Les rues de la vieille ville de Naplouse sont plus calmes que d’habitude.
Les rues typiquement animées, remplies des images, des odeurs et des sons de l’un des plus anciens marchés de Palestine, sont presque méconnaissables. La plupart des magasins et des entreprises sont fermés ; ceux qui sont ouverts sont visiblement sombres, loin des appels animés habituels des vendeurs de rue annonçant leurs marchandises aux foules d’acheteurs qui passent par là.
"Ce n’est pas commun à Naplouse", a déclaré Abu Ayyad, 72 ans, à Mondoweiss alors qu’il était assis dans sa boutique, en train d’emballer des bonbons halkoum - une version naboulienne du délice turc qu’il fabrique et vend depuis plus de 60 ans dans sa boutique du quartier d’al-Yasmina.
Les trous de balles criblent les vieux bâtiments en pierre et les portes en fer rouillées qui bordent les rues. Certaines des destructions datent de la première et de la deuxième Intifada. Mais les voitures plus récentes garées le long des rues pavées, couvertes d’impacts de balles et de verre brisé, rappellent aux passants la fraîcheur de ces blessures.
"Ce qui se passe maintenant à Naplouse me rappelle le niveau de destruction qui s’est produit en 2002 lorsque les forces israéliennes ont envahi Naplouse", a déclaré à Mondoweiss Sameh Abdo, 52 ans, un résident de la vieille ville, alors qu’il traversait les ruelles étroites du quartier al-Yasmina.
"La destruction de la ville, des maisons, des bâtiments. Nous n’avons pas vu ce type de dévastation depuis des années", a-t-il dit.
En bas de la rue, un homme est assis devant sa boutique pleine de vieilles radios, haut-parleurs et autres bricoles empilées. Il fume sa cigarette en silence, s’imprégnant des paroles de la chanson qui retentit sur l’une des enceintes les plus récentes de sa collection. C’est un hymne dédié aux lions.
Il y a peu ou pas d’étrangers présents, une nouvelle réalité créée à dessein et non par accident. La présence de quiconque ou de quoi que ce soit d’inconnu pour les habitants est considérée comme une menace potentielle, et c’est compréhensible.
Au cours des derniers mois, les habitants de la vieille ville sont devenus de plus en plus méfiants et soupçonneux à l’égard de toute présence étrangère dans leurs rues. Trop souvent, des forces israéliennes infiltrées sont entrées dans la ville sous un déguisement, à la recherche du sang des jeunes hommes qui ont fait de ces rues leur foyer.
C’était le cas le lundi 25 octobre, juste après minuit. Les rues étaient calmes et, à la faveur de la nuit, les forces spéciales israéliennes sous couverture ont pénétré dans les limites de la ville. Leurs cibles étaient un groupe de jeunes hommes, armés et prêts dans leur cachette du quartier al-Yasmina de la vieille ville, mais apparemment inconscients du danger qui les guettait.
Ils se font appeler la "Tanière des Lions", Areen al-Usud en arabe. Ce nouveau groupe de résistance armée, relativement inconnu en dehors de Naplouse jusqu’à il y a quelques mois, a acquis un statut de héros dans toute la Palestine.
Dans les rues de la vieille ville de Naplouse, cependant, les lions sont plus que de simples héros mythiques. Ils sont les frères, les fils et les amis des gens d’ici. Ce sont les voisins des gens - des voisins qui les ont vus grandir, alors qu’ils n’étaient que des enfants achetant des snacks au magasin en bas de la rue et causant du grabuge avec les autres enfants du quartier.
Aujourd’hui, ces enfants sont des lions, et ils ont décidé de faire ce que beaucoup croyaient impossible après des décennies sous la botte de l’occupation israélienne et de ses partenaires de l’Autorité palestinienne : relancer la résistance armée populaire.
L’histoire de l’origine
L’émergence de la Tanière des Lions dans la conscience publique palestinienne remonte à l’été, lorsqu’un beau jeune homme stoïque, au visage étroit, a traversé une foule de milliers de personnes au milieu de la ville de Naplouse - son fusil dans la main droite, le cercueil de son ami dans la main gauche.
