Gaza - Jeudi, une série de frappes aériennes israéliennes a complètement détruite la Fondation Al-Meshal dans la Bande de Gaza. Etant l’un des rares espaces culturels restant pour les palestiniens dans l’enclave assiégée, cette destruction est dévastatrice.
Le bâtiment de cinq étages contenait un théâtre, une bibliothèque, les bureaux d’associations culturelles et hébergeait un bureau pour la communauté égyptienne de Gaza.
« Savez-vous ce que cela fait d’avoir travaillé dans un lieu pendant plus de huit ans, à tel point que vous en connaissez chaque carreau aussi bien que le revers de votre main et, soudainement, en un clin d’oeil, tout a disparut ? », a demandé Edrees Taleb, 27 ans, l’un des directeurs bien connu du théâtre du centre.
« Ces deux derniers mois, nous préparions une nouvelle pièce "Seringue Anesthésique" qui devait être jouée durant la célébration de l’Eid al-Adha et nous avions installé les décors quelques heures avant que le bâtiment ne soit ciblé », a-t-il dit.
Taleb ne pouvait croire que le bâtiment ait été rasé jusqu’à ce qu’il s’y rende pour le voir par lui-même.
« Nous avons passé toute la journée de jeudi à préparer la répétition de samedi. Le décor nous avait coûté cher, mais nous espérions le rentabiliser », a-t-il expliqué.
« Nous avons fini les préparatifs vers 15h30 et je suis rentré chez moi me reposer. Quand je suis revenu vers 18h00, le bâtiment avait disparu. Je suis choqué et étouffé. »
Taleb, qui travaille au centre depuis qu’il a 18 ans, a précisé qu’il ne pouvait pas comprendre ce qui avait poussé les forces israéliennes à cibler un bâtiment qui n’a « rien à voir avec les factions politiques palestiniennes ».
« Israël dit que ses forces ont visé cet immeuble parce que le Hamas en utilisait une partie. Mais je vais là-bas depuis plus de huit ans et il n’y a jamais rien eu en lien avec aucun parti politique. Ni dans le passé, ni récemment. »
Alaa Qudain, 18 ans, connue pour être la plus jeune photographe de Gaza, a dit qu’elle attendait avec impatience la fête de l’Eid pour voir la pièce, une comédie sombre qui aborde la situation politique et économique à Gaza.
« J’allais régulièrement au centre al-Meshal parce que je m’intéresse à l’art et au théâtre, d’autant qu’il n’y a pas de vrai cinéma à Gaza », a-t-elle expliqué.
« Au lieu de regarder des films sur internet, j’ai toujours aimé y aller et regarder des gens de mon âge jouer et simuler notre réalité à Gaza. »
« Ce n’est pas le seul lieu culturel qu’Israël a ciblé. Plusieurs autres lieux ont été détruits auparavant et cela reflète l’intention d’Israël de cibler la culture palestinienne », selon Qudain.

Avichay Adraee, porte-parole de l’armée israélienne pour les médias arabes, a écrit dans un message twitter peu après que le bâtiment ai été ciblé : « Des avions de guerre ont ciblé un immeuble de cinq étages utilisés par les forces de sécurité intérieure… Cette unité est la branche opérationnelle de la direction politique du Hamas, responsable de la gestion de toutes les activités de sécurité intérieure dans la bande de Gaza. »
Selon, Hanin al-Holy, 23 ans, l’immeuble a été ciblé parce qu’il offrait une source positive pour le moral aux résidents de Gaza qui ont enduré plus de dix ans de blocus par Israël.
« Ils [les forces israéliennes] ont ciblé l’immeuble uniquement parce qu’ils insistent pour détruire tout ce qui apporte de la vie à la population de Gaza », a expliqué Holy, 23 ans, à Middle East Eye.
