Le bulldozer colonial israélien ne s’arrête jamais. Il commence maintenant à détruire les maisons de plus d’un millier de Palestiniens vivant dans douze villages de la région de Masafer Yatta, dans les collines du sud d’Hébron. Le récit israélien tend à présenter la situation comme un conflit juridique entre l’État et des résidents. Cette bataille a commencé en 1980 quand Israël a décidé de transférer cette zone en terrain d’entraînement de l’armée. En mai 2022, la Cour suprême s’est finalement prononcée sur l’affaire et a autorisé l’État à expulser les Palestiniens.
Même si la délibération au sein du tribunal israélien n’est pas le cœur du sujet, il est intéressant d’examiner les principaux motifs qui sous-tendent sa décision. Les juges ont confirmé que l’ordre militaire prévaut, et donc que l’armée a le pouvoir de déclarer des zones fermées à des fins d’entraînement militaire. À noter que cette décision est en contradiction avec la quatrième Convention de Genève, qui interdit la déportation d’une population des territoires occupés. Cette déclaration scandaleuse crée donc un dangereux précédent. En effet, les ordres du commandant militaire ne peuvent contredire le droit international ou prévaloir sur lui, car son autorité découle du droit international. En 1967, le procureur en chef de l’armée israélienne avait déclaré qu’on ne pouvait évacuer la population civile des territoires occupés pour créer des zones d’entraînement, tant pour des raisons politiques et humanitaires que pour des raisons liées aux dispositions du droit international. L’article 49 de la Convention sur la protection des civils en cas de guerre, qu’Israël a ratifiée, interdit expressément le transfert forcé de civils dans les territoires occupés, sauf dans les cas où les nécessités du combat l’exigent. Le tribunal a également validé que les Palestiniens n’étaient pas des « résidents permanents ». Ce faisant, il a ignoré une multitude de preuves, y compris des études d’anthropologues israéliens qui montrent qu’ils vivaient là au moins un siècle avant la fondation de l’État d’Israël.
En fait, la justice israélienne est un appui essentiel qui complète l’entreprise coloniale en lui donnant une apparence légale. Un protocole d’un comité gouvernemental sur les questions de la colonisation de 1981 révèle que le ministre de l’Agriculture de l’époque, Ariel Sharon, a initié la transformation de la zone en un terrain d’incendie afin d’empêcher « la propagation des Arabes des montagnes rurales vers le désert ». Le projet d’origine était donc d’expulser les Palestiniens. La création de la zone d’entraînement n’est que le moyen de cette politique. Cette pratique, consistant à déporter des Palestiniens pour établir des camps militaires, n’est pas nouvelle. Depuis des années dans le nord de la vallée du Jourdain, l’armée expulse des Palestiniens pour permettre un entraînement militaire. Cette pratique coloniale a déjà commencé pendant la Nakba. L’église du village de Ma’alul, dont les habitants ont été chassés en 1948, mais dont beaucoup sont restés citoyens en Israël, est située à l’intérieur d’un camp militaire fermé, et l’accès n’y est accordé qu’une fois par an.
Le déplacement des Palestiniens est au coeur de l’entreprise coloniale sioniste, qui utilise divers moyens. La bataille juridique n’est qu’un masque israélien qui permet de donner l’illusion d’un processus équitable. Parallèlement à l’attribution de territoires à l’armée, l’établissement de localités pour les Juifs et la plantation de forêts par le KKL-JNF [1], ont servi de moyens pour expulser les Palestiniens et mettre la main sur leurs maisons depuis la création de l’État.
La lecture de la carte de De-Colonizer [2] montre les différentes séquences de destruction des localités sur le territoire de la Palestine historique, depuis la fin du XIXe siècle, au début de l’immigration sioniste. Une catégorie est réservée aux localités qui seront détruites à l’avenir, y compris les villages de Masafer Yatta. Lorsque nous avons produit cette carte en 2017, certains ont demandé comment nous savions quels villages seraient détruits à l’avenir. La réponse est simple : les plans de destruction ultérieure étaient visibles pour tous. La destruction future des localités palestiniennes ne peut être évitée que par une pression internationale efficace sur Israël par la campagne BDS et d’autres mesures.
En ce sens, la question se pose de savoir si une lutte de l’intérieur, dans le cadre du système judiciaire israélien, n’est pas plus nuisible qu’utile. Parce que tous ces avocats et organisations sociales malgré de nobles intentions, font partie intégrante du régime israélien qui souhaite se présenter comme démocratique et juste, alors qu’il s’agit surtout d’une entreprise coloniale dont les tribunaux constituent un rouage fondamental.