Des officiers supérieurs des Forces de défense israéliennes, dirigés par le chef du Commandement central, le général de division Yehuda Fuchs, ont commencé à préparer l’expulsion de centaines de Palestiniens de la région de Masafer Yatta, dans le sud des collines d’Hébron, afin d’en faire un terrain d’entraînement régulier pour l’armée.
Selon de hauts responsables de la défense et de la politique, la planification a commencé indépendamment il y a deux mois, sans discussions préalables avec les responsables politiques, qui sont responsables de la prise de décision en la matière. Les hauts fonctionnaires ont déclaré que le plan n’a été présenté au cabinet que la semaine dernière, après l’entrée en fonction du nouveau gouvernement.
Quelque 1 000 résidents palestiniens de Masafer Yatta vivent dans huit villages. Israël a déclaré la région zone de tir militaire il y a plus de vingt ans, après que les habitants ont adressé une pétition à la Haute Cour de justice. Au cœur de la pétition, les Palestiniens affirment qu’ils vivaient là bien avant que la zone ne soit déclarée zone de tir, ce qui rendrait leur expulsion illégale.
En mai, après une longue bataille juridique, la Haute Cour a accepté la position de l’État et autorisé le gouvernement à expulser définitivement les résidents de Masafer Yatta de leurs maisons. L’arrêt, rédigé par le juge David Mintz, stipule qu’il n’y avait pas d’habitations permanentes dans la zone avant qu’elle ne soit déclarée zone de tir.
Selon les habitants, le sujet de l’expulsion a été abordé lors d’une réunion la semaine dernière entre un représentant de l’administration civile de la région d’Hébron, Salim Sa’ad, et des représentants de l’Autorité palestinienne. À la fin de la réunion, le représentant de l’AP a dit aux résidents palestiniens que Sa’ad pensait que l’expulsion aurait lieu dans un an, et que Sa’ad lui avait dit qu’il y avait deux alternatives pour reloger les résidents, qui leur seraient présentées dans les semaines à venir.
La réunion avait été prévue pour discuter d’une demande d’approbation de creusement dans le quartier et les résidents ont été surpris par les déclarations du représentant de l’AP. Les résidents ont également appris que Sa’ad avait parlé de l’expulsion de 12 villages, et pas seulement des huit villages évoqués dans la dernière requête de la Haute Cour de justice.
En réponse à une question de Haaretz, le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires a nié que des alternatives aient été discutées ou que l’expulsion ait été discutée de manière concrète. Le COGAT a déclaré que seule la "situation factuelle" a été présentée lors de la réunion concernant la décision de justice et que la zone est désignée comme une zone de tir.
En juin, des soldats sont passés de maison en maison à Masafer Yatta et ont contrôlé les cartes d’identité des habitants. Les groupes de défense des droits humains ont prévenu qu’il s’agissait d’une préparation à l’expulsion, tandis que les FDI ont déclaré que cela faisait partie de la lutte pour empêcher l’entrée illégale en Israël par cette zone. Au cours des derniers mois, des exercices de tir à balles réelles ont été organisés dans la zone et des barrages routiers ont été mis en place pour limiter la liberté de mouvement des habitants. La demande d’une nouvelle audience auprès de la Haute Cour a été rejetée, ce qui a permis de poursuivre l’expulsion.
En dépit de la décision de la Haute Cour, la question est considérée comme politiquement explosive. Le président américain Joe Biden l’a évoquée lors de sa dernière visite en Israël, en juillet, et a demandé, lors de conversations à huis clos avec de hauts responsables militaires et politiques, qu’Israël évite toute mesure unilatérale susceptible d’entraîner une escalade. Un haut fonctionnaire du gouvernement ayant connaissance de la question avant la formation du nouveau gouvernement a déclaré à Haaretz : "Il s’agit d’une question politique sensible, que le président américain a choisi d’aborder personnellement lors de sa dernière visite... mais quelqu’un au sein du commandement central a décidé de mettre cette patate chaude entre les mains du gouvernement, juste aujourd’hui.
Une explosion diplomatique
Selon de hauts responsables israéliens, le plan n’a été présenté au gouvernement qu’au moment de l’entrée en fonction du nouveau gouvernement, bien que le Commandement central ait commencé à le préparer il y a environ deux mois. Il a été présenté la semaine dernière au ministre de la Défense Yoav Gallant, lors de sa première visite au quartier général du Commandement central.
Bien que l’opération soit considérée comme sensible, des sources politiques familières de la question affirment que Fuchs a donné l’ordre d’élaborer un plan opérationnel d’expulsion dès que l’arrêt de la Haute Cour a été rendu, et avant qu’une discussion approfondie n’ait eu lieu avec les hauts responsables politiques et de la sécurité en Israël. Selon les responsables de la sécurité impliqués dans la visite de Gallant, ce dernier n’exclut pas l’expulsion, mais a déclaré au haut commandement qu’il ne connaissait pas bien le dossier et qu’il devait l’étudier en profondeur et revoir les décisions qui ont été prises.
"Il n’y a pas eu de directive du gouvernement pour procéder à l’expulsion", a déclaré un fonctionnaire du gouvernement connaissant très bien le dossier. "Il aurait été préférable de gérer toute l’affaire discrètement. Au sein du commandement central, il a été décidé d’aborder le sujet maintenant publiquement et dans la composition actuelle du cabinet, il sera très difficile de prendre de telles décisions sans considérations extérieures." Le responsable gouvernemental a averti que "l’évacuation pourrait se terminer en explosion diplomatique."
Des responsables de la sécurité ont confirmé lors de conversations à huis clos que la décision de formuler le plan a été prise au sein du commandement central avec l’intention d’évacuer la zone si on leur demandait de le faire. "Cela a été fait de bas en haut", a déclaré un responsable. Ces mêmes responsables ont confirmé que le Commandement central était au courant de la demande de Biden. Cependant, les officiers du commandement ont estimé que malgré la demande de Biden, le plan opérationnel devait être formulé et une décision portée devant le nouveau cabinet de sécurité.
Des responsables de la sécurité et de l’administration civile ont déclaré à Haaretz qu’ils s’étaient inquiétés du fait que, dans cette affaire, la conduite du Commandement central pourrait être une mise en garde quant à ce qui pourrait arriver concernant la capacité de l’armée à tenir tête aux politiciens et aux personnalités de droite qui exercent des pressions sur les officiers supérieurs et attendent d’eux qu’ils prennent des décisions conformes à leur vision du monde - selon des décisions politiques plutôt qu’opérationnelles. Ils ont dit qu’ils ne savaient pas quel facteur était en jeu dans le timing de la présentation du plan.
L’unité du porte-parole des FDI a déclaré : "La zone de tir 918 a été déclarée zone de tir en 1980, et dans le jugement de la Haute Cour du 4 mai 2022, il a été décidé qu’au moment de la déclaration, il n’y avait pas de résidents permanents dans la zone. Les pétitionnaires ont demandé une nouvelle audience, mais la cour a rejeté leur requête.
À la lumière des remarques formulées par le tribunal dans cet arrêt, un processus de dialogue a été engagé ces derniers mois avec les Palestiniens de la région, afin qu’ils évacuent la zone de tir de manière indépendante. Comme le reste de ses missions, l’armée israélienne est tenue de préparer des plans organisés pour assumer sa responsabilité et son autorité, qu’elle présentera si nécessaire à l’échelon politique. Nous ne nous mêlerons pas aux discussions et décisions internes concernant les plans opérationnels."
Traduction : C.L. pour AFPS