Alors qu’il marchait à travers la foule dans le cortège funéraire de ses camarades tombés au combat, les passants ont salué le jeune homme. Dans une vidéo virale, un homme se débat pour attraper sa main, encore serrée autour de son fusil, et l’embrasse. Le visage du jeune homme n’a pas bronché.
شهيد يودع شهيد … الشهيد إبراهيم النابلسي في وداع رفيق دربه الشهيد ابو صالح قبل عدة ايام. pic.twitter.com/wQjA56HbxS
— Hisham Abu Shaqrah هشام أبو شقرة (@HShaqrah) August 9, 2022
Le jeune homme s’appelait Ibrahim Nabulsi, tout juste âgé de 18 ans à l’époque. Connu localement sous le nom de "Lion de Naplouse" et jouissant d’une mystérieuse réputation de combattant acharné qui avait réussi à échapper à plusieurs arrestations et tentatives d’assassinat par les Israéliens, le jeune Nabulsi a connu la gloire populaire et l’admiration après sa prestation aux funérailles.
À l’époque, Nabulsi et ses camarades faisaient partie d’un groupe qui se faisait appeler les Brigades de Naplouse, Katibet Nablus en arabe, et qui opérait depuis la vieille ville. Ils étaient actifs depuis des mois, menant des opérations de tir dans le nord de la Cisjordanie.
Modelé sur les Brigades de Jénine, au nord, le groupe a été formé au début de l’année 2022 et se composait principalement de jeunes hommes anciennement alignés sur la Saraya Al-Quds (Brigades Al Quds), la branche armée du mouvement du Jihad islamique.
Mais de nombreux membres et dirigeants du groupe étaient issus de différentes factions politiques. Nabulsi s’était auparavant aligné sur le mouvement Fatah ; d’autres étaient originaires du Hamas, et même du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), un mouvement marxiste-léniniste de gauche.
Comme les Brigades de Jénine, les Brigades de Naplouse étaient inter-factionnelles, et bien qu’elles recevaient des fonds de diverses sources, elles ne s’alignaient pas officiellement sur un parti politique. Elles se battaient au nom de la Palestine, et de personne d’autre.
La première opération majeure du gouvernement israélien visant les Brigades de Naplouse a eu lieu en février, lorsque les forces spéciales israéliennes ont fait un raid sur Naplouse et ont tendu une embuscade à un véhicule, l’arrosant de balles et assassinant de manière extrajudiciaire trois résistants palestiniens qui, selon Israël, étaient recherchés.
Il s’agissait d’Ashraf Mubaslat, d’Adham Mabrouka et de Mohammad Dakhil. Il y avait un quatrième passager - selon certains rapports, il a été blessé et arrêté par l’armée, selon d’autres, il a réussi à s’échapper. Beaucoup pensent qu’il s’agit d’Ibrahim al-Nabulsi.
À l’époque, la Brigade des martyrs d’Al-Aqsa (la branche militaire du Fatah) a revendiqué ces trois personnes comme étant ses membres. Mais ils s’étaient récemment séparés du Fatah, menant un certain nombre d’opérations de tir dans Naplouse sous un autre nom. Les responsables de la défense israélienne les décrivaient comme une cellule "renégate."
À peu près au même moment, l’appareil militaire israélien a lancé l’opération "Break the Wave" / "Briser la vague", une opération massive et illimitée à travers la Cisjordanie occupée pour "contrecarrer les activités terroristes" et la résistance armée croissante à Jénine et Naplouse.
En avril, le chef d’état-major de l’armée israélienne, Aviv Kochavi, a prévenu : "Notre mission est simple : nous devons mettre fin au terrorisme et rétablir la sécurité et le sentiment de sécurité. Nous ferons tout ce qu’il faut, tout ce qui est nécessaire, aussi longtemps et partout où cela est nécessaire, jusqu’à ce que la sécurité et le sentiment de sécurité soient rétablis."
Pourtant, malgré l’augmentation des raids meurtriers de l’armée israélienne à Naplouse et à Jénine, le nombre d’opérations et d’activités de résistance armée, que ce soit par le biais de groupes organisés ou de manière indépendante, a continué à augmenter. Plutôt que de briser la vague, l’opération "Break the Wave" semblait seulement conjurer un tsunami.
