Dix octobre 1999, aéroport international
Ben Gourion de Tel
Aviv. Une femme descend de
la passerelle d’un avion. Elle épingle
un badge sur son vêtement : « Je suis rentrée
à la Maison ». Susan Nathan, Sudafricaine
de 56 ans, psychothérapeute
de profession, commence une nouvelle
vie. L’Agence juive a payé son billet
d’avion et lui a fourni un logement ;
elle est juive, ce qui lui donne le droit
de s’installer en Israël. « Quand j’y débarquai
en 1999 pour réclamer la nationalité
israélienne, j’avais la tête encore
pleine d’idées romantiques sur le sionisme
et l’État juif. Les Juifs avaient fait valoir
leurs droits sur une terre vide et désolée,
une terre sans peuple pour un peuple
sans terre (...) Un million d’Arabes - des
Palestiniens restés sur leurs terres après
la guerre de 1948 (...) partageaient
l‘État avec les Juifs, et ils étaient aussi
invisibles pour moi qu’ils le sont pour
presque tous les Juifs israéliens (...). »
« La même odeur
d’oppression que dans les
townships »
Lors d’une hospitalisation, elle découvre
que l’Etat d’Israël « n’est pas aussi ethniquement
pur qu’on [l’] avait incitée à
le croire ». Elle est troublée par la visite
d’un colon armé dans l’hôpital, en toute
liberté. Puis ses activités bénévoles
l’amènent à Tamra, ville arabe israélienne
de 25 000 habitants, dans le nordouest
du pays. « Quelques minutes avant
que [sa] voiture n’entre dans Tamra
[elle] sentit qu’[elle] avait pénétré dans
un autre Israël. » Tamra surpeuplée,
pauvre, opprimée : « Je reconnus les
formes de discrimination d’après l’expérience
que j’avais eue de l’apartheid en
Afrique du Sud (...) Je sentis à Tamra
la même odeur d’oppression que dans
les townships noires (...) alors je me
suis attelée à la longue et difficile tâche
de m’informer. »
Dans la maison des autres
Susan Nathan s’installe à Tamra. Si la
famille à laquelle elle loue un appartement
devient sa famille, elle-même
devient objet de suspicion et de rejet de
la part de ses amis israéliens juifs. Ainsi
peu à peu va-t-elle effectuer une douloureuse
prise de conscience, qu’elle
nous invite à partager : Israël, son Etat
d’adoption, pratique un racisme qui n’a
rien à envier au régime d’apartheid sudafricain
qu’elle connaît bien, et la plupart
de ses concitoyens -y compris de
gauche, qu’elle étrille au passage- sont
incapables d’avoir un regard lucide sur
leur société. Comme on dévide une
pelote, elle va peu à peu faire émerger
à ses propres yeux - et aux nôtres- cette
véritable nature de l’Etat israélien.
Au fil des rencontres et des liens qu’elle
noue, des situations qu’elle observe, la
réalité s’impose, allant jusqu’à mettre
en cause le fondement même de « l’Etat
juif ». Elle conclut : « J’espère que
d’autres prendront le même chemin que
moi parce qu’il ne peut y avoir de paix
véritable, de réconciliation avec les
Palestiniens, que si les Israéliens et les
Juifs reconnaissent que ce n’était pas
leur terre et qu’ils vivent (...) dans la maison
de quelqu’un d’autre. »
Arabes palestiniens ou
Palestiniens d’Israël
Dans cet ouvrage, Susan Nathan décrit
une réalité peu connue, voire délibérément
ignorée : un cinquième de la population
israélienne vit spoliée, méprisée,
discriminée, dépouillée de ses droits élémentaires.
Tout ce qui fait qu’Israël
n’est une démocratie que pour une partie
de sa population, c’est-à-dire, en réalité,
une ethnocratie. La population palestinienne
d’Israël, suspectée d’accointance
avec « l’ennemi », est perçue comme
un danger politique, démographique et
ethnique. Elle est donc traitée comme un
ennemi de l’intérieur. Ceux que les
Israéliens préfèrent nommer « Arabes
israéliens » se voient refuser le droit à
vivre dignement sur cette terre qui est
la leur. Pourquoi un tel regard ? Que
ces Palestiniens d’Israël se définissent
comme tels serait-il si dérangeant ? Le
Dr Manna rencontré par l’auteure répond
pour sa part qu’être nommés ou se qualifier
d’« Arabes israéliens » gomme
toute référence à l’histoire du pays,
comme dans un oubli des racines, celles
d’avant 1948. Et de mettre en lumière
une contradiction pleine de sens ( p.133) :
« Et si Juifs et Arabes sont persuadés
que l’histoire du pays ne commence
qu’en 1948, les Arabes israéliens ne
sont que des invités qu’on peut soit intégrer
dans le projet sioniste, soit expulser.
Mais en même temps, en une sorte
de contradiction, la majorité des Juifs
pensent que les Arabes ne doivent pas
se considérer comme des Israéliens à
part entière mais comme des citoyens
de seconde classe, sans identité ni égalité
(...). Vous avez essayé de nous faire
oublier que nous sommes Palestiniens,
mais au bout d’un moment nous avons
découvert notre identité, en particulier
parce qu’Israël ne nous en accorde pas
d’autre. »