En Palestine, les oliviers et le thym, parmi les plantes cultivées et sauvages, jouent un rôle fondamental dans le réseau complexe des systèmes de vie. Leur symbolisme est illustré par l’éternel dicton palestinien : « Nous resterons aussi longtemps qu’il restera du thym et des olives ». Ce proverbe souligne l’union des Palestiniens avec la terre et ses écosystèmes, dans la vie et dans la résistance.
L’arrachage systématique de millions d’oliviers et le remplacement de la flore indigène par des espèces étrangères est un processus qui a commencé dès le début de l’occupation et qui se poursuit encore aujourd’hui. Ce qui ajoute à la détresse, c’est la replantation dans des colonies illégales d’oliviers anciens volés pour créer l’illusion d’une présence de longue date.
L’occupation modifie délibérément le paysage naturel en annexant de vastes zones sous couvert de « réserves naturelles », en isolant les Palestiniens dans des bantoustans, mais aussi en les coupant de la flore indigène qui leur fournissait nourriture, médicaments et fourrage – un don qui ornait les tables palestiniennes et allégeait les souffrances de 100 ans d’occupation, de sanctions et de destruction de leurs moyens de subsistance.
Cette situation a été particulièrement évidente lors du dernier printemps à Gaza, où malgré le régime de mort imposé par le colonisateur, des plantes comme la mauve commune saisonnière (khobiza) ont émergé des décombres, permettant la survie, quoique de façon temporaire.
Mais l’occupation a interdit aux Palestiniens de récolter le thym sauvage depuis 1976 et depuis 2005, le Gundelia (akub), une plante locale utilisée depuis des siècles. En 1948, la suppression totale de 530 villages n’a pas permis d’éradiquer le cactus sauvage, qui témoigne des crimes de l’occupant. Tout comme le cactus n’a jamais perdu espoir, les Palestiniens ont multiplié leurs efforts pour sauvegarder leurs semences en les collectant, en les cultivant et en les échangeant entre communautés.
À Gaza, la nourriture a été utilisée comme arme bien avant le 7 octobre 2023. Dès 2007, Israël a imposé un blocus sur les denrées alimentaires, en fixant le nombre de calories minimum pour que les Palestiniens « ne meurent pas de faim » et, comme l’a déclaré un responsable israélien, afin de « maintenir l’économie de Gaza au bord de l’effondrement ». Au cours des 15 guerres brutales menées par Israël contre Gaza depuis 1947, les ressources alimentaires des populations ont été systématiquement dévastées. Aujourd’hui, l’objectif n’est pas que les Palestiniens souffrent de la faim, mais qu’ils en meurent.
Les crimes écocidaires commis à Gaza sont désormais sans précédent. Plus de 60 % du secteur agricole a été délibérément anéanti. L’utilisation d’armes conventionnelles et chimiques a détruit tous les éléments de l’environnement, de la pollution de l’eau et du sol à l’air toxique. Les usines de traitement de l’eau et l’approvisionnement en énergie solaire ont été parmi les premières à être détruites. Les animaux domestiques sont devenus des cibles pour snipers. Les émissions de gaz à effet de serre générées au cours des deux premiers mois de l’invasion de Gaza ont été supérieures à l’empreinte carbone annuelle de plus de 20 des pays du monde les plus pollués.
Selon l’IPC (Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire), 95 % des habitants de Gaza sont en situation de crise alimentaire et 30 % sont au stade 5, défini comme famine ou catastrophe. Cette guerre provoque la famine la plus intense depuis la seconde guerre mondiale. 90 % des enfants et 95 % des femmes enceintes et allaitantes souffrent d’une grave carence alimentaire. Les Palestiniens en sont réduits à manger des feuilles d’arbre, de l’herbe, du fourrage, parfois mélangé à la terre. Les femmes ne peuvent pas allaiter en raison de la malnutrition, et les bébés les plus chanceux sont nourris au lait maternisé avec de l’eau contaminée par les eaux usées, les toxines ou l’eau de mer.
En Cisjordanie, l’armée israélienne et les colons armés intensifient leurs attaques, en tuant et en terrorisant les fermiers, en brûlant vergers, récoltes et bétail, tandis que les colonies s’approprient les terres et les ressources en eau et déversent des déchets dangereux illégaux. La récolte d’olives vient de subir une perte de plus de 22 millions de dollars.
Toutes les ressources en eau sont sous le contrôle de l’occupant, qui vole plus de 80 % des eaux souterraines, interdit la construction de puits et détruit les réservoirs de collecte d’eau. L’ironie, c’est que tout en volant l’eau du Jourdain, il oblige la Jordanie et la Palestine à acheter l’eau qu’il leur a volée à des prix exorbitants.
