Considérons un plat très connu et traditionnel du Moyen-Orient. -Un met « arabe », revendiqué par les Libanais, les Jordaniens, les Égyptiens, les Syriens, les Grecs, ou les Turcs… et les Palestiniens ! Puisqu’il ne s’arrête bien évidemment pas aux frontières : le houmous.
Derrière ce qui n’est en apparence qu’une purée de pois chiches, se cache une histoire symptomatique de résistances culturelles et politiques. En effet, lors de sondages de rue, le houmous paraît être associé le plus souvent à Israël.
Pourquoi ?
L’historien Ilan Pappé, dans son ouvrage Le Nettoyage ethnique de la Palestine, désigne l’effacement de la mémoire collective arabe, fondée en partie sur la gastronomie, comme un « mémoricide ». Dès lors, les gouvernements et la société civile palestinienne concourent à préserver un héritage culinaire contre ce « mémoricide ». Il s’agit de faire face au colonialisme sioniste qui a israélisé une spécialité du patrimoine culinaire ottomano-arabe pluriconfessionnel.
Les Israéliens sont parmi les plus grands consommateurs de ce plat. Mais surtout Israël maîtrise les circuits commerciaux, et l’exporte abondamment. Dans le contexte de l’occupation, il contrôle les limites du territoire palestinien et en partie son économie. De plus Israël accompagne l’exportation à l’international de ce produit d’un narratif qui fait du houmous un plat national « marketé » israélien. Cette publicité est également reprise par certaines plateformes, ou orchestrée dans des émissions culinaires, dont certaines directement parrainées par l’Office du tourisme israélien.
« Si un plat culturellement d’origine arabe est présenté comme un plat israélien, il s’agit clairement d’une appropriation culturelle et culinaire » selon la chercheuse israélienne Dafna Hirsch qui a écrit « le houmous est meilleur frais et fait par les Arabes »
Pour le chef palestinien Ibrahim Burnat, non seulement l’occupant vole des terres, assassine ou emprisonne des hommes et des femmes, mais il vole le patrimoine et la culture palestinienne. Il détourne la nourriture, le repas palestinien, qui fait partie du patrimoine.
L’enjeu politique derrière le combat culinaire
La colonisation n’est pas que territoriale, et la cuisine est une part de la résistance et de la lutte. Une résistance douce, esthétique mais ferme, pour ne pas disparaître. Le chef veut contribuer à sa façon à combattre l’occupation à travers les plats locaux. Car « si la Palestine a été connue pour son houmous, contribuer à faire reconnaître le houmous comme palestinien participe de la reconnaissance de l’occupation illégitime ».
Israël s’attache à gommer tous les symboles et de ce qui parle de Palestine. Alors chaque détail compte, aussi secondaire ou « futile » paraisse-t-il. Il s’agit toujours d’une lutte pour invisibiliser l’occupé, afin de mieux revendiquer la place. De la même façon que les villages détruits lors de la Nakba sont recouverts de forêts, ou que leurs noms arabes sont changés en termes hébreux.
Pour Akram Belkaïd, journaliste au Monde diplomatique, auteur de La guerre du houmous, il s’agit du recyclage de la nourriture palestinienne dans la gastronomie israélienne. L’objectif est clairement celui « d’un vol de leur identité afin de mieux nier les Palestiniens. Vous dites que le houmous est à vous, nous on vous dit que c’est à nous ».
L’enjeu économique est également important. Israël pourrait être un des leaders du marché mondial. On parle d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires par an. D’autant que l’exportation du houmous a explosé ces vingt dernières années. Israël en particulier en a fait une marque nationale lancée sur les marchés occidentaux. Mais, évidemment, au-delà des motivations marchandes, la recette du houmous reste au centre de revendications nationalistes.
Pour les Palestiniens, l’enjeu est double. Il s’agit de faire parler et connaître la Palestine autrement que par « le conflit », ou par la guerre ; de faire rayonner la culture. Et la cuisine, les recettes sont aussi le reflet d’un peuple. Garder cette mémoire et faire corps autour d’un plat est essentiel.
Pour que le houmous puisse être identifié dans le monde à la Palestine, encore faut-il accepter de reconnaître ce petit pays et son peuple. Mais il faut également considérer qu’il peut être suffisamment ancestral et « respectable » pour pouvoir être le berceau d’un produit connu dans le monde entier…
D’où vient le houmous ?
Le houmous est plus vieux qu’Israël. Il vient du Moyen-Orient. Les premiers textes faisant référence à une purée de pois chiche remontent à la Mésopotamie du VIIe siècle avant J.-C. où l’on cultivait déjà le pois chiche dans le croissant fertile. Au XVe siècle dans l’Empire ottoman, la purée de pois chiche devient houmous en s’enrichissant de purée de sésame et d’épices. Symbole de la culture palestinienne, la petite assiette de houmous est là pour témoigner de l’existence du peuple palestinien, où qu’il soit.
Mireille Sève