L’armée a ordonné à quelque 300 Palestiniens qui vivent depuis des décennies dans le Nord de la vallée du Jourdain de retirer tous leurs biens de cette zone — ce qu’ils interprètent comme un ordre d’évacuation et de démolition des maisons.
Mais à en juger par la réponse de l’armée à Haaretz, elle a modifié sa position à la suite d’une objection déposée par l’avocat des habitants.
C’est la première fois que l’armée fait usage contre les Palestiniens d’un ordre d’expulsion fondé sur un ordre militaire destiné à permettre l’évacuation d’avant-postes de colonies non autorisés. L’ordre en question est connu sous le nom d’ “ordre concernant les constructions non autorisées."
L’ordre n’a été remis à aucun des Palestiniens concernés. Au lieu de cela, les soldats l’ont simplement laissé sur la route à proximité de leur maisons, qui sont situées près du village d’Al-Maleh.
La notification, datée du 1er novembre, a été signée par le commandant des Forces de Défense Israéliennes en Cisjordanie, le Général de Division Roni Numa. Officiellement connue sous le nom de “déclaration de terrain délimité », elle interdit à quiconque d’entrer dans la zone indiquée à des fins de construction et rend obligatoire le retrait de tous les biens de cette zone dans un délai de huit jours à partir de l’envoi de la notification.
L’ordre ne précise pas combien de personnes seront expulsées et ne donne pas leurs noms. Mais à en juger par la carte jointe, il s’applique à une zone d’environ 550 dounams (environ 55 hectares) dans laquelle vivent quelque 300 Palestiniens de deux villages d’éleveurs, Ein al-Hilweh et Umm Jamal. Les deux villages relèvent de la compétence du conseil rural d’Al-Maleh.
Les bergers élèvent quelque 4.000 moutons, 200 chameaux et 200 vaches. Tout le terrain en question est soit la propriété privée de Palestiniens soit la propriété de l’Eglise Catholique.
L’“ordre concernant les constructions non autorisées,” sur lequel se fonde la notification d’expulsion, déclare dans le paragraphe 6(b) qu’il ne s’applique pas à “toute personne enregistrée dans le registre de population de la région", c’est à dire les habitants palestiniens de la Cisjordanie.
Pour cette raison, l’avocat Tawfique Jabareen de Umm al-Fahm, qui représente les habitants, soutient que la notification d’expulsion n’a pas de validité juridique et est nulle et non avenue. C’est le fond de l’objection qu’il a présentée samedi matin au commandant militaire par l’intermédiaire du conseiller juridique de ce dernier.
Jabareen a déclaré aussi que l’ordre n’avait pas été remis aux habitants concernés, mais qu’il avait été simplement laissé dans la zone huit jours après qu’il a été signé. “A première vue, c’était un acte de mauvaise foi, derrière lequel se trouve une intention de refuser aux habitants palestiniens leur droit à être entendus ou à présenter des objections soit contre l’ordre soit contre la déclaration, » a-t-il écrit.
Ainsi que Jabareen l’ a exprimé, “Ceci est un ordre d’expulsion collective contre la population palestinienne, ordre qui est une violation du droit international.”
Pour sa part, le Coordinateur israélien des Activités du Gouvernement dans les Territoires a déclaré : “le 9 novembre 2017, les ordres ont été envoyés dans le cadre de la mise en vigueur des mesures contre la construction illégale sur ce site. Les ordres ont été présentés selon le protocole, y compris la présentation physique à l’endroit concerné par l’ordre. Le nouvel ordre répond aux bâtiments construits illégalement, et non à une présence à cet endroit.”
Le CDAGT, cependant, n’a pas spécifié où iraient les gens, qui habitent à cet endroit, si les bâtiments étaient démolis. Il ne répond pas non plus à la question d’Haaretz sur le nombre de gens qui seraient affectés par les ordres.
Les habitants de Ein al-Hilweh ont déclaré vendredi que, il y a environ deux semaines, des soldats sont venus jusqu’à leurs cabanes et ont demandé à voir leurs cartes d’identité, sans leur fournir aucune explication.