Fin juillet, plusieurs mois après le début de l’opération "Break the Wave", l’armée israélienne a lancé un raid massif sur le quartier d’al-Yasmina dans la vieille ville de Naplouse. C’était la première fois depuis 2002 que l’armée menait un raid dans cette zone, ciblant ceux qu’ils disaient être des Palestiniens soupçonnés d’avoir mené une opération de tir contre des soldats et des colons israéliens lors de l’attaque du Tombeau de Joseph un mois auparavant.
Au cours du raid, les combattants de la résistance ont tiré des coups de feu nourris sur les forces israéliennes, alors qu’ils se barricadaient à l’intérieur de la maison de Mohammad al-Azizi, connu pour être le fondateur de la Tanière des Lions. Les forces israéliennes ont encerclé la maison et l’ont bombardée d’explosifs et de coups de feu, maîtrisant ainsi les combattants à l’intérieur.
Après une fusillade de trois heures, Mohammad al-Azizi, 25 ans, et Aboud Suboh, 28 ans, ont été tués dans le raid, alors qu’ils auraient fourni une couverture à leurs camarades pour s’échapper. Les médias israéliens ont rapporté que l’une des principales cibles du raid, Ibrahim al-Nabulsi, avait une nouvelle fois échappé à la capture.
Si al-Azizi et Suboh ont tous deux été revendiqués comme membres des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, ils étaient connus localement pour être parmi les premiers membres des Brigades de Naplouse. C’est lors de leurs funérailles, le 24 juillet, que Nabulsi, revêtu d’un gilet pare-balles et de son fusil, a rendu hommage à ses camarades tombés au combat, renforçant ainsi son statut d’icône dans la ville.
Dans toute la Cisjordanie, les Palestiniens ont fait circuler des vidéos et des photos de Nabulsi lors des funérailles. Soudain, le Lion de Naplouse et le groupe avec lequel il s’est battu sont devenus des noms familiers en dehors des limites de leur ville.
Ce n’est que deux semaines plus tard que Nabulsi allait connaître le même sort que ses compagnons de combat. Lors d’un raid sur la vieille ville le 9 août, Nabulsi a été tué en combattant l’armée israélienne. Deux autres membres des brigades qui combattaient aux côtés de Nabulsi ont été tués pendant le raid : Islam Sbuh, 32 ans, et Hussein Jamal Taha, 16 ans.
Dans un message vocal largement diffusé sur les médias sociaux palestiniens, prétendument enregistré par Nabulsi et envoyé à ses camarades peu avant sa mort, on peut entendre un Nabulsi calme et posé dire :
"Je vous aime tellement. Si je deviens un martyr, les gars, j’aime ma mère. Prenez soin de la patrie après mon départ, et ma dernière volonté pour vous, sur votre honneur : ne lâchez pas le fusil - sur votre honneur. Je suis cerné et je vais devenir un martyr."
Avec sa mort, le Lion de Naplouse est devenu une icône, et le groupe avec lequel il a combattu s’est fermement implanté dans la conscience publique. Après le meurtre d’al-Nabulsi, la Tanière des Lions, désormais privée de son fondateur et de ses premiers combattants, a lancé un appel au public pour demander sa protection.
Deux semaines après l’assassinat de Nabulsi, une nouvelle chaîne Telegram a été créée avec une photo de Mohammad al-Azizi et Aboud Suboh brandissant leurs fusils. Un nouveau logo, rappelant les symboles utilisés pour représenter les branches armées du Fatah et du Jihad islamique, a été superposé à la photo. Mais ce nouveau symbole, montrant le Dôme du Rocher assis sous deux fusils croisés, à côté de l’icône d’un combattant armé au milieu d’une carte de la Palestine, n’appartenait à aucune des factions politiques établies.
Sur une bannière noire, on pouvait lire le nom du groupe en arabe, et en dessous, une courte ligne de texte qui disait : "La chaîne officielle de la Tanière des Lions".
