Depuis 2004, l’AFPS traduit et publie chaque semaine la chronique hebdomadaire d’Uri Avnery, journaliste et militant de la paix israélien, témoin engagé de premier plan de tous les événements de la région depuis le début. Cette publication systématique de la part de l’AFPS ne signifie évidemment pas que les opinions émises par l’auteur engagent l’association. http://www.france-palestine.org/+Uri-Avnery+
Le mot est près proche du mot hébreu biblique et moderne “ha’azinu” (“écoutez”)
Récemment, les haut-parleurs électriques rendent la tâche du muezzin bien plus facile. De nos jours, il peut s’asseoir en bas et utiliser un micro. Si on fait appel à un enregistrement, le muezzin devient tout à fait superflu.
De toute façon, la voix du muezzin doit se faire entendre cinq fois par jour pour appeler les croyants à la prière qui est l’un des cinq piliers de l’Islam.
Le premier appel est lancé avant l’aube. Et c’est là que le bât blesse, comme aurait dit Hamlet, s’il y avait eu des minarets au Danemark à son époque.
DEPUIS QUE LA PALESTINE a été conquise par l’armée du Calife Omar en l’an 636 de notre ère, la voix du muezzin se fait entendre cinq fois par jour dans la plupart des villes et villages du pays. (Quelques villages arabes étaient restés chrétiens et sonnaient des cloches.)
Rien de plus, si cela convient à Yai’r Nétanyahou.
Yair (25 ans) est est le prince de la couronne dans la famille royale d’Israël. C’est le chéri d’une mère pleine d’assurance et il se déplace avec quatre gardes du corps rémunérés par le contribuable (moi). Il semble être quelqu’un de sympathique bien qu’indéfinissable. Il aime les boites de nuit et le luxe. Il tient aussi à son sommeil.
Mais comment peut-on dormir à Jérusalem si un muezzin vous réveille à 4 heures du matin ?
Ce n’est pas seulement le problème de Yair. Beaucoup de Juifs en Israël vivent près d’une mosquée, en particulier dans des villes mixtes comme Jérusalem, Haïfa et Jaffa. Le muezzin les réveille aux milieu de leurs rêves les plus doux, juste au moment où la belle jeune fille est sur le point de s’abandonner (ou l’inverse pour les femmes). Ils peuvent être furieux, mais ils savent qu’ils n’y peuvent rien.
Mais Yair le peut.
Il a convaincu son père de présenter un projet de loi qui interdirait l’emploi de haut-parleurs dans tous les lieux de culte. Quand le puissant groupe juif orthodoxe a protesté, étant donné que cela interdirait aussi l’appel au shabat, le projet de loi a été amendé pour mentionner désormais spécifiquement les mosquées. Il est possible que ce soit annulé par la Cour suprême au motif qu’il s’agirait d’une discrimination. En attendant, Ya’ir continue d’être sorti de son précieux sommeil.
(En réalité, il y a déjà en Israël une loi interdisant de faire du bruit avant 7 heures du matin, mais elle n’est pas appliquée.)
TOUT CELA a l’air drôle. Mais ça ne l’est pas. Ce pourrait être une farce, mais c’est le symbole de l’un des problèmes les plus sérieux d’Israël.
Seulement 75% des Israéliens sont juifs. 21% sont arabes, musulmans pour la plupart, quelques-uns sont chrétiens. Le reste est constitué de Juifs non-juifs – par exemple des gens dont le père était juif mais la mère ne l’était pas.
Quel est le statut de cette importante minorité arabe dans un État qui se définit officiellement comme “juif et démocratique” ?
Les Arabes sont citoyens israéliens, avec tous les droits conférés par la citoyenneté. Mais sont-ils réellement israéliens ? Des Arabes peuvent-ils être des citoyens à part entière dans un État “juif” ?
Pire, Israël est une île, petite bien que puissante, au sein de la mer arabe. Israël a un accord de paix officiel avec deux États arabes – l’Égypte et la Jordanie – mais il n’a jamais été réellement accepté par les masses arabes où que ce soit. Plusieurs États arabes sont légalement en état de guerre avec Israël depuis 1948.
Encore pire, Israël gouverne et opprime l’ensemble d’un peuple arabe, les Palestiniens, un peuple privé de tous les droits, tant nationaux qu’humains. Les Arabes d’Israël se considèrent comme faisant partie du peuple palestinien. Ces derniers temps ils préfèrent s’appeler “citoyens palestiniens d’Israël”.
Beaucoup de pays ont une minorité nationale, et chacun d’eux traite ce problème à sa façon. Mais la situation de la minorité arabe – pardon palestinienne – en Israël est unique.
Pendant les premières années d’israël, on avait l’espoir de voir les “Arabes israéliens”(expression qu’ils détestent) servir de pont entre Israël et le monde arabe. Un de mes amis arabes a refusé poliment, disant qu’“un pont c’est quelque chose qu’on foule aux pieds.”
Tant que David Ben-Gourion fut au pouvoir, les citoyens arabes furent assujettis à un “gouvernement militaire”, sans la permission duquel ils ne pouvaient pas quitter leur ville ou leur village, ni faire grand-chose d’autre. On se servait de cette situation comme moyen de chantage pour qu’ils dénoncent leurs compagnons arabes.
Au terme d’une longue bataille menée par beaucoup d’entre nous ce régime fut aboli en 1966. Mais le problème fondamental de la minorité arabe n’était pas résolu.
Dans un pays qui possède une importante minorité nationale, la population majoritaire est face à un choix : soit donner à tous les citoyens des droits égaux dans tous les domaines, ou donner à la minorité un statut national particulier avec une certaine dose d’autonomie.