Les soldats ont aussi utilisé un drone pour prendre des photos aériennes de leur village. L’établissement de listes de cartes d’identité et la prise de photographies sont des étapes qui précèdent souvent les expulsions et les émolitions par les FDI et leur Administration Civile [1] en Cisjordanie, bien que les habitants aient déclaré qu’ils n’avaient vu cette fois aucun membre du personnel de l’Administration Civile.
Nabil Daragmeh a dit à Haaretz qu’il avait vu jeudi dernier des soldats en train de mettre quelque chose sous une pierre sur la route devant la colline où il habite. Il les a vus aussi en train de photographier ce qu’il avait laissé à côté de la route. Après qu’ils sont partis, il est allé voir ce que c’était.
Il a trouvé un ordre en hébreu qui était signé et daté, un autre ordre en hébreu qui n’était ni signé ni daté, et un troisième ordre en arabe qui était non plus ni signé ni daté. Il l’a dit immédiatement aux autres habitants, qui ont été effrayés et embarrassés.
Ces communautés d’éleveurs se trouvent dans ce secteur depuis des décennies, mais Israël ne les autorise pas à se rattacher aux infrastructures ou à ajouter de nouvelles maisons et des bâtiments publics pour faire face à la croissance de leur population et aux changement des besoins.
Israël a aussi usé de son contrôle sur l’enregistrement de la population palestinienne pour empêcher l’Autorité Palestinienne d’inscrire les villages d’éleveurs sur la ligne de leur carte d’identité concernant le domicile. Au lieu de cela, il insiste pour que la ville natale soit inscrite comme étant Bardala, Ein al-Beida ou quelque autre village.
Les ordres d’expulsion, de démolition et de saisie des biens sont émis contre les habitants depuis des années, mais jamais contre tous en même temps, et ils n’ont jamais été fondés sur "l’ordre concernant les constructions non autorisées.”
En 2008, dans une tentative pour alléger la pénurie de logement des habitants, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture leur a construit des abris métalliques, financés par le Japon. Dans sa lettre au commandant militaire Jabareen a écrit que le Japon et les Nations Unies n’auraient pas construit ces abris sans la permission de l’Administration Civile, et une telle permission a été effectivement accordée. Mais ensuite, a-t-il déclaré, l’administration a retiré son autorisation.
“Ces dernières années, un certain nombre de familles ont à plusieurs reprises construit illégalement dans le secteur. Toute personne qui considère qu’il est une victime de l’ordre peut s’adresser aux autorités dans un délai de huit jours,” a ajouté la CDAGT.
“En ce qui concerne certaines des constructions, les autorités sont en train d’examiner les réclamations de la part [des propriétaires]. En ce qui concerne ces constructions, aucune mise en application ne sera exécutée avant que leur examen ne soit achevé.”
Sur une colline à l’Est du secteur où est prévue l’expulsion se situe la colonie de Maskiot. En 2005, elle a connu un afflux de colons qui avaient été expulsés de la Bande de Gaza.
Au cours des deux dernières années, deux avant-postes des colonies sont aussi apparus, l’un au Nord et l’autre au Sud de Ein al-Hilweh. L’Administration Civile a émis des ordres d’arrêt des travaux à l’encontre des avant-postes mais ils ont encore continué à s’étendre. L’un des avant-postes est une ramification d’un autre avant-poste illégal en cours de légalisation – Givat Salit. Le second est situé dans la réserve naturelle de Umm Zuka.
Les deux avant-postes élèvent des moutons et des vaches, et selon des Palestiniens de l’endroit et des militants des organisations Ta’ayush et Machsom Watch, les bergers des avant-postes empêchent souvent les Palestiniens de faire paître leurs troupeaux. En 2011, un habitant de Ein al-Hilweh a été forcé de déplacer sa tente en raison du harcèlement répété par les colons.
Ein al-Hilweh et Umm Jamal ne sont pas des cas particuliers. Au cours des derniers mois, les FDI et l’ Administration Civile ont aussi pris des mesures en vue d’expulser trois autres communautés villageoises palestiniennes dans le Nord de la Vallée du Jourdain -Khalat Makhoul, Al-Farisiya (qui groupe environ 150 personnes) et Khumsa.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l‘AFPS sur les prisonniers