Gain de popularité
Le 2 septembre, lors d’une commémoration à l’honneur d’al-Azizi et de Suboh, la Tanière des Lions a fait sa première apparition officielle en tant que groupe dans la vieille ville, attirant des milliers de personnes. Un militant du groupe, vêtu d’une tenue militaire noire de la tête aux pieds, le visage recouvert d’une cagoule noire et coiffé d’un chapeau noir, se tenait sur la scène face à la foule. Flanqué de combattants aux armes levées de part et d’autre, il a lu la charte de la Tanière des Lions.
"Nous saluons ceux qui ont marché sur les traces d’al-Yasser et de Yassin et d’Abu Ali Mustafa et de Shikaki", a-t-il dit, en faisant respectivement référence au fondateur du Fatah et président défunt, Yasser Arafat, au fondateur du Hamas, Shaikh Ahmad Yassin, et à l’ancien secrétaire général du FPLP, Abu Ali Mustafa. "Nous sommes venus ici aujourd’hui, 40 jours après la mort des lions de la Tanière, et à la lumière de la révolution brûlante de notre peuple à Jérusalem, à Gaza, à Jeningrad [la stylisation de Jénine après Stalingrad par Arafat à l’époque de la seconde Intifada]... Nous sommes venus vous dire que l’étincelle a commencé dans la vieille ville [de Naplouse] lorsque notre leader Abu Ammar a formé les premières cellules de la révolution dans le quartier al-Yasmina [pendant la seconde Intifada]."
Le groupe a poursuivi en prêchant un message de résistance indépendante, libérée des chaînes des anciennes factions politiques. Ils ont juré de continuer à mener des opérations à travers la Cisjordanie en ciblant les positions de l’armée israélienne et les colons. Ils se sont adressés aux forces de sécurité de l’AP, qui ont une histoire épineuse avec les groupes armés dans la vieille ville de Naplouse, en soulignant que l’objectif du groupe était d’affronter l’occupation israélienne, et non l’AP.
Dans les semaines qui ont suivi, le groupe a annoncé qu’il avait mené des dizaines d’opérations visant l’armée israélienne et les positions des colons en Cisjordanie, principalement dans la région de Naplouse. Le 11 octobre, le repaire a revendiqué une opération de tir qui a fait un mort parmi les soldats israéliens près de la colonie illégale Shave Shomron dans le district de Naplouse.
Alors que le groupe intensifie ses opérations, la popularité de la tanière des Lions continue de grimper en flèche. En l’espace de deux mois, le groupe a accumulé des centaines de milliers d’adeptes sur des plateformes comme Telegram, et son canal officiel compte plus de 230 000 adeptes, soit plus que toute autre faction politique palestinienne. Sur TikTok, des montages de photos de combattants tombés au combat avec l’hymne de la tanière des Lions en fond sonore ont inondé les comptes des fans du groupe.
Alors que les réseaux sociaux peuvent souvent donner l’impression d’être déconnectés du monde réel, la popularité de la Tanière aux lions en ligne est encore plus tangible dans les rues qu’en ligne.
Dans les ruelles du quartier d’al-Yasmina, un jour seulement après le raid du 25 octobre qui a tué trois membres du groupe, dont le combattant principal Wadee al-Hawah, de jeunes Palestiniens venus de l’extérieur de la ville se pressent.
Certains jeunes demandent avec empressement aux commerçants où se trouve la maison du "héros martyr" Wadee al-Hawah. Un homme montre du doigt la façade en ruine d’une vieille maison en pierre située au deuxième étage. Les jeunes demandent s’ils peuvent monter dans la maison, mais ils sont arrêtés par un groupe de jeunes hommes stoïques qui bloquent la porte d’entrée. Ils sortent alors leurs téléphones et rejoignent la foule de passants qui prennent des photos de la maison où le leader de la Tanière aux lions a été tué.
Quelques pas plus loin dans la rue, une femme salue un mémorial pour le combattant Tamer al-Kilani, assassiné le 23 octobre à l’endroit même où des photos de lui reposent aujourd’hui, ornées de drapeaux palestiniens. Une autre jeune mère dit à son fils de se placer devant le mémorial pour prendre une photo.
"Salue-le, mon chéri", dit-elle, alors que le jeune garçon lève sa main droite sur son front.