« Le centre Al-Meshal était un symbole de culture, quelque chose qui renforçait notre identité palestinienne. Ils l’on visé parce que l’art est, aussi, une forme de résistance. »
Une fois, Holy a écrit et récité un poème dédié aux prisonniers palestiniens intitulé Mon dernier message sur la scène d’Al-Meshal. Elle pense que le poème reflète la réalité à laquelle font face les jeunes Palestiniens actuellement. « Chaque fois que je veux écrire à propos de notre bonheur, mon stylo refuse. Je deviens impuissante » écrit-elle dans le poème.
Holy a ajouté que les forces israéliennes ont détruit un lieu qui lui a offert « l’un des moments les plus précieux » de sa vie.
« J’adore être sur scène. Je ne pourrai jamais oublier ce que j‘ai ressenti la première fois que j’ai récité mon poème et joué devant un public » se souvient-elle. « Leurs yeux, la façon dont ils ont été gagnés par l’émotion en écoutant mon poème sans faire de bruit, et le moment où ils se sont tous levés en applaudissant quand j’ai terminé. Ce sont des souvenirs pour la vie. »
L’identité palestinienne
Le ministre palestinien de la Culture à Gaza a tenu une conférence de presse sur les ruines de l’immeuble vendredi matin pour condamner le fait qu’Israël ai ciblé le centre culturel. Des dizaines de jeunes hommes et femmes et d’enfants se sont aussi rassemblés pour protester contre l’attaque israélienne.
Parmi les manifestants se trouvaient des membres du groupe musical al-Anqaa (the Phoenix) composé au total de 110 membres, qui ont perdu leur quartier général, leur équipement et leurs tenues durant l’attaque de l’immeuble.
« Le message d’Israël est clair. Détruire un bâtiment culturel d’une telle importance à Gaza ne peut avoir qu’une signification ; que sa guerre n’est pas seulement contre les factions armées et les Palestiniens, mais aussi contre quoi que ce soit qui a à voir avec l’identité palestinienne », a dit Eid Musabbeh, 28 ans, manager du groupe.
Mussabeh a expliqué qu’en dépit du désespoir et du choc qu’ils ressentent en voyant tout ce qu’ils ont construit durant les 13 dernières années détruit, ils « n’arrêteront pas. »
« Notre groupe a été nommé en référence à l’oiseau imaginaire qui s’élève au-dessus des ruines. Nous ferons de même », a-t-il ajouté. « Nous ne pouvons pas abandonner maintenant que notre art est devenu un outil de résistance. »
Pour des dizaines d’associations et de centres qui travaillent particulièrement sur le renforcement de la culture palestinienne, l’immeuble d’Al-Meshal était le seul incubateur dans l’enclave côtière.
Des voix volées
Alaa al-Gherbawi, 26 ans, qui travaille comme coordinateur des activités du Palais de la Culture Palestinienne, dont les bureaux se situaient au quatrième étage du bâtiment Al-Meshal, a expliqué que le centre n’était pas seulement un immeuble mais un « monument culturel ».
« Notre association travaille au soutien des enfants palestiniens à travers l’art et la culture. Toutes les autres équipes et bureaux qui travaillaient dans le même immeuble ne faisaient qu’offrir ce genre de services » a-t-elle dit à MEE.
« En détruisant ce bâtiment, tout a disparu, y compris nos bureaux et les costumes des enfants pour la Dabke (danse folklorique palestinienne) », a-t-elle ajouté. « Mais ce n’est pas la fin. Nous trouverons un autre bureau pour continuer à former les enfants et faire des spectacles, même sur les ruines du bâtiment détruit. »
Marah Bseisso, chanteuse de 15 ans et membre du Palais de la Culture Palestinienne, a raconté que la destruction de son lieu favori à Gaza « m’a brisé le coeur. »
« J’avais l’habitude de chanter des chansons pour la Palestine, pour la paix et l’enfance, et ce lieu me fournissait une plateforme pour faire entendre ma voix », a-t-elle ajouté.
« C’est comme s’ils avaient volé nos voix. »
Traduction par J. V. pour l’AFPS
Photo 1 : Al-Anqaa, le groupe palestinien, joue sur les ruines du centre culturel (MEE/Mohammed Asad)
Photo 2 : Marah Bseisso, 15, Palestinian singer (MEE / Mohammed Asad)