Malgré le silence prolongé et l’impunité, il est réconfortant de constater la prise de conscience des peuples du monde, y compris Français, leur courage pour dénoncer et combattre les crimes de génocide, d’écocide et d’épuration ethnique de l’occupant.
Le cœur de la tragédie palestinienne est la colonisation de peuplement. À la chute de l’empire Ottoman, plusieurs pays européens se sont ligués pour prendre le contrôle du Moyen-Orient ; introduisant des armes pour les colons, accordant des milliers de passeports. Ils ont facilité la marchandisation de la terre, imposant aux agriculteurs arabes des prêts, puis saisissant leurs terres lorsqu’ils ne remboursaient pas.
En 1843, 105 ans avant la Nakba, la France a établi un consulat à Jérusalem. En 1870, Mikveh Israël, un milliardaire français, a parrainé la construction de 14 colonies et la première école agricole de colons. À cette époque, les Palestiniens figuraient parmi les leaders du marché mondial du coton et de l’orange, la terre était donc cultivée.
Comme tous les Palestiniens, nous, au groupe arabe pour la protection de la nature (APN), refusons de céder à l’injustice. Nous avons lancé en 2000 ce mouvement de résistance verte sous le slogan « Ils en déracinent un, nous en plantons dix ». Cette année marquera notre troisième million d’arbres plantés dans toute la Palestine. Rien qu’à Gaza, nous avons planté un demi-million d’arbres, et après chaque guerre, nous avons mis en œuvre des projets visant à réhabiliter le secteur agricole.
En 2023, pour la Journée de la Terre, nous avons lancé notre dernier projet intitulé « Revive Gaza Farmland » (Faire revivre les terres agricoles de Gaza). Nous voulons réhabiliter les fermes maraîchères et les serres, planter des arbres fruitiers, fournir des systèmes d’irrigation, construire des réservoirs de collecte d’eau, relancer les projets d’apiculture et d’aviculture, soutenir la pêche artisanale. Nous avons déjà commencé à planter et à fournir des semences et des réseaux d’irrigation à 100 agriculteurs, pour contrer les effets du blocus et de la famine.
Au cours de ces 22 dernières années, nous avons poursuivi nos efforts pour dénoncer dans les plateformes intergouvernementales, les violations écocidaires pendant le conflit et l’occupation. Ces efforts ont abouti à l’élaboration de lignes directrices et de résolutions portant sur le concept d’armes alimentaires et environnementales, qui étaient alors considérées comme des tabous politiques.
Quelques recommandations :
- Obtenir la reconnaissance juridique de l’écocide (ex. par la Cour pénale Internationale) en tant que crime, et que ses auteurs soient passibles de poursuites.
- Obliger Israël à se conformer aux lois internationales en prêtant attention à ses obligations extraterritoriales. Nous sommes fiers, à APN, d’avoir initié et fait adopter la résolution 3045 de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) qui vise à préserver l’environnement en Asie de l’Ouest dans le contexte des conflits. Cette résolution a joué un rôle déterminant au sein de l’assemblée des Nations unies, en exigeant qu’Israël verse au Liban 856 millions de dollars en guise de compensation pour la marée noire qu’il a provoquée en 2006.
- Soutenir les Palestiniens en vue d’atteindre la souveraineté alimentaire.
- Mettre fin à l’implication grave des institutions françaises dans les violations de l’environnement et des droits humains et dans l’expansion des colonies en Palestine, notamment dans les secteurs de la finance, de la construction et de l’assurance ainsi que de l’industrie de l’armement.
- Déconstruire le narratif israélien auprès des institutions, des médias et institutionnaliser des structures de dialogue, de véritable solidarité entre les peuples.
- Être conscients de la manipulation : il ne s’agit pas d’un conflit ou d’un différend, mais d’un colonialisme de peuplement et d’occupation ; il ne s’agit pas d’une guerre ou d’une crise, mais d’un génocide ; il ne s’agit pas d’un risque imminent de famine, c’est une famine.
Pour terminer, après ces onze derniers mois, nous sommes tous confrontés à deux options : faire partie du projet colonial de peuplement, ou lui résister. Nous sommes heureux et honorés de faire partie de ceux qui ont choisi de résister. Les graines noires de la pastèque germent partout dans le monde.
Razan Zuayter,
Présidente du groupe arabe pour la protection de la nature, et cofondatrice de l’ANFS (Arab Network for Food Sovereignty)
Acteurs du Groupe arabe pour la protection de la nature (APN), de résistance verte