L’arrêt de la Cour suprême concernant l’expulsion de familles palestiniennes du quartier Sheikh Jarrah de Jérusalem-Est est un document embrouillé et complexe. Il a été rédigé par trois juges, chacun donnant une opinion différente sur le droit des Palestiniens à ces maisons, et les désaccords sont nombreux.
Mais le résultat final est une réalisation extrêmement importante pour la bataille contre l’expulsion des familles. Il s’agit d’une lutte commune israélo-palestinienne qui dure depuis 13 ans.
Ce jugement empêchera non seulement l’expulsion des quatre familles en question dans un avenir proche, mais il empêchera presque certainement l’expulsion d’une vingtaine d’autres familles. Il retardera le grand projet des militants d’extrême droite de créer un nouveau quartier juif à cet endroit, peut-être pendant des années. Cette décision pourrait également avoir une incidence sur d’autres procès visant à expulser des Palestiniens de leurs maisons parce qu’elles ont été construites sur des terres appartenant à des Juifs avant 1948 - par exemple, dans la section Batan al-Hawa du quartier Silwan de Jérusalem-Est.
La victoire la plus importante des appelants palestiniens a été le fait qu’au moins deux des juges - Daphne Barak-Erez et Isaac Amit - ont accepté de les entendre. Les procédures judiciaires à Sheikh Jarrah ont été menées pendant des décennies et devant des dizaines de juges différents, mais elles ont toujours tourné autour de questions techniques : quel était le statut des résidents dans ces maisons ? Payaient-ils un loyer ? Reconnaissaient-ils les droits des propriétaires juifs ? Étaient-ils des squatters ? Et ainsi de suite.
Lorsque les Palestiniens ont essayé de soulever des arguments de fond concernant, par exemple, l’histoire complexe du quartier, comme les droits qui leur ont été accordés par le gouvernement jordanien lorsqu’il contrôlait cette partie de la ville, ces arguments ont été rejetés. Les arguments moraux, comme le fait qu’il s’agit de réfugiés qui ont perdu leurs biens en 1948 - mais qui, contrairement à l’entreprise américaine Nahalat Shimon, ne sont pas autorisés à récupérer leurs maisons perdues à Jaffa et à Jérusalem Ouest - ont également été rejetés. À maintes reprises, les juges ont limité la discussion à des questions de droit immobilier.
Mais dans l’arrêt actuel, seul le juge Noam Sohlberg s’en est tenu à cette approche. "En arrière-plan de la discussion juridique planent des questions publiques et politiques qui ne sont pas du tout simples...les oreilles du tribunal ne sont pas sourdes à celles-ci", a-t-il écrit. "Mais en fin de compte, notre tâche consiste à statuer sur le litige juridique concret en matière de propriété qui nous a été soumis." Par conséquent, il a estimé que les questions juridiques pertinentes avaient déjà été tranchées et que la demande d’autorisation d’appel des familles devait être rejetée.
Barak-Erez et Amit, en revanche, ont choisi d’aller au bout du terrain historique et juridique. Ils ont pris note des actions du gouvernement jordanien. Amit a écrit que les Jordaniens ont effectivement exproprié le terrain dans un but public - loger des réfugiés - et que cela a donné aux résidents des droits qui doivent au moins être examinés avant qu’ils puissent être expulsés.
Mme Barak-Erez est allée plus loin en décidant que les Palestiniens ont le droit d’utiliser les propriétés - que le gouvernement jordanien leur a donné la permission d’y vivre, et que cette permission est toujours valable.
"La correction des injustices passées causées par les guerres et les changements de régime inclut aussi, ce qui n’est pas rare, le rétablissement des droits sur des biens volés", a-t-elle écrit. "Dans le même temps, il est impossible d’ignorer les actions qui ont été menées et la vie qui a été vécue dans le temps qui s’est écoulé. Celles-ci peuvent très bien influencer l’étendue de la restitution."
Amit, qui a dû trancher entre les points de vue opposés de ses deux collègues, n’a pas accepté la conclusion de Barak-Erez selon laquelle les Palestiniens ont un droit définitif à utiliser les propriétés. Mais ils ont de fortes revendications de propriété, a-t-il dit, et ces revendications doivent être prises en compte avant toute expulsion.
L’essentiel est que les Palestiniens puissent rester dans leurs maisons en échange du paiement d’un loyer symbolique. Ce loyer sera mis sous séquestre jusqu’à ce que le ministère de la Justice décide de la question de la propriété. Cela pourrait prendre des mois ou des années, en fonction de la motivation du ministre de la justice et des fonctionnaires du ministère à prendre une décision.
Au cours de l’année écoulée, Sheikh Jarrah est devenu un symbole national palestinien. Les menaces d’expulsion ont joué un rôle important dans la chaîne d’événements qui a conduit à la guerre de mai dernier avec le Hamas dans la bande de Gaza et aux émeutes intercommunautaires dans les villes mixtes judéo-arabes. Et avec le Ramadan qui commence le mois prochain, de nombreuses personnes ont craint que les expulsions ne déclenchent un nouveau cycle de violence.
La décision de mardi s’ajoute à celle prise la semaine dernière par un tribunal d’instance, qui a reporté l’expulsion de la famille Salem de son logement situé de l’autre côté de Sheikh Jarrah. Ces deux décisions garantissent qu’au moins sur le front de Sheikh Jarrah, et au moins pour les prochaines semaines, nous pouvons espérer le calme.
Ce calme pourrait toutefois être perturbé par les frictions constantes entre les habitants, la police et les personnes qui se rendent au bureau que le législateur Itamar Ben-Gvir a ouvert dans le quartier et qui s’y trouve toujours. Les violences de lundi près de la porte de Damas de la vieille ville montrent également que Jérusalem peut fournir de nombreux autres prétextes à la violence.
Mais pour l’instant, les habitants de Sheikh Jarrah peuvent respirer un peu mieux. Ils ne sont plus des squatters.
Traduction : AFPS