De retour sur la route, devant l’ancien atelier de réparation de radios, Jamal Hamou, 57 ans, monte le son des haut-parleurs qui diffusent l’hymne de la Tanière aux lions. Lorsqu’on lui demande ce qu’il pense du groupe, il frappe son poing sur sa poitrine, au-dessus de son cœur, un large sourire s’affichant sur son visage.
"La Tanière des Lions, pour les habitants de la vieille ville et en dehors, représente tout pour nous", a-t-il déclaré. "Ce sont nos fils, nos frères, nos garçons. Ils ont fait quelque chose que tant d’autres avant eux ont essayé et échoué à faire. Ils représentent la fiabilité et l’honneur, et ils nous ont rendus fiers, que Dieu les protège, et bénisse ceux qui sont morts."
À l’angle de la boutique de Hamou, le célèbre magasin "Bonbons Al-Aqsa", connu dans toute la Palestine pour son knafeh de Naplouse, est criblé d’impacts de balles. Habituellement rempli à ras bord de clients affamés, le magasin est relativement vide. Personne n’est d’humeur à manger des sucreries, explique l’un des propriétaires à Mondoweiss.
"Je travaille ici depuis que j’ai cinq ans. J’ai vécu ici toute ma vie, j’étais ici pendant la première et la deuxième Intifada", a déclaré à Mondoweiss Basil al-Shantir, dont la famille possède la boutique. "Ce qui se passe en ce moment est différent. Pendant les Intifadas, il y avait beaucoup plus de destruction à plus grande échelle, mais ce qui se passe maintenant n’est pas insignifiant", a-t-il ajouté.
Israël menacé
À quelques kilomètres de la vieille ville, le lendemain du raid meurtrier sur la vieille ville, des milliers de Palestiniens se sont rassemblés devant le mémorial des "lunes de Naplouse", les cinq Palestiniens qui ont été tués.
C’est une scène typique devant le mémorial des martyrs, qui se tient pendant trois jours après qu’une personne soit tuée par l’occupation. Des affiches de Wadee al-Hawah, Mashaal Baghdadi, Hamdi Qaim, Ali Antar et Hamdi Sharaf bordaient l’entrée et les murs du centre communautaire local où se tenait la veillée. Les membres des familles des défunts étaient alignés à la porte, saluant les personnes venues leur rendre hommage.
Mais ce mémorial était différent sur un petit mais distinctif aspect. Il était largement dépourvu de tout symbole marquant l’affiliation politique des martyrs, une caractéristique typique des funérailles des martyrs palestiniens.
À l’intérieur, Mazen Dunbuk, 40 ans, porte-parole du mouvement Fatah dans la vieille ville de Naplouse, s’est assis pour le déjeuner, traditionnellement servi en l’honneur des martyrs.
"La cérémonie de funérailles des cinq martyrs a été l’une des plus importantes vues en Palestine depuis des années", a-t-il déclaré. "C’est un signe pour l’occupation [israélienne], et pour les dirigeants palestiniens, que le soutien du public à ces jeunes hommes est énorme", a déclaré Dunbuk à Mondoweiss.
Conscient de la réputation de son parti politique, qui fait partie de la majorité du gouvernement de l’AP, de plus en plus impopulaire, Dunbuk a déclaré sans détour : "Nous savons que les gens sont fatigués des différentes factions politiques, ils veulent une résistance unie. Rien ne le prouve mieux que la popularité de la Tanière des Lions", a-t-il déclaré.
"Les jeunes ont soif de résistance, de résistance armée, et d’un changement du statu quo de ces 20 dernières années", a-t-il ajouté. "Et c’est de cela qu’Israël a peur".
La menace que le groupe représente pour Israël était évidente dans l’accent mis par l’appareil militaire sur la destruction du groupe à tout prix. À la suite de l’opération du 11 octobre qui a tué un soldat israélien, l’armée a imposé un bouclage de plus de deux semaines de tout le district de Naplouse, affectant la vie de plus de 400 000 Palestiniens.
En l’espace de quelques jours seulement, au cours de la dernière semaine d’octobre, l’armée a mené plusieurs raids et opérations visant les membres de la Tanière des lions et leurs zones d’opération. Outre les assassinats ciblés de Tamer al-Kilani et Wadee al-Hawah, plusieurs membres du groupe ou des personnes qui leur sont affiliées ont été arrêtés, dont le frère d’Ibrahim al-Nabulsi.
