Au mépris des frontières, des lois et de leur propre projet d’occuper la terre, les Israéliens utilisent la Palestine comme leur poubelle.
Que ce soit avec l’installation d’usines de traitement ou de recyclage des déchets – dont les plus dangereux –, construites en bordure de la ligne verte comme sur des terres occupées, ou par les eaux usées des colonies déversées sur les terres palestiniennes, qui polluent les sols et les aquifères. Que ce soit par les politiques officielles ou officieuses (laissées au gré des colons) de déforestation, d’arrachage des arbres fruitiers, de plantation d’arbres exogènes, ou d’obstruction des sources… Les choix de gestion du territoire annexé et colonisé par Israël ont un impact écologique certain sur la biodiversité et la modification de l’écosystème de la Palestine.
Cela ne serait pas possible si depuis 1967 l’économie palestinienne n’était subordonnée aux intérêts israéliens. Il s’agit d’une relation à sens unique où la Cisjordanie est un marché libre pour la production israélienne et où le développement de tout secteur productif palestinien est limité par les accords économiques que l’Autorité palestinienne (AP) a signés avec Israël. « Le territoire palestinien occupé (TPO) a été transformé en un marché captif et son économie en une économie satellite, pourvoyeuse de main-d’œuvre bon marché et spécialisée dans les services et les industries à faible valeur ajoutée ainsi que dans la sous-traitance ». [2] Les conséquences en sont le dé-développement économique : désindustrialisation, sous-investissement dans les infrastructures, concentration et déséquilibre des échanges avec Israël, incapacité chronique à créer des emplois. Toutefois, par le tour de passe-passe des accords, faisant passer la domination pour de la coopération, Israël ne se présente plus comme colonisateur, mais comme partie à un contrat avec l’AP.
Dans un document de septembre 2022, la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’Homme dans le TPO, Francesca Albanese note : « La façon dont Israël administre le territoire palestinien occupé est typique des pratiques coloniales, à savoir qu’il cherche à tout prix à exploiter les terres et les ressources pour son propre bénéfice et ne manifeste, dans le meilleur des cas, qu’une profonde indifférence pour les droits et les intérêts du peuple protégé ».
Pour les peuples qui résistent au colonialisme, le contrôle de la terre est un des aspects essentiels. Ainsi, les paysan·nes palestinien·nes sont en première ligne de la résistance et continuent de s’opposer à l’avancée des colons, bras armé de l’État colonial, qui cherchent à s’approprier les terres et les ressources afin d’accroître la dépendance des Palestinien·nes à l’économie israélienne. Près de 10 % de la main-d’œuvre en Cisjordanie dépend du travail dans les colonies illégales et, plus largement, de l’économie coloniale.
Aujourd’hui, l’AP consacre moins de 1 % de son budget à l’agriculture. Alors que les coopératives agricoles sont pourtant au cœur de l’économie de la résistance palestinienne, dont les dimensions politiques et sociales ne doivent pas être oubliées.
Aujourd’hui, la plupart des agriculteur·trices palestinien·nes ont du mal à accéder à leurs terres et ne disposent pas des ressources pour les mettre en valeur, ce qui explique leur abandon progressif. La part de l’agriculture dans le PIB est passée de 53 % en 1967 à moins de 7 % en 2021. Elle est devenue une activité secondaire. À peine 26 % des agriculteur·trices palestinien·nes déclarent que c’est leur principale source de revenus. Et les terres agricoles ont été progressivement fragmentées et réduites.
Cette situation est exacerbée par la domination des fruits et légumes israéliens sur le marché palestinien. Le contrôle israélien sur la terre, l’eau, les ressources et les transports signifie que les Palestinien·nes ne peuvent espérer concurrencer les produits israéliens en termes de prix.
Et un glissement s’opère, auquel s’ajoute le chômage, les restrictions imposées par les colons et les modifications de l’urbanisme et des paysages, faisant souvent du travail dans les colonies l’une des seules options pour les Palestinien·nes afin de nourrir leurs familles.
De plus, tout l’import-export dépend du régime israélien. Et il faut aussi tenir compte de la rétention périodique des recettes douanières. Tandis que la multiplicité des obstacles et les restrictions de circulation coûtent à l’économie palestinienne environ 274 millions de dollars et 60 millions d’heures de travail par an.
Ainsi, mi-juillet, Israël a pu transférer 260 millions de dollars, l’équivalent des droits de douane palestiniens qu’Israël a perçus au nom de l’AP pour les mois d’avril, mai et juin, montant qui comprenait déjà une déduction importante. [3]
La souveraineté alimentaire ne pourra donc être atteinte sans l’aide d’un mouvement sociopolitique plus large qui encourage les Palestinien·nes à soutenir leurs paysan·nes, même lorsque le prix est relativement plus élevé, écrit Fathi Nimer à Al-Shabaka.
On le sait, tout est mis en œuvre pour rendre la vie des Palestinien·nes intenable et ainsi accélérer le nettoyage ethnique.
Mireille Sève
Photo : Usine reconstruite coté israélien le long du mur d’apartheid au niveau d’Herta, gouvernorat de Tulkarem. Photo prise coté Palestinien © MS