale, 2003, Jérusalem)(2) Massar Associates, A Strategy for Private Sector Development in the West Bank and Gaza : From Crisis to Sustainable Growth (Une stratégie de développement du secteur privé en Cisjordanie et à Gaza : de la crise à la croissance durable)