Le retour de l’utilisation par Israël des assassinats ciblés contre les membres de la résistance a évoqué encore davantage de souvenirs de la première et de la deuxième Intifada, indiquant aux locaux que l’armée intensifiait ses opérations pour écraser le groupe.
Mais si l’armée a mis fin à la vie de plusieurs dirigeants et membres de haut rang de la Tanière des lions, elle n’a pas réussi jusqu’à présent à écraser l’influence que le groupe exerce sur les Palestiniens, principalement les jeunes, en Cisjordanie, qui sont inspirés par leurs messages de résistance indépendante, non affiliés aux partis politiques d’hier.
Et pour Israël, c’est là que réside l’aspect le plus dangereux du groupe.
En termes de victimes réelles, la Tanière des Lions elle-même n’a pas fait état d’un nombre significatif de morts ou de blessés parmi les colons ou les soldats israéliens. La plupart de ses opérations visant des positions israéliennes en Cisjordanie ont fait quelques blessés, mais pas toujours.
Pourtant, l’influence du groupe a inspiré un plus grand nombre d’opérations "solitaires" en Cisjordanie qui se sont avérées destructrices pour Israël. Dans les neuf jours qui ont suivi l’assaut militaire israélien sur Naplouse qui a tué al-Hawah, au moins six opérations ont été menées à travers la Cisjordanie par des Palestiniens individuels non affiliés officiellement à la Tanière des Lions ou à d’autres groupes armés.
Au cours de ces opérations, qui visaient à la fois des colons et des positions militaires israéliennes, plusieurs soldats ont été blessés, et un colon a même été tué. Et surtout, Udai al-Tamimi, un jeune homme du camp de réfugiés de Shu’fat, a tué un soldat israélien stationné au poste de contrôle militaire de Shu’fat tirant en rafale en passant devant avec sa voiture. Une chasse à l’homme massive s’en est suivie qui a duré dix jours et a assiégé tout le camp, avant que Tamimi lui-même ne sorte de sa cachette et n’attaque et blesse des gardes israéliens postés à l’extérieur de la colonie illégale de Ma’ale Adumim - très éloignée de l’endroit où se concentraient les efforts de la chasse à l’homme - avant d’être abattu par les gardes.
Indépendamment des opérations armées apparemment inspirées par le groupe, la Tanière des lions a renoncé au modèle traditionnel consistant à organiser des conférences de presse costumées ou à publier des déclarations publiques sélectionnées qui sont filtrées par les médias standard et transformées en extraits sonores. Il s’est plutôt créé un mode de communication avec la communauté palestinienne au sens large, en utilisant des plateformes publiques telles que Telegram pour s’adresser directement aux Palestiniens, en signant toujours "vos frères de la Tanière des lions."
Le 16 octobre, près d’une semaine après le bouclage de la ville de Naplouse par Israël, la Tanière des Lions a lancé un appel aux Palestiniens pour une nuit de perturbation, invitant les habitants de toute la Cisjordanie à crier sur leurs toits et à faire du bruit dans les rues en réponse aux informations diffusées par les médias israéliens sur les promesses de l’armée "tuer" le groupe armé "à la racine."
"À tous les citoyens, à nos pères, mères, frères et sœurs et enfants", peut-on lire dans la déclaration. "Sortez ce soir sur les toits à minuit et demi exactement. Laissez-nous entendre vos acclamations d’Allahu Akbar [Dieu est grand]. Nous voulons que le dernier son que nous entendrons soit celui de vos voix", écrit le groupe.
Et les Palestiniens ont répondu à l’appel : de Naplouse à Ramallah, en passant par Tulkarem, Hébron et Jérusalem.
Le 12 octobre, un jour avant que les dirigeants des factions palestiniennes rivales ne se réunissent à Alger pour des pourparlers de réconciliation et des promesses d’élections présidentielles et parlementaires - qui ne se sont pas concrétisées depuis plus de dix ans - la Tanière des Lions a appelé tous les Palestiniens à faire grève en solidarité avec le camp de réfugiés de Shu’fat, alors assiégé. Bien qu’aucune faction officielle, qui déclare habituellement les grèves, n’ait été impliquée, les Palestiniens de Jérusalem et de Cisjordanie ont remarquablement répondu à l’appel et ont observé une grève ce jour-là.