Israël a fait ce qu’il fait toujours lorsqu’il se trouve face à un tel choix : il ne choisit pas. La question reste ouverte.
Peut-il y avoir réellement des droits égaux pour des non-juifs dans un État qui se définit comme “juif et démocratique” ? Évidemment non. La loi la plus importante, la “loi du retour” accorde à chaque Juif dans le monde le droit automatique d’immigrer en Israël. Contrairement à l’impression qu’il donne, ce droit n’est pas isolé : il est en lien avec plusieurs autres lois. Un immigrant juif devient automatiquement citoyen (à moins de le refuser expressément). Plusieurs droits matériels, qu’on ne connait généralement pas, y sont aussi associés.
Les Arabes ne bénéficient, bien sûr, d’aucun de ces droits. L’énorme quantité de biens mobiliers et immobiliers abandonnés par les 750.000 réfugiés arabes qui ont fui ou ont été expulsés pendant la guerre de 1948 ou plus tard furent expropriés sans la moindre compensation.
Il est surprenant que le précurseur du Likoud, Vladimir (Ze’ev) Jabotinsky, brillant sioniste de droite, fut dans sa jeunesse l’auteur du “projet Helsingfors”, une proposition détaillée de statut pour toutes les minorités de la Russie tsariste. Ce projet, qui constituait aussi la base de la thèse de doctorat de Jabotinsky, proposait l’autonomie pour chaque minorité nationale, même si (comme les Juifs) elle ne possédait pas de territoire.
Cela pouvait représenter un excellent plan pour la minorité palestinienne d’Israël, mais le Likoud, bien sûr, n’imaginerait pas de l’accepter. Comme les anti-sémites de la Russie tsariste, les Israéliens de la droite d’aujourd’hui considèrent la minorité nationale comme une cinquième colonne potentielle ou réelle, et toute forme d’autonomie comme un danger pour l’État.
Les amateurs de la Bible peuvent s’amuser des paroles de Pharaon (Exode 1) à propos des Enfants d’Israël : “Lorsque survient une guerre, ils font cause commune avec nos ennemis pour nous combattre.” Par un curieux retournement, nous sommes maintenant Pharaon, et les Arabes sont les nouveaux Enfants d’Israël.
ALORS QUELLE est la situation des citoyens arabes d’Israël ?
Ce n’est ni une situation d’égalité réelle, comme le soutiennent les propagandistes israéliens, ni non plus la terrible situation de souffrance et d’oppression que décrivent ceux qui portent une haine irrationnelle à Israël. La situation réelle est bien plus complexe.
J’étais cette semaine dans un supermarché de Tel Aviv. J’ai pris quelques articles puis je suis passé à la caisse. J’ai été accueilli par une jeune caissière très avenante qui parlait un hébreu parfait et qui était par ailleurs extrêmement polie. En partant je fus un peu surpris de réaliser qu’elle était arabe.
Il y a quelque temps j’ai été hospitalisé (j’ai oublié pour quoi) à Tel Aviv. Le médecin-chef du département était un Arabe. De même que beaucoup d’infirmiers. Contrairement à l’image de l’Arabe sauvage, primitif, on reconnait en général que les personnels infirmiers arabes, hommes et femmes, sont beaucoup plus doux que leurs collègues juifs.
Un juge respecté de la Cour suprême, qui siège aussi à la commission de nomination des juges, est arabe.
Les Arabes sont profondément intégrés à l’économie israélienne. Leur revenu moyen peut être inférieur que celui des Juifs, spécialement du fait que moins de femmes arabes que juives travaillent. Mais le niveau de vie israélien est bien plus élevé que celui de n’importe quel pays arabe.
Je pense que les citoyens arabes sont beaucoup plus “isréalisés” que ne le croient la plupart d’entre eux. Ce n’est que lorsqu’ils visitent la Jordanie, par exemple, qu’ils se sentent différents (et supérieurs).
Bien qu’ils ne jouissent pas de l’autonomie, en pratique il y a une “commission de supervision”qui réunit toutes les municipalités et associations arabes, et il y a un Groupe Arabe Uni (le troisième en importance à la Knesset).
Voilà un côté du tableau. L’autre côté est tout à fait à l’opposé : les citoyens arabes ont chaque jour l’impression d’être regardés de haut et de faire l’objet de discriminations. Pas même la gauche juive n’imaginerait de constituer un gouvernement de coalition avec le groupe arabe.
Il y a un débat sous-jacent dans la société arabe d’Israël. Beaucoup d’Arabes pensent que leur groupe à la Knesset devrait davantage se préoccuper de leur situation en Israël, alors que le groupe lui-même se préoccupe bien plus de la situation de leurs frères et de leurs sœurs des territoires palestiniens occupés.
TOUS CES problèmes sont d’une certaine façon symbolisés par la proposition de loi sur l’appel musulman à la prière.
Bien sûr, le problème pourrait trouver une solution par la discussion et l’accord mutuels. Dans toutes les villes et tous les villages arabes les gens veulent entendre l’appel à la prière, même si beaucoup d’entre ne se lèvent pas pour se rendre à la mosquée. Dans des quartiers où il y a une population non-musulmane, les haut-parleurs pourraient être débranchés d’un commun accord, ou bien leur volume sonore réduit. Mais avant de déposer le projet de loi, il n’y a eu aucune consultation.
Donc, si Yai’r est réveillé à 4 h du matin, peut-être pourrait-il consacrer l’heure suivante à réfléchir à la façon d’obtenir un accord entre les Juifs et leurs voisins arabes.