Comment analysez-vous les dernières élections et la nouvelle coalition gouvernementale qui met fin à l’ère Netanyahou ?
A.-L. G. : Que propose-t-on aux citoyens ? Uniquement de se positionner « pour » ou « contre » Netanyahou, rien sur les questions socio-économiques ou de paix. Sauf que c’est bien de ces urnes que se décident la vie et l’avenir des Juifs et des Palestiniens sur ce territoire. Si nous nous réjouissons du départ de Netanyahou, nous n’acceptons pas le qualificatif de « gouvernement de changement » attribué à la nouvelle coalition. Il s’agit d’un changement d’identité politique, mais pas d’une modification de la politique du pays.
Deux organisations de gauche, le Meretz et le Parti travailliste, ont accepté d’entrer au gouvernement alors que l’occupation n’apparaît aucunement dans l’accord de coalition. Pire, la colonisation va continuer. Où est le « changement » pour les Palestiniens ?
De notre côté, nous défendons une réinvention de la gauche israélienne en s’appuyant davantage sur l’électorat palestinien. Un parti ne peut pas être de gauche s’il s’identifie ou s’il est perçu comme uniquement « juif ». Dès lors, il faut constituer une équité politique pour avancer ensemble.
Justement, nous constatons une droitisation toujours plus forte de la société israélienne. Comment faire exister une alternative dans ces conditions ?
A.-L. G. : Nous sommes face à une urgence : notre incapacité à construire une alternative politique crédible pousse de très nombreux Juifs progressistes à quitter le pays, en guise de protestation, tandis qu’une partie des Palestiniens d’Israël qui auparavant pouvaient nous rejoindre, préfèrent aujourd’hui poursuivre leur carrière professionnelle et éviter de trop s’impliquer politiquement.
« Standing Together » développe un narratif qui dépasse l’affrontement
« Israélien contre Palestinien » ou « Juif contre Arabe ». La réalité c’est un système de suprématie juive, dont l’occupation est le principal symbole, qui ne profite réellement qu’à une élite constituée d’une classe politique, de vendeurs d’armes et bénéficiant du soutien des extrémistes qui tiennent certains quartiers d’Israël et de nombreuses colonies. Chaque jour les Israéliens risquent leur vie des conséquences des choix politiques de Netanyahou ou des provocations d’un Itamar Ben Gvir. Je refuse que mon combat soit caricaturé comme un engagement « pro Palestinien » : je me bats également pour moi, pour ma propre sécurité qui passe par l’accès à une vie digne pour tous.
Enfin, nous refusons la coexistence de façade promue par certaines ONG : la seule coexistence possible est dans la lutte commune pour l’égalité et la fin de la suprématie. Ainsi, nous excluons le qualificatif de « défenseur des droits humains » qui tend à aseptiser toute démarche politique : nous sommes un mouvement politique car il n’y a que par ce type d’engagement que nous changerons les choses.
En mai, Israël a été secoué par une vague d’émeutes, bousculant le mythe des villes mixtes comme des espaces de coexistence entre Arabes et Juifs. Quelle est la réponse politique de votre organisation ?
A.-L. G. : À chaque opération militaire israélienne sur Gaza, comme en 2009 ou 2014, les actes racistes se multiplient dans le pays : pillage de magasins arabes, agressions de citoyens présumés arabes, jets de pierres sur des maisons de citoyens palestiniens… Cette fois, l’ampleur n’a pas d’égal dans l’histoire d’Israël, tant par le nombre de lieux d’affrontements que par la violence de ceux-ci. Si nous ne tolérons pas cette violence, nous comprenons le sentiment de ces jeunes citoyens palestiniens exploités par ce système, vivant dans la précarité et victimes silencieuses depuis tant d’années d’humiliations et de violences policières. Cela devait exploser. Du côté des extrémistes juifs, vous retrouvez également tout une frange des Israéliens parmi les plus pauvres et constamment destinataires de messages hostiles aux Arabes. Dès le début des émeutes, ils recevaient des appels via les réseaux sociaux : « Montrez qui contrôle les rues ». Des bus ont été affrétés pour transporter des colons de Cisjordanie parmi les plus radicaux vers des villes mixtes comme Lod. Qui a payé ? Qui a laissé faire ? Qui les a armés ? Notre réponse a été de proposer des lieux de manifestations communes pour demander la fin des violences, la construction d’un front arabo-juif, mais aussi rappeler la centralité de la colonisation et de l’occupation.
Quelle sera la stratégie de « Standing Together » dans les prochains mois face à ce nouveau gouvernement ?
A.-L. G. : D’abord, nous allons placer les ministres et députés de la gauche et du centre face à leurs responsabilités en poussant pour des mesures fortes : renforcement du salaire minimum, arrêter les expulsions de réfugiés, mettre fin aux démolitions de maisons arabes et ouvrir les droits à la construction dans les villes mixtes aux citoyens palestiniens… Nous savons que les électeurs et militants du Meretz voire du Parti travailliste soutiennent ces revendications. Que vont faire leurs dirigeants ?
Ensuite, nous souhaitons poursuivre et renforcer notre présence dans les terrains de lutte qui montrent la réalité de la politique israélienne : à Jérusalem-Est où depuis des mois nous participons chaque semaine aux mobilisations contre la colonisation ; dans les quartiers éthiopiens où nous dénonçons la violence quotidienne subie par ces habitants… C’est par ce biais que nous pourrons bâtir cette opposition de gauche.
Propos recueillis par Thomas V.