Le même jour, la Tanière des Lions a publié une déclaration, réaffirmant que le groupe n’appartenait à aucun parti politique et qu’il avait "tourné le dos à toutes les disputes et rivalités".
"Le fait qu’ils soient indépendants attire davantage de jeunes, et Israël sait que le danger du groupe réside dans leur indépendance politique" a déclaré Basel al-Shantir à Mondoweiss devant sa boutique de knafeh dans la vieille ville. "Parce que lorsque vous n’appartenez pas à un parti officiel, vous ne pouvez pas faire l’objet de pressions ou de chantage pour conclure de mauvais marchés et des accords édulcorés."
De retour au mémorial pour les cinq martyrs tués le 25, un jeune homme est assis solennellement dans le coin d’une pièce tranquille. Il se présente comme un membre de la Tanière des Lions.
"Wadee et les autres ont fait quelque chose, ils ont créé quelque chose que les factions politiques palestiniennes n’ont pas réussi à faire depuis des décennies", a déclaré le jeune homme, qui a requis l’anonymat, à Mondoweiss.
"Ils ont rassemblé les gens, pour créer une résistance unie, sans factions politiques", a poursuivi le jeune homme. "Des nations entières ont essayé de faire cela et ont échoué."
Lorsqu’on lui demande pourquoi lui et d’autres jeunes hommes ont été inspirés à prendre les armes, il répond : "Nous sommes sous occupation, et cette occupation nous tue tous les jours. Wadee et les autres se sont réveillés chaque jour en apprenant qu’il y avait plus de martyrs, plus d’attaques de colons, et plus de notre patrie volée."
"Lorsque nous nous battons, nous réclamons notre dignité, ce que notre propre gouvernement n’a pas réussi à faire depuis 30 ans."
Le rôle de l’AP
Dans la nuit du 26 octobre, peu après la fin de la première journée de commémoration des cinq martyrs de Naplouse, la nouvelle est tombée que quatre membres de la Tanière des Lions s’étaient rendus aux forces de sécurité de l’Autorité palestinienne (PASF).
L’un de ces hommes, Mahmoud al-Bana, commandant supérieur de la Tanière des Lions, qui a été blessé lors du raid de la veille, a écrit une déclaration sur Facebook, s’adressant au peuple palestinien au sujet de sa décision de se livrer à l’AP.
"Mes camarades sont devenus des martyrs devant moi et j’ai été blessé avec eux à plusieurs reprises, et mon martyr a été déclaré plus d’une fois", a écrit al-Bana. "Par la puissance et la bonté de Dieu, je suis en vie aujourd’hui".
"Aujourd’hui, après avoir consulté mes frères de lutte, moi-même et mes compagnons d’armes, il a été convenu avec nos frères des services de sécurité [palestiniens] de nous rendre afin de nous protéger de cet occupant brutal" a-t-il ajouté.
Alors qu’une controverse éclatait sur les réseaux sociaux palestiniens à propos de la décision des combattants de se rendre, la Tanière des Lions a publié une déclaration officielle, affirmant que "quiconque se rend, c’est sa décision et son choix."
Dans une autre déclaration, le lendemain, le groupe a affirmé que ceux qui pensaient que laTanière des lions se dissolvait "vivaient dans l’illusion".
Mais l’impact de la décision des combattants de se rendre à l’Autorité palestinienne ne peut être nié, car les rues et Internet bourdonnent de discussions sur l’avenir de la Tanière des lions. Le groupe survivrait-il à la prochaine attaque israélienne inévitable ? Ou y aurait-il encore une Tanière des lions pour combattre ce jour là ?
Une certitude reste claire : le gouvernement israélien n’était pas le seul à vouloir que la Tanière des lions disparaisse définitivement des rues et de la conscience publique palestinienne.
Fin septembre, alors que la Tanière des lions continuaient à gagner en popularité en Cisjordanie et à intensifier ses opérations, les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne ont effectué une descente dans la ville de Naplouse afin d’arrêter deux combattants de la Tanière des lions recherchés par Israël, Musaab Shtayyeh, 30 ans, et Ameed Tbeileh, 21 ans.
Un Palestinien, Firas Yaish, 55 ans, a été tué, tandis que plusieurs autres ont été blessés. Le raid a déclenché de violents affrontements et une réaction négative généralisée, les Palestiniens critiquant la coordination sécuritaire permanente de l’AP avec Israël et ce qu’ils considèrent comme les tentatives de leur propre gouvernement d’étouffer la résistance palestinienne à l’occupation israélienne.
"Pour nous, c’est le champ de bataille, et pour eux, la diplomatie", a déclaré un jeune combattant de 20 ans à Mondoweiss dans la soirée du 20 septembre, alors que les forces de l’AP affrontaient les jeunes de la ville, au lendemain de l’arrestation de Shtayyeh et Tbeileh.
Après le raid du 19 septembre et la réaction publique qui a suivi, l’AP est restée relativement silencieuse sur le sujet de la Tanière des Lions, optant plutôt pour une politique de neutralisation discrète, travaillant en coulisses pour offrir aux combattants de la Tanière des Lions une amnistie dans les rangs du PASF en échange du dépôt de leurs armes et de leur acceptation de purger leur peine dans les prisons de l’AP.
À l’instar des accords conclus avec les anciens combattants de la branche armée du Fatah après la deuxième Intifada, l’AP offrait à ces jeunes hommes la sécurité - la sécurité contre l’inévitable : l’emprisonnement, ou plus probablement la mort, aux mains des Israéliens. Et comme l’armée israélienne a intensifié ses attaques contre le groupe par des assassinats ciblés et des raids à grande échelle, la proposition de l’AP est devenue encore plus attrayante.
Le 31 octobre, une semaine après qu’al-Bana et trois autres personnes se soient rendues à l’AP, un autre combattant de haut rang de la Tanière des Lions, Mohammad Tabanja, aurait fait de même. Une source au sein de l’AP a déclaré à Mondoweiss qu’au moins une douzaine de membres de la Tanière des Lions s’étaient déjà rendus au PASF. Mondoweiss n’a pas pu confirmer ce chiffre de manière indépendante.
Trois jours plus tard, au cœur de la vieille ville, le Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh a tenu une conférence de presse, entouré de dizaines de journalistes et de diplomates étrangers - un spectacle que la vieille ville n’avait pas connu depuis des mois.
Les déclarations de Shtayyeh ont largement porté sur l’occupation continue du territoire palestinien par Israël, critiquant les politiques de "punition collective" imposées au peuple palestinien. Si Shtayyeh n’a fait aucune mention de la Tanière des Lions ou de la résistance armée, un deuxième message ressort clairement de son apparition dans la vieille ville : l’AP a rétabli l’"ordre" et le contrôle de la ville, du moins en apparence.
L’avenir de la Tanière des lions est en jeu, tout comme la trajectoire de la mobilisation palestinienne actuelle. Le moment présent est défini en grande partie par ces groupes et l’influence qu’ils exercent, en inspirant d’autres personnes à prendre les armes contre l’occupation. Il ne fait donc aucun doute que l’avenir du groupe aura une incidence sur l’issue de la période actuelle, et que la vague de résistance armée à laquelle nous assistons continuera à se développer, ou s’atténuera lentement et s’estompera dans le lointain.
Le 1er novembre, le jour même où le gouvernement le plus à droite et le plus extrémiste de l’histoire d’Israël a été élu au pouvoir, la Tanière des lions a publié sa déclaration la plus récente.
"Le plus important, pour vous et pour tous ceux qui croient que notre feu s’est apaisé, est : un volcan se prépare.
Pour ceux qui appellent à la paix, regardez leurs élections et vous verrez leurs choix.
Quant aux résistants de la Tanière des lions, ou des factions acceptées, ou les loups solitaires - frappez-les partout. Quelle est cette vie en paix avec ceux qui abusent de notre sang et de celui de nos enfants, de nos hommes et de nos sœurs ?
Vos frères, la Tanière des Lions."
Traduction : AFPS
Photo : le 25 octobre lors des funérailles de 5 martyrs palestiniens à Naplouse. Credit : activestills
